Nouvelles d’ailleurs : Niébés sauteurs…

Le Nous Z'Autres est un niébé sauteur (équivalent mauritanien du pois sauteur des Toubabs). Un Homo Mauritanicus Sautillus, souple et délié, plein d'allant et en très grande forme physique. Il sait faire bien quatre choses : sauter, espionner, commérer, parler. Et, j'oubliais, manger. Accessoirement, se plaindre, draguer, dormir…

Les dernières semaines ont été consacrées aux «  sautages » en tout genre. Il y eut même un Tournoi International du Hodh consacré à cette discipline sportive. La très royale visite de notre Sultan dans les Hodhs a été l'occasion de faire redécouvrir, aux néophytes quelque peu paresseux et endormis, que nous sommes l'art du sautage en grand. Chaque apparition de notre Raïss fut l'occasion, pour tout un chacun, citoyen sauteur et enthousiaste, de montrer à notre chef descendu de Nouakchott-Plage, combien l'homme est un animal monté sur ressorts.

Et ça a sauté dans tous les sens, hystérie bon enfant et sportive. Certains sautaient et youyoutaient en même temps ; d'autres youyoutaient et tentaient de sauter, ce qui n'est pas donné à tout le monde, encore moins aux fumeurs. Des phénomènes arrivaient, même, et à youyouter, et à sauter, et à chanter des louanges, et à adresser deux mots à la gente dame à côté… On a même vu des handicapés, d'habitude recourbés sur leurs béquilles, la mine désolée et tristounette de ceux qui se tapent la marche en béquilles en terrain sablonneux, se découvrir, soudain, des guérisons miraculeuses et sauter au ciel, tout emplis de la joie de voir, enfin, notre Président venu multiplier les miracles, comme d'autres, en d'autres temps, multipliaient les petits pains…

L'étranger qui nous regarde ne peut comprendre cette aptitude à sauter devant notre Raïss. De loin, il ne voit que foule hystérique, désordonnée, bordel géant et course à l'échalote. Mais l'étranger, par définition, est un âne ignare des subtilités bien de chez nous. D'abord, chez nous, une visite présidentielle, c'est comme l'arrivée de la pluie après des années de sécheresse. Il suffit que notre Chef décide d'aller voir l'intérieur du pays, histoire de préparer une future campagne quelconque (hey, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !!!! Qui parle de présidentielle ????????? Pas moi…), pour que, soudainement, tout le monde soit pris de frénésie.

On prépare les drapeaux, on décroche du mur le portrait de notre Sultan, on l'époussette un peu, on essuie les quelques chiures de mouches. On sort son plus bel atour. Les hommes s'astiquent la moustache, les femmes se parfument. Dans les jours qui précèdent l'arrivée du Président, la province visitée voit débarquer, de 4X4 rutilants, tout ce que NKTT compte comme VIP et moins VIP… Faut dire qu'une visitation présidentielle est le lieu où tous les spécialistes des louanges se doivent d'être. Pour la plupart, ils connaissent par cœur le processus : ils l'ont fait avant, sous Taya… Les dinosaures qui vivent encore l'avaient pratiqué sous Haïdallah et, pour les momies sorties des placards, l'avaient fait sous Daddah… Laissons de côté ceux qui avaient sauté lors de la visite de De Gaulle, là, nous touchons des ères géologiques trop lointaines pour notre entendement…

Bref, une visitation présidentielle c'est mieux que la Guetna, c'est la grande transhumance, la caravane, le retour aux sources nomades de notre bonne vieille République dattière. Une fois les troubadours installés, on peut attendre l'arrivée du cortège. Et le jour J, c'est fiesta à tous les étages, open bar et Happy Hour, thé à demi-tarif, trémoussements et évanouissements. Vu que nous sommes un pays pudique, les femmes évitent de jeter leur culotte, en pâmoison… Cela ne se fait pas. C'est haram. Mais les dames n'en pensent pas moins, toutes pâmées devant le Héros de la Nation, le Commandeur des Nous Z'Autres. Et elles sautent. Ah, comme elles sautent, ces braves dames !

Les hommes ne sont pas en reste. C'est à qui sautera le plus haut, arrivant à s'extirper de la masse confuse de niébés sauteurs. Certains ont tellement été bouleversés par cette grand-messe extatique qu'ils en sont morts, écrasés par des voitures. Les voilà devenus martyrs du sautage. Que Dieu ait leur âme.

Et comme il y a la TVM, on saute encore plus haut. Faut pas pousser, hein ? Passer à la télé en train de sauter plus haut que les autres, ça c'est top ! Après toutes ces séances de sautages collectifs, on a les discours de tous les notables du coin visité qui nous expliquent, en long, en large et en travers, combien ils sont « heureux, fiers, reconnaissants, admiratifs… », envers « Son Excellence le Président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz », combien « avant, nous n'étions rien, aujourd'hui, nous sommes tout, El hamdoullillah, par la Volonté de notre Son Excellence Bien Aimée ».

Et pendant dix jours, tout le monde a sauté, du pauvre au riche, du grincheux au souriant, du paralytique au bien portant, de l'âne au chameau, de la mouche au cafard, de la fourmi à la grenouille, du papillon à la sauterelle. Oh, il y eut bien quelques empêcheurs de sauter en rond, venus protester, sans sauter, qu'ils crèvent de soif, qu'ils n'ont pas l'électricité… Mais ils furent noyés dans la masse des sauteurs, joyeux ambianceurs.

Heureusement que notre Sultan n'a visité que le Hodh ! Imaginez s'il avait décidé d'aller s'enquérir de l'Adrar, du Tiris, etc., qu'il ait décidé de longer les frontières, faisant sauter, en masse là aussi, les populations frontalières, qu'il ait eu envie d'aller voir si, dans la réalité des choses, notre pays a vraiment des angles non droits… Qu'il ait décidé d'aller visiter chaque village, chaque tente, chaque case, chaque maison, chaque campement, chaque boutique, chaque caserne, chaque prison, chaque mine, chaque école… Nous aurions assisté au sautage en chaîne, genre de Ola gigantesque, à des concours inter province de « qui veut sauter et peut sauter le plus haut ? ».

Bon, je ne suis pas sûre qu'à Zouérate, les grévistes de la SNIM aient sauté bien haut. Mais eux, ce sont des grincheux. Laissons-les à leur grève et à leurs fins de mois difficiles. Et je tire, de ces Jeux Olympiques du sautage, que, d'un, les habitants du Hodh ont fait, enfin, du sport et ça, c'est bon pour la santé et que, de deux, que les non-sauteurs, comme votre servante pas du tout humble, vont devoir peut-être s'y mettre, non ?

Je ne sais pas vous mais moi, je vais commencer l'entraînement dès cette chronique terminée. Premier objectif : sauter dans mon lit. Deuxième objectif, sauter dans un pot de Nutella ; troisième objectif, sauter sur un pied… sauter à la corde et sauter sur la terrasse, sauter sur le trottoir, sauter sous la douche, sauter sur un bel homme qui passe, sauter sous la lune, sauter dans l'eau de la mer, sauter à cloche-pied, sauter dans ma voiture, etc., etc. Est-ce que cela compte si je me contente, juste, de conjuguer le verbe sauter ? Salut !

 

Mariem mint Derwich

 

Source  :  Le Calame  (Le 2 avril 2015)

 

 

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