Il y a des êtres dont l'essence morale est marquée sur les traits. Boubacar Ould Messaoud est de ceux-là, transparents et sincères dans l'engagement qu'ils ont fait leur. Une puissance et une volonté inébranlables dans son combat, qu'une humble discrétion n'altère pas.
Même pas deux emprisonnement, en 1998 (condamné à 13 mois de prison puis amnistié sous la vigueur de la pression internationale en faveur de sa libération) et en 2002 (arrêté à son domicile de Nouakchott, en présence du premier conseiller de l’ambassade des Etats-Unis, et de quelques témoins, suite à une intervention sur les ondes de Radio France internationale). Il y a cinq ans, presque jour pour jour, il était déclaré par le département d'État américain «héros de la lutte contre l'esclavage et la traite des personnes des temps modernes». Entretien avec un combattant anti-esclavagiste, un des tous premiers du pays.
Depuis quand luttez-vous contre l'esclavagisme ?
Je lutte contre l'esclavagisme depuis que j'ai pris conscience de cette réalité qui m'entoure, un peu avant mon adolescence. J'ai 70 ans aujourd'hui, donc ça fait un long moment. Vous continuez à dénoncer ce phénomène.
Comprenez-vous le négationnisme des autorités par rapport à cela ?
L'état continue à nier l'existence de l'esclavage, pour se conformer certainement à cette position de l'état, déclarée à plusieurs reprises par le président de la République. Les juges d'instruction requalifient systématiquement les cas qu'on lui porte, comme du «travail de mineur non-rémunéré». Ceci fait qu'on n'a quasiment pas de cas repris et condamnés par la justice.
Il n'y en a eu qu'une seule : en 2011, une famille, dont l'un des membres a été condamné à 2 ans de prison. Le Parquet a fait appel, et nous de même. Ce monsieur ne fera finalement que deux mois de prison. Entre temps, et je le signale avec force, la rapporteuse spéciale de l'ONU de l'époque, sur les formes contemporaines de l'esclavage, qui est venue ici, a constaté qu'un individu était en prison pour pratique esclavagiste, et a estimé, à tort, qu'il y avait une jurisprudence. Deux mois après le départ de la rapporteuse, il est mis en liberté provisoire, liberté provisoire qui perdure jusqu'à ce jour.
Il y a d'autres cas pendants devant la justice, qui dénotent une mauvaise volonté politique et judiciaire évidente de lutter contre l'esclavagisme. Une mauvaise volonté encore plus évidente au vu du refus de donner la possibilité aux ONG de se porter partie civile. On hypothèque les chances de la victime d'avoir une justice. Or, tant que cela ne sera pas fait, la loi criminalisant l'esclavage ne sera qu'un amas inutile de mots. Qui juge ? D'où sont issus les prétendus «indépendants» juges d'instruction ? Ils sont issus des classes dirigeantes encore largement féodales, et donc propriétaires elles-mêmes d'esclaves. Il est donc difficile pour eux de concevoir qu'on puisse arrêter et juger quelqu'un qui pratique l'esclavage. C'est une évidence culturelle et historique à leurs yeux. La question de l'égalité n'a jamais été posée pour eux. Les formes de rapports traditionnels n'ont jamais été contestées et déconstruites dans la tête des gens.
Et les religieux dans cela ?
L'esclavage a été instrumentalité par les religieux de ce pays, qui ont une mainmise psychologique et morale sur la majorité du pays analphabète. Pour une large majorité des esclaves, c'est un devoir sacré d'obéir à son maître. C'est une condition sine qua non selon leurs esprits trompés par ces thuriféraires de la religion, d'accéder au Paradis. Bien sûr, l'Islam n'a rien à voir avec ça ! Ce sont des individus qui travestissent pour leurs intérêts personnels et tribaux, les propos divins. Ce qui fait que toute la société mauritanienne ignore ce fait social. On n'en parle pas.
Même dans les communautés noires-mauritaniennes ?
Même dans la société négro-mauritanienne. L'esclavage y est moins visible, avec une forme essentiellement de castes, mais tout aussi condamnable. Là encore, un discours d'égalité n'a pas été construit pour faire pièces au caveau où sombre la pensée féodale. Les esclaves eux-mêmes se regroupent en tant qu'esclaves et sont fiers de revendiquer ce patronyme, et prétendent demander aux autres, «nobles», leurs dûs, ce qu'on donne aux misérables : des petits cadeaux aux mariages ou baptèmes, et ils s'en orgueillissent. Cette société noire-mauritanienne encore profondèment traditionnelle, avec des intellectuels lâches, je dis bien "lâches", parce qu'ils n'évoquent pas la question, le plus souvent étant du bon côté de la barrière. Ils ont des diplômes, des doctorats, ils ont vu le monde, mais ils ne parlent pas de ce fait de castes dites «inférieures», qui gangrène leur réalité.
A cause de cela, dans notre histoire récente, on constate qu'il a toujours été impossible pour un esclave de se libérer et s'émanciper dans son propre milieu. Car dans son propre milieu, tout le monde l'insulte, le montre du doigt, même ceux de sa propre caste ! «Comment !? Tu oses te rebeller contre ta condition. Qui es-tu ? Qui sont tes parents ? Qui sont tes grands-parents ? Des esclaves tous ! Et toi tu oses te rebeller !?». Voilà l'essence du discours qu'ils entendent. Pour vous dire jusqu'où va l'aliénation ! Surtout quannd on mêle le fatalisme qu'on veut nécessairement, dans tous les cas de figure, lier à la volonté d'Allah. Allah n'est pas responsable des faillites de nos actions et de nos idées. C'est bien pour cela qu'il y a un Jugement Dernier : répondre de ces actes et idées.
Quelle issue observez-vous pour les hommes ou femmes, qui veulent s'en détacher ?
La seule issue pour ces nouveaux hommes libres, c'est la fuite, notamment et particulièrement dans la société maure. A moins de se faire affranchir par le maître, ce qui n'est à mon sens, qu'une technique de gestion de l'esclavage.
Comment cela ?
Source : Mozaikrim
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