Obama, candidat du changement, président de la transition

Rapidement dépossédé de sa majorité, confronté à la crise économique et entraîné dans des guerres qu'il n'avait pas choisies, le 44e président des Etats-Unis semble avoir déçu son pays.

 

« L’une des choses que j’ai appris à apprécier de plus en plus en tant que Président, c’est que vous êtes, pour l’essentiel, un nageur de relais dans une rivière traversée de rapides; et cette rivière, c’est l’Histoire. Vous ne partez pas d’une page blanche et ce que vous commencez à écrire pourrait ne pas s’accomplir dans votre horizon de temps. Mais vous pouvez faire avancer les choses. Et, parfois, les petites choses deviennent finalement des grandes choses.»

Il n’est pas d’usage qu’un président des Etats-Unis théorise sa propre limite au cours de son mandat. Il le fait souvent a posteriori, dans ses mémoires ou un livre d’entretiens, publié après son départ de la Maison-Blanche.

Au-delà d’une classique méditation sur les contraintes du pouvoir, ces propos de Barack Obama, rapportés lors d’un rare moment d’intimité avec un journaliste du New Yorker en novembre 2013, sonnent déjà comme un premier avis autorisé –et désabusé?– sur sa présidence, très loin de la rhétorique du changement scandée au cours des campagnes victorieuses de 2008 et 2012.

A vingt-sept mois de l’élection de 2016 commencent en effet à se dessiner les contours d’une présidence frappée du sceau de la contrainte et entravée par un tourbillon de vents contraires qui expliquent en partie la déception ressentie par le peuple américain. Avec un pourcentage d’opinions favorables de 41% après six ans de mandat, le président se situe au-delà de George W. Bush (37%) mais très en-deça de Bill Clinton (65%) et Ronald Reagan (63%).

Etrangement, le «moment» Obama pourrait bien être celui d’une transition que le président américain a accompagnée plus que du changement qu’il avait prophétisé. 

Crise économique et paralysie législative

L’accession à la présidence de Barack Obama, rappelons-le, a été lourdement entravée par la contrainte économique. Investi sur les marches du Capitole en janvier 2009 au plus fort de la crise –le PIB est alors en recul de 6,1%, un record depuis 1971– Barack Obama n’a d’autre choix que d’utiliser l’arme budgétaire de la relance, le débat portant essentiellement sur l’envergure du stimulus.

 

 

 

Au cours du premier mandat, l’heure est à la gestion de crise plus qu’aux grands desseins et il faut attendre la mi-2012 pour que le taux de chômage repasse sous la barre des 8%, quelques mois avant l’élection présidentielle. Si ce taux se situe aujourd’hui à 6%, cet apparent bon résultat masque l’échec du président à endiguer la montée des inégalités, pourtant une priorité affichée de son second mandat (le «nation building at home»). En 2014, 5% des ménages possèdent 63% de la richesse du pays, contre 54% en 1989.

Sur le front législatif, vite dépossédé de sa majorité à la Chambre des Représentants, Obama n’a plus été en mesure de faire voter un texte, hors lois de finance, depuis 1.500 jours, un record pour un Président depuis 1945. Dans un contexte marqué par l’extrême polarisation du champ politique, le compromis bipartisan –pierre angulaire du système présidentiel américain– a cédé la place à une opposition frontale, ponctuée d’ultimatums (sur le niveau des dépenses) et d’accords de dernière minute (sur le relèvement du plafond de la dette) qui ont achevé d’éroder la confiance du peuple américain à l’égard de Washington.

Deux textes majeurs ont cependant été adoptés: le premier sur la santé, dont les premiers effets positifs se font sentir avec une baisse du nombre d’Américains non assurés; le second sur la réforme du système financier, qui a permis de mieux protéger les consommateurs contre les produits financiers à risque et a réduit le risque systémique en forçant les banques à augmenter les fonds propres dans leur bilan. 

