Nouvelles d’ailleurs : Républiques et autres…

Chez nous, en Afrique, rien n'est plus étrange et fort complexe que le rapport que nous entretenons avec la politique et la gouvernance. Nous n'avons que le mot démocratie à la bouche mais nous avons inventé le coup d'Etat permanent, sorte de modèle vertueux, perpétuel recommencement où nous conjuguons, à toutes les sauces, « L'Homme providentiel », arrivé au bon moment, au bon endroit et fort, la plupart du temps, de ses galons et de la couleur de son uniforme et, fait qui a de l'importance dans la stratégie de la conquête du pouvoir, de son influence ou non dans les milieux militaires.

 

Nous avons, Nous Z'Autres Africains, les armées les plus républicaines qui soient. Et le plus grand nombre d'hommes providentiels au centimètre carré. Face à ce truc fumeux et peu compréhensible que nous appelons, pudiquement, la « Société Civile », se trouve une secte aux gentils membres et organisateurs, l’« Armée d'Afrique ». A chaque pays son homme providentiel, venu faire tomber la tyrannie, remettre les pendules à l’heure, réapprendre aux vents à souffler dans le bon sens et aux oiseaux à voler dans la bonne direction.

Chaque homme providentiel « rectifie » – concept bien à nous, marque déposée – un autre devenu, par la force des choses, ex-rectificateur. Jusqu'au prochain Rectificateur qui ne sait pas encore qu'il rectifiera, tout occupé à faire ses classes militaires et à apprendre le maniement du fusil en bois… Son temps viendra mais il l'ignore… Pour le moment, il fait de la marche-commando et profite de ses permissions pour draguer tout ce qui bouge, auréolé du romantisme inhérent au port de l'uniforme… Laissons donc cet innocent à ses apprentissages du « Un, deux, marquez le pas ! »

Nous avons décidé, une bonne fois pour toutes, qu'il n'était plus besoin de crier au scandale au moindre colonel ou général qui s'installe au sommet d'un pays… L'Union Africaine a bien tenté, un moment, d'interdire à nos armées républicaines l'exercice du pouvoir. Puis a abandonné, pragmatique parmi les pragmatiques… Que dire à un galonné qui putsche, quand c'est un ancien putschiste qui représente l'Union Africaine ? Comment sermonner un militaire quand, partout où notre regard porte, nous ne voyons que coups d'Etat et hommes providentiels ? Ce qui rend les exemples de gouvernance sénégalais, sud-africain et, en particulier, tunisien fort anachroniques, frisant le suicide et l'inconscience.

La Tunisie, pourtant, nous montre la voie : voilà un pays qui se construit, tant bien que mal, dans des soubresauts parfois sanglants, une gouvernance, un idéal politique de gestion d'une Nation. Sans que l'armée intervienne… Cela me fait tout drôle d'écrire cela. J'ai l'impression de parler d'une autre planète. Notre voisin et ami sénégalais fait de même et, jusqu'à preuve du contraire, n'a pas subi une des sept plaies d'Egypte…. Ouais, me direz-vous, mais ça, c'est le Sénégal, la Tunisie et l'Afrique du Sud. Nous, nous sommes des Nous Z'Autres mauritaniens, habitants d'une joyeuse contrée remplie de joyeux drilles qui ne font jamais comme les autres.

Personne ne nous rend hommage. Personne ne nous cite en exemple même de l'ingéniosité. Non seulement nous avons eu et avons encore notre homme providentiel, mais, en plus, avons développé un système politique atypique, spécifiquement Nous Z'Autres. Nous sommes forts, trop forts ! Faut dire que nous sommes partis de rien, mais vraiment de rien : quelques arpents de sables hostiles, de scorpions, vipères à cornes, terres arables et marigots ; un fleuve, un océan, trois ou quatre « villes », des bourgades, en fait. Pas de pouvoir politique centralisé, pas d'empereur, roi ni même grand Manitou.

Mais nous possédions « La » tribu, ses « habitants » et ses ennemis. Et, niébé sur le haco, les ethnies… Nous étions des sociétés en marge de tout. C'était sans compter notre instinct de survie. De ce no man's land de la marge, nous avons réussi à inventer un immense réseau commercial. Chaque groupe et chaque tribu se spécialisant dans le commerce ! Nous avons inventé le capitalisme, bien avant les capitalistes eux-mêmes, réalistes et géniaux que nous sommes, forts du principe que l'argent existe et qu'il est bien d'aller le capter.

Ok, les hommes providentiels à uniforme sont arrivés mais, quand on regarde d'un peu plus près, ils sortent quasiment tous de tribus commerçantes. Comme quoi, qui tient le commerce tient le pouvoir. Exit les lettrés, savants, marabouts et autres amoureux du Verbe ! Nous sommes tellement forts que nous arrivons à faire croire au militaire commerçant qui prend le pouvoir que c'est lui qui gouverne. A lui, on lui laisse les voyages à l'étranger, les pauses-thé avec les grands de ce monde, les honneurs de la télé et de l'AMI… mais, chez nous c'est la tribu qui gouverne.

Alors, je propose qu'on invente, de façon officielle, une nouvelle gestion politique : chaque ethnie, chaque tribu doit prendre son indépendance officielle.  A savoir s'il faut calquer les frontières sur nos régions : cela demande un vaste débat que je n'ose entamer… A ma gauche les tribus dites maures. L'honnêteté voudrait que chacune possède son puits central et son territoire, ses dunes et ses gazras. A chacune son chef. Ne me demandez pas si ce chef se doit d'être noble ou pas. Cela relève de la politique intérieure de chaque territoire tribal.

A chacune, ses alliés, ses amis, ses ennemis, sa politique intérieure et extérieure et ses ennemis de l'extérieur. Comme nous aimons l'ordre, chaque nouvelle république tribale se dépêcherait d'officialiser, enfin, ses castes… Chacun à sa place et les moutons seront bien gardés. Au Sud, nous aurions la République Soninké, gérée par les Horés, chantée par les Geseru (griots), et chaussée par les Garanko (cordonniers). A ses frontières, la République Halpulaar, elle-même gérée par les Toorobbé, épaulés par les Subalbé, toute cette élite faisant partie, de bien entendu, des Rimbés, Etat encensé par les Awlubbé (griots)… Tout autour des territoires tribaux : la République des Tadjakent, revenus dare dare d'Angola et des mines de diamants, la République des Oulad Bou Sbaa, la République des Ideyboussat, etc., etc. Ainsi de suite. Chacune louangée par son Iggiw officiel et entretenue par ses haratines.

Et, tout au-dessus, histoire de conférer une sorte de liant, un homme providentiel qui ne gérerait que la concorde et la stabilité. Premiers pas vers une monarchie mais, ça, c'est pour plus tard…. Il faut laisser le temps, aux contes officiels, de s’inventer une mémoire historique. Histoire de vous laisser le temps de digérer tout cela, je vais aller réfléchir, sérieusement, à ma République, la mienne, à moi toute seule. J'ai les idées mais pas encore les moyens. Le lieu où poser mon drapeau ? Quelque part en plein milieu de la BMD. Mon hymne ? Kham. Ma monnaie ? Kham. Mes ministres ? Re-kham. Mes sujets ? Il y a déjà moi, ce qui est énorme. Mes castes ? Kham, kham, kham mais j'ai déjà mon planton.

Je viens de relire mon papier et, tout à coup, je me dis : ces « républiques » me semblent fort familières…. Mais où les ai-je déjà vues ? Kham….

Salut

 

Mariem mint DERWICH

 

Source  :  Le Calame  (Le 27 novembre 2014)

 

 

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