L’accord sur le nucléaire iranien est «une farce»

A en croire les versions présentées à Washington, Téhéran et Paris, les grandes puissances et l’Iran ne sont en fait d’accord sur rien…

Après les autocongratulations ayant suivi l’annonce d’un accord de principe entre les grandes puissances et l’Iran sur le contrôle de son programme nucléaire, les doutes ne cessent de grandir sur la réalité des engagements pris. Car l’accord de principe, non signé, auquel tenait tant l’administration américaine, n’est pas du tout le même selon les versions rendues publiques à Washington, Téhéran et Paris. Le site The Atlantic se demande même s’il y a bien un accord et il n’est pas le seul média à se poser cette question.

Le New York Times pointe les différences considérables, qui portent sur des questions essentielles, entre ce que présente d’un côté la diplomatie américaine et Barack Obama et de l’autre les dirigeants de la République Islamique. Pour ajouter à la confusion, la France a même une troisième version de l’accord.

«Pas d’accord tant que les sanctions n’auront pas été levées»

Selon le document rendu public par Washington «l’Iran a accepté de réduire son stock d’uranium enrichi [de 10 000 tonnes] à 300 kilos, un engagement qui n’est pas mentionné par la version de l’accord rendue publique par l’Iran…», écrit le New York Times. De la même façon, Téhéran évoque un développement de la coopération nucléaire entre l’Iran et les six puissances qui ont négocié l’accord et cela comprend «la construction de centrales nucléaires et de réacteurs de recherche… Cette coopération potentielle n’est pas mentionnée par le document américain».  Le document américain affirme que l’Iran «ne pourra pas utiliser ses centrifugeuses les plus avancées pour produire de l’uranium pendant au moins 10 ans. Et pendant ce laps de temps, l’Iran pourra conduire des recherches «limitées» sur les centrifugeuses. Dans la version iranienne, le mot «limité» n’existe pas».

 

La différence la plus flagrante porte sur la question essentielle de la levée des sanctions qui pèsent lourdement sur l’économie iranienne et la popularité du régime et l’ont contraint à négocier. «Selon le texte iranien, quand l’accord sera mis en place, les sanctions seront immédiatement levées. Pour les officiels américains, il s’agit en revanche d’une levée étape par étape…». Hassan Rouhani, le Président iranien, a été très clair: «il n’y aura pas d’accord tant que les sanctions n’auront pas été levées».

La version française apporte d’autres éléments. Elle confirme d’abord que l’Iran «sera autorisé à continuer la recherche et développement sur les centrifugeuses avancées de type IR-4, IR-5, IR-6 et IR-8, ces dernières pouvant enrichir l’uranium a un rythme 20 fois supérieur aux centrifugeuses utilisées aujourd’hui en Iran de type IR-1». Des précisions que la version américaine de l’accord n’évoque pas. Le document français indique aussi que l’AIEA (Agence internationale pour l’énergie atomique) aura la possibilité d’effectuer des visites de sites suspects en Iran «à tout moment et n’importe où», les versions américaine et iranienne sont beaucoup plus floues.

Pour David Horovitz, le fondateur de Times of Israël, rien n’est clair dans cet accord qu’il qualifie de «farce». «Les sanctions économiques seront-elles levées par étapes en fonction de la mise en place par l’Iran des accords ou au moment ou l’accord sera signé? Ce n’est pas clair. Y-aura-t-il des inspections à tout moment et en tout lieu de tous les sites suspects nucléaires civiles et militaires? Ce n’est pas clair. L’Iran sera-t-il contraint de transférer à l’étranger l’essentiel de son stock d’uranium enrichi? Ce n’est pas clair. L’Iran aura-t-il la possibilité de continuer la recherche et développement de centrifugeuses sophistiquées pour accélérer le processus de fabrication d’une bombe? Ce n’est pas clair

«L’accord de principe est une interprétation américaine unilatérale»

Comment accorder alors du crédit aux promesses de Barack Obama et John Kerry se félicitant d’un progrès «historique» qui éloigne la perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire et apporte de la stabilité au Moyen-Orient. Henry Kissinger et George Shulz, deux anciens Secrétaires d’Etat américains, sont tout aussi sceptiques dans une tribune conjointe publiée par le Wall Street Journal. «Négocier l’accord final [prévu avant la date butoir du 30 juin] s’annonce particulièrement difficile. Pour une raison, aucun texte officiel n’a été publié pour le moment. Le soi-disant accord de principe est une interprétation américaine unilatérale. Certaines de ses clauses ont été qualifiées par le principal négociateur iranien de «baratin»…».

Henry Kissinger et George Shulz considèrent en outre que parier, comme le fait Barack Obama, sur un comportement rationnel des acteurs au Moyen-Orient est extrêmement risqué. «Les modes de pensée passés dans le domaine de la stratégie nucléaire assumaient l’existence d’acteurs étatiques stables. Parmi les puissances nucléaires, les distances géographiques, l’importance des programmes et les considérations morales rendaient des attaques surprises inconcevables. Comment cette doctrine s’applique dans une région ou l’utilisation d’affidés non gouvernementaux est courante, les structures étatiques sont menacées et la mort dans le cadre du djihad est un accomplissement?».

Même Barack Obama a reconnu implicitement les limites de l’accord «historique» en faisant une gaffe lors d’une interview à la chaîne de télévision publique américaine NPR. Il a admis que même si l’Iran respecte les engagements pris «rien ne l’empêchera de se doter dans dix ans, à l’issue de l’accord, et en très peu de temps de l’arme nucléaire…». Le Département d’Etat a tenté de limiter les dégâts et expliqué ensuite que le Président avait été «confus».

 

Eric Leser

 

Source : Slate

 

 

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