Le pays a réussi à éradiquer le virus grâce à une surveillance implacable des malades et des contacts.
Lundi 20 octobre, ce petit triomphe devrait enfin devenir officiel : après le Sénégal, l'Organisation mondiale de la santé devrait déclarer le Nigeria " Ebola free ", signifiant qu'aucun cas n'est apparu dans la période d'incubation maximale du virus, et que le pays, touché en juillet, est parvenu à se débarrasser de la fièvre hémorragique. Au total, le virus a infecté vingt personnes dont huit mortellement.
Comme aux Etats-Unis, un seul malade avait introduit le virus sur le territoire national. Patrick Sawyer est arrivé à Lagos le 20 juillet en provenance du Liberia, après un vol avec escale, espérant qu'on sauverait sa vie au Nigeria. Il était déjà si affecté par la maladie qu'il s'est littéralement effondré à l'aéroport de Lagos, une mégapole de près de 20 millions d'habitants, avec de nombreux bidonvilles, où la contagion aurait pu tourner au désastre. Mais Patrick Sawyer a été identifié dès l'aéroport.
18 500 visites
Ce fut la première chance du Nigeria. Il a été aussitôt transféré au First Consultant Medical Centre, où il a contaminé onze personnes. De là, cercle après cercle, l'épidémie aurait pu se déployer, mais des mesures ont été prises, aux niveaux national, local, et parmi les associations, pour bloquer l'enchaînement de la contagion. Un effort national désormais source d'inspiration dans d'autres pays.
Face à Ebola, le temps est une affaire vitale. Au Nigeria, une organisation rigoureuse a été mise en place en urgence pour identifier tous ceux et celles qui pouvaient avoir été exposés à une possible contamination. Huit cents personnes au total ont été placées sous surveillance. Ce réseau de cas potentiels a été identifié grâce à des enquêtes, mais aussi par la surveillance des appels téléphoniques, autorisée par décret présidentiel. De plus, un groupe de contact tracers, ces enquêteurs chargés d'établir les contacts des personnes susceptibles d'être exposées à une contamination, puis de vérifier si elles développent la maladie, a été mis sur pied.
Selon les Centres de contrôle et de prévention des maladies d'Atlanta, 18 500 visites ont été réalisées par ces équipes constituées de volontaires ou d'agents du secteur médical. Rien de tout cela n'aurait été possible sans la coopération entre les autorités fédérales et celles de l'Etat de Lagos, l'appui de la Fondation Gates à un centre médical bien équipé, et d'énormes bonnes volontés. Mais les contact tracers ont aussi bénéficié d'un coup de pouce, celui d'une application, eHealth, développée par la filiale locale de la société américaine eHealth and Information Systems.
Cartographie de la maladie
Grâce à cette application de santé publique, une partie d'entre eux ont été équipés (gratuitement) d'un téléphone ou d'une tablette pour faire remonter les résultats de leurs enquêtes au jour le jour.
Le 20 août, Adam Thompson, le responsable local d'eHealth, parvenait à faire distribuer les premiers appareils aux équipes d'enquêteurs de santé. " Cent personnes ont été équipées dans l'urgence ", se souvient-il. L'application permet de recenser les cas, puis de transmettre les données recueillies au ministère de la santé. Dans la région de Lagos, les bailleurs (privés) d'eHealth, qui fonctionne comme une ONG, ont financé l'opération. Dans l'Etat de Rivers (zone de production de pétrole), où une personne venue de Lagos avait ouvert un nouveau foyer de contamination, le gouverneur a appuyé financièrement le projet pour juguler l'épidémie au plus vite et éviter de mettre en danger, par la même occasion, l'industrie pétrolière. " A présent, nous déployons le système au Liberia pour une expérience pilote ", explique Adam Thompson. L'application sera bientôt disponible en chargement libre et gratuit.
Un système comparable, mHealth, va être déployé au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée puis dans d'autres pays de la région, de manière préventive. Il est développé par la société Ericsson. Avec l'aide de la Fondation Idea d'Adam Hashem (qui est aussi l'un des responsables d'Ericsson en Afrique de l'Ouest), et du Earth Institute de Jeffrey Sachs, l'idée a germé d'acheter des téléphones en Chine, d'y télécharger mHealth, de nouer des partenariats avec les compagnies de téléphone portable pour leur permettre de communiquer, et d'en équiper des acteurs locaux des services de santé. Un premier lot de 1 400 téléphones est sur le point d'être distribué.
A terme, il devrait y en avoir 40 000 pour la région. Le calcul est de s'appuyer sur ces agents, intégrés dans leur propre communauté, pour relayer des informations sur les cas de contagion et affiner la cartographie détaillée de la maladie, tout en maintenant un canal de communication. Comparée au système déployé au Nigeria, la formule développée avec eHealth s'attaque à une plus grande échelle et comporte plus d'inconnues, dans les pays touchés de plein fouet par l'épidémie, où " signaler " un cas fait parfois l'objet de résistances.
En aucun cas, mHealth ne prétend enrayer la propagation d'Ebola. " C'est seulement lorsque le nombre de lits d'hôpital disponibles dépassera le nombre de malades que nous pourrons dire qu'Ebola est sous contrôle ", a déclaré le ministre sierra-léonais des affaires étrangères devant la dernière Assemblée générale des Nations unies, ajoutant : " Ce combat est le combat de tous. Nous devons prouver que l'humanité peut être source d'égalité face à ce défi lancé à notre existence collective. "
Jean-Philippe Rémy
(Photo : STRINGERREUTERS)
Source : Le Monde
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