MÉDIAS : Facebook, dis-moi quels articles je lirai aujourd’hui

En maîtrisant la formule qui prédit quelles publications vont s'afficher sur les fils d'actualité de ses utilisateurs, Facebook dispose désormais d'un pouvoir énorme sur l'information. Et tient en partie le sort des sites d'information entre ses mains.

 

Si vous lisez cet article, c'est probablement parce que Greg Marra a calculé que c'était le genre de choses qui vous plairait.

M. Marra a 26 ans et il est ingénieur chez Facebook. Son équipe conçoit le code qui détermine le news feed, le fil d'actualité, de photos, de vidéos et d'articles que voient les utilisateurs. Greg Marra est, par la même occasion, en train de devenir l'une des personnes les plus influentes du secteur de l'information.

Environ 1,3 milliard de personnes, soit un cinquième de la population mondiale, se connecte sur Facebook au moins une fois par mois. Le réseau génère jusqu'à 20 % du trafic vers les sites d'information, selon le cabinet d'analyse SimpleReach. Le pourcentage est encore plus élevé sur les appareils mobiles, qui constituent la source de lecteurs dont la croissance est la plus rapide et en constante progression.

Un monstre qui dispose d'un énorme pouvoir

Facebook est en train de devenir à l'information ce qu'Amazon est à l'édition : un monstre qui brasse des millions de consommateurs et dispose d'un énorme pouvoir. Aux Etats-Unis, 30 % des adultes s'informent via Facebook, selon une étude du Pew Research Center. En bref, le sort d'un site d'information dépend de ses performances sur le news feed de Facebook.

Même si d'autres services, Twitter et Google News entre autres, sont également influents, Facebook est à la pointe d'un changement fondamental dans la consommation de l'actualité. La plupart des lecteurs ne viennent pas à l'information par l'édition papier ou le site des journaux et des magazines, mais par les médias sociaux et des moteurs de recherche alimentés par un algorithme, une formule mathématique qui prédit ce que les utilisateurs pourraient avoir envie de lire.

Les ordinateurs, nouveaux rédacteurs en chef ?

La page d'accueil d'un média sera bientôt plus une vitrine qu'un point d'entrée pour les lecteurs, explique Edward Kim, l'un des fondateurs de SimpleReach. "Les gens ne tapent plus washingtonpost.com, précise Cory Haik, qui est responsable de l'actualité numérique au Washington Post. Ils passent par une recherche et les réseaux sociaux."

Les ordinateurs peuvent-ils sélectionner et présenter l'information, un rôle que jouaient auparavant les rédacteurs en chef ? Quelles sont les implications sur la façon dont les gens consomment l'information, et donc voient le monde ?

Nous rencontrons M. Marra au siège de Facebook, un site gigantesque où les salariés naviguent entre les bâtiments avec une sorte de grosse voiture de golf automatique. Il ne songe pas trop à l'impact qu'il a sur le journalisme.

"On essaie expressément de se considérer comme des non-journalistes, confie-t-il. On ne veut pas avoir de jugement éditorial sur le contenu qui est dans votre feed. Vous avez choisi vos amis, vous vous êtes connecté sur les pages auxquelles vous vouliez vous connecter et c'est vous qui êtes le mieux placé pour décider des choses qui vous intéressent."

Identifier ce qui plaît le plus aux utilisateurs

Une fois par semaine environ, son équipe de 16 personnes ajuste le code informatique complexe qui décide que montrer à un utilisateur quand il ou elle se connecte pour la première fois sur Facebook. Ce code repose sur des "milliers et des milliers" d'indicateurs, explique M. Marra, par exemple le type d'appareil utilisé, le nombre de commentaires ou de "j'aime" qu'un article a reçus et le temps que les lecteurs passent sur un article.

L'objectif, c'est d'identifier ce qui plaît le plus aux utilisateurs et les résultats varient selon les différentes parties du monde. En Inde, les gens ont tendance à partager des sujets "ABCD" : astrologie, Bollywood, cricket et divinité.

Facebook construit ses relations avec la presse de façon que chaque partie en tire un bénéfice : quand un média fait la promotion de son contenu sur Facebook, les utilisateurs de celui-ci ont plus de choses intéressantes à lire et le média voit le trafic sur son site augmenter. Nombre d'entre eux, par exemple le New York Times, ont rencontré des responsables de Facebook pour discuter de la façon d'améliorer leur trafic par le biais du réseau social. Quand le trafic augmente, la publication peut augmenter ses tarifs publicitaires ou convertir certains de ses nouveaux lecteurs en abonnés.

"C'est comme ça qu'on se retrouve avec des théories du complot"

Pour Facebook, plus les utilisateurs passent de temps sur le réseau, plus on a de probabilités de voir un échange intense de divers points de vue et d'idées en ligne. Certains craignent en revanche que les utilisateurs ne créent leurs propres chambres d'écho et filtrent les reportages avec lesquels ils ne sont pas d'accord. "Et c'est comme ça qu'on se retrouve avec des théories du complot", explique Sean Munson, qui étudie le croisement entre la technologie et le comportement à l'université de Washington.

M. Marra convient que l'idéal serait d'avoir un journaliste humain pour chaque individu. "Mais ce n'est pas réaliste à l'échelle de la planète. Je pense donc qu'on aura toujours des systèmes hybrides comme le news feed, qui vous aident à trouver les choses qui vous intéressent." C'est simplement "un journal personnalisé".

 

Ravi Somaiya

 

(Photo : Des gens ont les yeux rivés sur leur téléphone dans un musée en Chine – Flickr/Michael Davis-Burchat)

 

Source :  The New York Times via Courrier international

 

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