Ce regain d'activité serait lié à l'ouverture de discussions à Alger entre Bamako et les groupes armés, et à la baisse du nombre de soldats français.
Le mode de communication est rudimentaire, sanglant et destiné à marquer les esprits. La tête de Hama Ag-Sid Hamed a été suspendue, mardi 23 septembre, sur la place du marché de Zouera, à 80 kilomètres au nord de Tombouctou, au Mali. En décapitant cet homme, enlevé quelques jours plus tôt avec quatre autres Touareg finalement libérés, les membres de la katiba Al-Forkane d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), selon une source dans la zone, ont envoyé un message clair : quiconque collaborera avec les soldats français de l'opération " Barkhane " au Sahel ou les casques bleus connaîtra le même sort.
Ce n'est pas la première fois qu'un présumé informateur des forces étrangères est assassiné dans le nord du Mali, mais ce crime intervient alors que les djihadistes multiplient les actions ces dernières semaines. " C'est incontestable : les terroristes et les djihadistes, et sans doute aussi les trafiquants, ont repris du poil de la bête ", s'est alarmé, samedi 27 septembre, Hervé Ladsous, le patron des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
Le temps n'est plus aux rezzous en 4 4, mais à des actions de guérilla qui " se professionnalisent ", selon une source onusienne. Discrets, évitant l'affrontement et bénéficiant de complicités locales, les combattants islamistes circulent essentiellement à moto et leurs cibles privilégiées sont les casques bleus tchadiens postés dans le nord-est du pays.
Alors que la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) avait perdu onze soldats en un an, rien qu'en septembre, dix Tchadiens ont péri dans trois explosions de mines ou d'IED (engins explosifs improvisés). Ces nouvelles victimes ont provoqué la colère de N'Djamena — qui a menacé de retirer ses troupes utilisées " comme bouclier aux autres forces positionnées plus en retrait " — et un vent de panique à l'ONU, qui n'a guère de solutions de rechange à Kidal, Aguelhok ou Tessalit.
Routes minées
" A la prochaine attaque, ils partiront et personne n'est prêt à envoyer des soldats dans cette zone ", s'inquiète une source au sein de la Minusma, qui compte désormais près de 9 500 soldats et policiers. " L'urgence, c'est de trouver des blindés aux Tchadiens ", confie un responsable de la mission. La principale poche d'instabilité se situe sur la route principale et les pistes remontant de Kidal à Tessalit, en passant par Aguelhok.
" Les “barbus” se font plus visibles et les éleveurs nomades ont été pris à partie pour qu'ils ne collaborent pas avec les forces étrangères ", raconte Hominy Belco Maïga, le président du conseil régional de Kidal. " En septembre, une famille et deux camions ont sauté sur des mines. Les routes deviennent impraticables et les ONG commencent à quitter la région ", ajoute ce notable du Nord, préoccupé par les conséquences humanitaires de ce regain de violences.
Une part des troubles est générée par des conflits intercommunautaires liés au trafic de drogue, mais des sources s'accordent pour dire que l'allégement du dispositif militaire français et le retrait des soldats maliens après leur débâcle en mai à Kidal face aux Touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) ont favorisé la résurgence des djihadistes. Entre le 27 mai et le 18 septembre, la Minusma a subi 28 attaques.
Bamako continue de faire du MNLA et de ses velléités indépendantistes l'ennemi numéro un, mais les djihadistes bénéficient de relais dans les divers groupes armés du Nord, en particulier dans le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad et le Mouvement arabe de l'Azawad, qui ont recyclé nombre de leurs combattants. Tués ou relocalisés en Libye, les chefs algériens d'AQMI ou d'Al-Mourabitoune (le groupe de Mokhtar Belmokhtar) ont été remplacés par des responsables touareg ou arabes du terroir.
Le chef touareg Iyad Ag-Ghali, patron d'Ansar Eddine, qui navigue, selon plusieurs sources, entre le nord-est du Mali, le sud de l'Algérie et le sud de la Libye, demeure le plus influent et la cible prioritaire de la France. La multiplication des attaques est, d'après divers observateurs, liée à l'ouverture en septembre de négociations à Alger entre les groupes armés du Nord et le gouvernement de Bamako. Ces discussions sont encore loin d'avoir abouti à un règlement politique de la crise, mais " Iyad Ag-Ghali a besoin de se remettre dans le jeu et de montrer qu'il est encore incontournable ", estime un notable touareg.
Il y a quelques semaines, une source officielle française confiait que " des mouvements de retour depuis le sud libyen vers le nord du Mali sont observés. On les laisse se regrouper pour mieux les frapper ". Mi-septembre, une opération aérienne et terrestre a été menée au nord du Niger, contre " un convoi de bon calibre " d'Al-Mourabitoune qui avait quitté la Libye pour se rendre au Mali. Le " porte-parole " du groupe de Mokhtar Belmokhtar a été arrêté.
Depuis le 1er août, Paris a fait évoluer sa présence militaire dans une optique régionale. Déployés dans le cadre de l'opération " Barkhane ", 3 000 soldats sont désormais chargés de lutter contre les djihadistes actifs dans l'immense bande sahélo-saharienne avec les armées de la région (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) et les forces américaines.
Minimisant le regain d'activité des islamistes armés au nord du Mali, une source française concède tout de même que " la lutte prendra encore des années " et que " l'allégeance à Daech – acronyme arabe de l'Etat islamique – de plusieurs groupes sera la prochaine étape ".
Cyril Bensimon
Source : Le Monde
(Photo : site bamako.com)