Reste que cette paralysie législative laisse nombre de sujets en jachère: réforme fiscale, loi sur l’immigration, contrôle des armes, environnement; autant de textes qu’Obama ne pourra probablement pas faire voter d’ici la fin de son mandat, et alors même que l’hypothèse d’un basculement de Sénat dans le camp républicain lors des élections de mi-mandat de novembre apparaît de plus en plus probable.

Fin de l’hyperpuissance

Transition, ensuite, sur le front extérieur. On ne saurait oublier que les guerres d’Obama furent d’abord celles qu’il n’avait pas choisies.

Héritage de la période Bush, les interventions américaines en Afghanistan et en Irak ont imposé à l’administration une lente et difficile phase de transition symbolisée par un retrait progressif des deux pays sans que leur stabilité, en particulier pour l’Irak, ne soit assurée. Contraint d’assumer un legs aussi encombrant qu’inextricable, Obama a ainsi largement consacré son premier mandat à un périlleux désembourbement, que l’avancée djihadiste de l’organisation Etat islamique remet sur le devant de la scène, sans réelle solution à court terme autre que l’endiguement.

Mais quelle que soit l’épithète accolée à la politique étrangère d’Obama –prudente, molle, réaliste–, celle-ci témoigne d’une certaine cohérence. Marquée par la crainte de l’engagement, instruite par les précédents afghans et irakiens, légitimée par le recours aux drones comme un substitut à la projection terrestre, cette politique peu encline à s’impliquer directement dans un conflit sans influence évidente sur les intérêts nationaux du pays est partagé par une majorité d’Américains, marqués par le syndrome de «war fatigue». Ce choix de la retenue, au demeurant conforme à la vision qu’avait développée le Président lors de la campagne de 2008, est également révélateur d’une Amérique en quête d’un nouveau modèle stratégique, alors que la parenthèse de l’hyperpuissance se referme.

Cette transition entre l’hyperpuissance post-Guerre froide, finalement de courte durée, et une période de domination moins nette, progressivement érodée par la Chine, nécessite rien moins qu’une réinvention d’un nouveau «nouvel ordre mondial». En ce sens, la gestion complexe du pivotement vers l’Asie ne peut être analysée dans un horizon de temps présidentiel, fût-il de huit ans. Tel est pourtant l’entre-deux que Barack Obama doit gérer, dans un monde aux menaces multiples et fragmentées, sans certitudes acquises et sans vision unificatrice ; autant d’éléments auxquels ses prédécesseurs pouvaient se raccrocher, pour le meilleur et pour le pire (l’URSS sous Reagan, le nouvel ordre mondial de Bush Sr., «l’axe du mal» de W.).

Sans doute aussi marqué par l’échec du reset avec la Russie et le piétinement continu des négociations de paix au Moyen-Orient, Obama a-t-il choisi d’assumer les incertitudes liées à cette transition plutôt que de s’obstiner à la devancer… nourrissant ainsi les virulentes critiques dont il fait l’objet sur sa passivité et son déficit de leadership. Le Président de la première puissance mondiale ne saurait être un nageur de relais, dit-on à Washington. 

Mais n’y a-t-il pas là, au contraire, une forme de maturité et d’humilité salutaires en acceptant, au fond, qu’en période de recomposition toute doctrine stratégique trop dogmatique est irrémédiablement vouée à une rapide péremption?

Toute présidence est par essence marquée par son inachèvement; celle d’Obama n’échappera pas à la règle. Peut-être est-ce moins les choix, raisonnés, que l’attitude, vélléitaire, d’Obama qui expliquent l’impression de flottement et d’indécision qui ont jusqu’à présent nimbée la présidence du 44e président des Etats-Unis. Il reste deux ans au Président pour définir les contours définitifs de son héritage. Dont l’héritière pourrait bien être Hillary Clinton.

S’il devait advenir, le passage de flambeau entre les deux anciens adversaires serait teinté d’une ironie quelque peu cruelle: l’apôtre entravé du changement transmettrait la flamme à une survivante politique plus volontariste sur le plan diplomatique au commande d’un pays à la santé économique retrouvée.

 

Anatole Peny

 

(Photo : Barack Obama, le 9 août 2014. REUTERS/Youri Gripas.)

 

Source : Slate (France)

 

 

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