Les études à la con sont farfelues, mais pas sans intérêt

Rapports homme-femme, poids, sexe, maladie, intelligence, beauté et travail. Pourquoi il y a-t-il autant de ces études scientifiques souvent farfelues? Qu'est-ce que cela dit des chercheurs, des médias et des lecteurs? Elles nous renvoient aux sujets qui nous occupent au quotidien. Et à nos angoisses personnelles.

 

Dans les pages santé ou science des journaux et des sites d'infos, au détour des réseaux sociaux, on les voit fleurir. Ces études scientifiques, sociologiques, psychologiques ou de marché qui décortiquent nos habitudes, avec des résultats souvent insolites. On y apprend que les jolies filles s'énervent plus que les moches, que les couche-tard seraient plus diaboliques que les autres (et qu'ils seraient plus intelligents) ou que les jeux vidéo font augmenter la taille du cerveau humain…

Les chercheurs en recherche de visibilité

Des conclusions étonnantes pour des études menées par des structures sérieuses. Les scientifiques n’ont-ils pas d’objectifs plus respectables à poursuivre? Parfois, non. La recherche a besoin de visibilité et d’argent. Les producteurs des études scientifiques doivent faire connaître leur travail pour faire valider de nouveaux projets. D’où la tentation de se lancer dans des travaux un peu absurdes. Et la contrainte est parfois plus directe. De plus en plus, c'est l'industrie qui finance, comme pour cette étude commandée par un fabricant de biscuits, et prouvant qu’un biscuit doit être trempé 3 secondes et demie dans le thé pour garder sa consistance.

D’autres fois, la rigueur des méthodes est mise à mal. «Toute étude peut produire un résultat anecdotique», explique le professeur Michel Lejoyeux, psychiatre et addictologue[1].

«Mais un chercheur qui fait bien son travail le relativise et ne s'y arrête pas.»

 

 

Autre erreur: confondre corrélation et explication. «Statistiquement, si l’on compare une multitude de facteurs avec une multitude d’autres, il en ressort des rapprochements. Un scientifique consciencieux vérifie que ce n'est pas un hasard. Sinon, on se limite à quelque chose qui marque les esprits mais est vide de signification», rappelle Michel Lejoyeux. Comme lier la consommation de chocolat d'un pays et son nombre de prix Nobel.

La difficile vulgarisation dans les médias «grand public»

Pour Peggy Sastre, essayiste et journaliste scientifique (qui collabore avec Slate), «la notion de “farfelu” est une question de point de vue. La corrélation entre taille des hanches et la vie sexuelle peut être “digne” d'être analysée. Quand on connaît le contexte de l’étude et que l'on lit l'article scientifique, le caractère pittoresque perd en densité». Car oui, les vaches françaises émettent autant de gaz en un an que 15 millions de voitures et c’est un vrai problème. Rechercher un thésard en chocolat fondu n'est, donc, peut-être pas si anecdotique que cela.

Le plus souvent, ces études seraient donc dévoyées quand elles passent au grand public. Peggy Sastre continue:

«Souvent, le problème vient de la façon dont les médias les traitent: trop rapidement et sans consultation directe des sources… Il y a une déperdition de précision et de subtilité. D'autant que les journalistes français ont rarement une formation scientifique.»

Le nœud de cette question, c’est la vulgarisation scientifique.

«C'est un exercice très difficile à réussir. Au mieux, on rend accessible.»

Mais les médias ne se lassent pas de ces études. Bien au contraire. L’émergence d’Internet n’a fait qu’augmenter leur appétit. «Je suis frappé par le nombre de ces articles sur le web», s'étonne Etienne Candel, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au Celsa Paris-Sorbonne.

«Ce sont des petits articles écrits rapidement, aux titres curieux et accrocheurs.»

 

On joue sur l'émotion, l'insolite, l'amusant ou l'extraordinaire. Et, ce faisant, on produit une info-divertissement, moins «bas de gamme» qu'une info people. La science devient une marchandise et un spectacle un peu tape-à-l'oeil, «à la manière des expériences de chimie amusante», estime Etienne Candel.

Mordus, les lecteurs s’inquiètent et se rassurent

Dans le journal suisse LeMatin.ch, une rubrique baptisée «l'étude à la con» a été créée. Philippe Messeiller, rédacteur en chef adjoint, explique que, parmi le tombereau «d'horribles nouvelles, c'est un moyen de faire sourire les gens. Et, en labellisant “étude à la con”, on évite que les internautes ne le prennent au premier degré». Un peu comme sur ce tumblr recensant toutes les études cocasses…

«Il ne faut pas jeter la pierre aux journalistes, nuance Etienne Candel, également chercheur au Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de communication (GRIPIC). Le lecteur participe au succès de ces infos un peu légères.» C'est une sorte de friandise vite consommée mais que l'on oublie après l'avoir commentée sur les réseaux sociaux ou à la machine à café. Et comme les horoscopes, elles sont vite remplacées.

Derrière notre intérêt pour ces études se cache quelque chose de plus profond. Aujourd'hui, considère Roland Gori, psychanalyste, «il y a une crise de sens. L'individu, en quête de règles de vie, se tourne vers la science, qui remplace les autorités traditionnelles qu’étaient le religieux et le politique». Michel Lejoyeux va plus loin:

«La science nourrit notre besoin de magie et de miracle.»

Ces études sonnent comme des promesses. Pour être en bonne santé, il faudrait (entre autres), être barbu, cuire sa viande à la bière quand on fait un barbecue, ne pas se serrer la main et encore moins tromper sa femme. Pour maigrir, il faudrait manger des frites à heures régulières et utiliser Twitter. «Le lecteur n’est pas à la recherche d’un savoir. Il veut une réponse rapide à comprendre, fonctionnelle et utile pour optimiser sa vie», résume Etienne Candel. Incongrus, ces énoncés «fonctionnent comme des recettes simples de bonheur, qui nous évitent de réfléchir. A court terme, ces indications nous rassurent. Mais on finit par s’y perdre», poursuit Roland Gori.

Impossible de suivre toutes ces prescriptions qui façonnent une norme sociale où chacun devrait, par exemple, se coucher tôt et manger des fruits. «C’est un discours d'autorité qui peut être anxiogène», admet Etienne Candel. Discours qui nous parle du quotidien: poids, santé, alcool, intelligence et séduction, couple, mais aussi télé ou réseaux sociaux

Michel Lejoyeux:

«C'est un miroir amusant, une version présentable de nos préoccupations personnelles. Plutôt que d'investir sa vie, on se projette dans ces articles. Dans ce flot, notre vie réelle est diluée. Même quand les conclusions sont vraiment inquiétantes et que l'on est impuissant à modifier la donne, cela nous attire, car on aime avoir peur.»

Pour Roland Gori, si l’on suivait toutes ces conclusions, on en arriverait à une «fabrique standardisée de l'être humain, où l'on calibrerait les comportements comme les tomates. Où l’on mesurerait la valeur de l'individu non à ses qualités mais à la somme de ses performances chiffrées (poids, productivité)». Certes, nous sommes dans une culture de l'évaluation. Mais pourquoi veut-on estimer notre quantité de bonheur –surtout s'il provoqué par la frappe du mot LOL ou le dessin d’une pizza?

1 — Auteur du livre Réveillez vos désirs, éditions Plon Retourner à l'article

 

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