Début décembre j'avais écrit une note sur l'histoire des plaques du Bénin et de celle, indirectement, du royaume qui les avait créées. J'avais précisé que ce royaume se trouvait au Nigeria actuel et avais reçu des questions pour demander plus de clarifications. C'est vrai que le royaume précolonial du Bénin qui s'est épanoui entre le XIIe siècle et 1897 se trouvait dans ce qui constitue aujourd'hui le Nigeria.
La république actuelle du Bénin n'a donc rien à voir avec ce royaume mais pourtant les deux portent le même nom. C'est là le choix du président Mathieu Kérékou en 1975 de changer le nom de l'ancien Dahomey en Bénin.
Mathieu Kérékou n'était pas le premier ni le dernier à s'inspirer du passé précolonial pour renommer son pays. Son précurseur était Kwame Nkrumah qui avait rebaptisé la colonie de Gold Coast (Côte-de-l'or) en Ghana. Comme dans le cas du Bénin, les liens entre l'ancien et le nouveau Ghana étaient ténus voire inexistants. La république du Ghana est bien différente de l'empire du Ghâna qui dominait des territoires situés entre la Mauritanie et le Mali actuels du IXe au XIIIe siècle. Le Mali est lui aussi un nom repris à un empire précolonial puisqu'il s'agit d'un empire qui a dominé des territoires situés principalement le long du fleuve Niger entre le XIIIe siècle et le XVIe siècle. Cette fois-ci, il existe un lien territorial entre les deux Mali mais le lien politique est plus difficile à trouver. Enfin, en 1980, c'est le nom de Zimbabwe qui est choisi pour l'ancienne Rhodésie du Sud. Il fait ainsi référence au nom de la ville bâtie en pierre entre les XIVe et XVe siècles dans le territoire actuel du pays (pour des détails sur ces royaumes précoloniaux, voir la collection de l'Histoire Générale de l'Afrique de l'UNESCO disponible gratuitement en ligne).
Ces changements de noms sont l'une des conséquences indirectes de la décolonisation en Afrique. Certains pays essayent de s'affranchir du passé colonial pour faire référence à un passé autrement plus glorieux et surtout plus africain. L'idée est assez simple : en changeant de nom, le passé colonial est effacé même si c'est au prix d'approximations historiques et/ou géographiques. Prouver la filiation politique entre le Mali actuel et l'empire du Mâli est difficile. C'est le prestige historique qui compte. C'est un peu comme si le 21 septembre 1792, les députés révolutionnaires avaient rebaptisé la France, République romaine. Il existe un héritage culturel et linguistique mais politiquement les situations sont bien différentes.
Surtout, l'argument principal derrière le changement de nom est de montrer que la colonisation était un moment insignifiant par rapport à la longue histoire de l'Afrique. Que valent les 60 ou 70 années de colonisation européenne au vu des siècles d'histoire de royaumes comme ceux du Bénin ou du Ghana ? C'est vrai qu'hormis certaines parties côtières de l'Afrique, de l'Afrique du Sud ou de l'Algérie, la colonisation n'a duré que tout au plus deux ou trois générations. Certaines personnes nées à la fin du XIXe siècle ont pu ainsi traverser toute la période coloniale pour finir par connaitre l'indépendance de leur pays.
C'est cette question qu'a cherché à capturer l'historien nigérian Jacob Ajayi en parlant de la colonisation comme un 'épisode' de l'histoire de l'Afrique. Les effets transformateurs de la colonisation ne sont pas niés mais c'est leur relativité qu'il a ainsi cherché à exprimer. Donner un nouveau nom à un pays en Afrique revient donc à se replacer dans une trajectoire historique qui n'exclut pas la colonisation mais qui en montre son importance relative. C'est aussi un outil politique dans la main de chaque dirigeant politique soucieux de capter le prestige de ses illustres prédécesseurs sur le continent.
Vincent Hiribarren
(Photo : La mosquée de Djenné au Mali – Flickr)
Source : Liberation (France)
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