L’Afrique de l’Ouest débordée par la flambée d’Ebola

Les pays touchés par l'épidémie et leurs voisins veulent renforcer la surveillance de leurs frontières.

Ça fait combien de fois qu'on se réunit et qu'on se dit les mêmes choses ? ", déplore un expert sanitaire ouest-africain. Jeudi 28 août, à Accra, les ministres de la santé des quinze pays membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont tenu une nouvelle réunion de crise, face à l'épidémie d'Ebola qui a déjà fait plus de 1 500 morts, principalement au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée.

 

Deux mois après une rencontre similaire, également à Accra, l'Afrique de l'Ouest, dépassée par l'ampleur de la flambée virale, peine à harmoniser sa réponse et à mettre en œuvre des actions coordonnées sur le terrain. Les voisins des pays contaminés sont impatients, voire nerveux : il y a quelques jours, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau et le Sénégal ont fermé leurs frontières avec les zones infectées. Une mesure qui choque dans cette région où les populations ont l'habitude de voyager sans visa. Et qu'il est impossible d'appliquer strictement, compte tenu de la porosité des frontières, particulièrement dans l'ouest forestier de la Côte d'Ivoire.

" Ebola a stigmatisé nos pays, et nous n'avons pas d'autre choix que de combiner nos efforts et nos ressources pour le combattre ", affirme John Dramani Mahama, président du Ghana et de la Cédéao. " Cette image regrettable a des conséquences socio-économiques préjudiciables sur l'Afrique de l'Ouest et même sur notre continent, ajoute-t-il. Des nations qui dépendent en grande partie du tourisme ont enregistré des annulations de visites, alors même qu'il n'y a pas de cas déclarés sur leur sol. Tous nos gouvernements doivent intensifier l'activation des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé et faire de leur mise en place sur le terrain une priorité. "

Les pays touchés par Ebola ont du mal à reconnaître leur part de responsabilité dans la flambée du virus en Afrique de l'Ouest. A la tribune, les experts martèlent qu'il est d'autant plus difficile pour des Etats qui sortent de longues années de crise de gérer une épidémie inédite dans la région. Mais, en coulisses, on s'agace : le Liberia et la Guinée sont accusés de ne pas prendre cette épidémie assez au sérieux. " Quand je les appelle pour leur demander si les résolutions prises lors des précédentes réunions sont appliquées, personne me répond, regrette un participant. Tant qu'on ne verra rien de l'autre côté, on ne lèvera pas nos mesures de précaution. "

La fermeture des frontières, à laquelle s'ajoute le refus de nombreuses compagnies aériennes de desservir les pays contaminés, pèse déjà lourdement sur ces économies fragiles. " On ne pensait pas qu'on serait touché, et on paie désormais notre négligence ", admet un représentant de l'un des pays touchés, sous couvert d'anonymat.

En Guinée, les entreprises évacuent leurs employés des zones à risque et les travaux de plusieurs mines ont été suspendus. Au Liberia, trois districts sont coupés du monde à cause des cordons sanitaires et des fermetures des frontières. Dans ces zones agricoles, les quelque 200 000 à 300 000 habitants n'ont pas pu produire autant que prévu. Ils vivent aujourd'hui sous la menace d'une crise alimentaire : des camions remplis de riz destiné à plusieurs centaines d'employés dans des plantations de palmiers à huile sont, par exemple, bloqués à la frontière ivoirienne depuis plusieurs jours.

" Il est très difficile, même pour les humanitaires, de se déplacer dans les pays contaminés et de transporter leur matériel, alors que nous manquons déjà de personnel, s'inquiète le docteur Pierre Rollin, du Centre de contrôle et de prévention des maladies, basé à Atlanta (Etats-Unis). La maladie est grave, mais fermer les frontières ne sert à rien. Au contraire, ça crée une épidémie de peur. "

Difficile, dans ce contexte, de mener un travail de sensibilisation, explique cet expert qui a travaillé sur les épidémies d'Ebola en République démocratique du Congo et au Soudan. L'isolement de certaines régions l'inquiète : " Les populations nous rejettent. Certains pensent encore que ce n'est pas une maladie, mais un mauvais sort, soupire-t-il. Ils nous lancent des pierres, ils coupent des ponts, alors que la seule solution pour endiguer l'épidémie, c'est de conduire tous les malades et les cas suspects à l'hôpital. Dans un sens, je les comprends : si au moins on donnait des médicaments de base dans les centres de santé, la confiance viendrait peut-être. "

Ce médecin en poste à Conakry (Guinée) a passé un long moment, jeudi, à expliquer les enjeux et à prodiguer ses conseils aux participants à la réunion, qui l'interrogeaient pour certains comme des écoliers.

Quelques résolutions ont été finalement adoptées par les ministres de la santé. Notamment une meilleure surveillance des points d'entrée et de sortie entre les pays, avec la mise en place d'un questionnaire pour les personnes souhaitant traverser les frontières. La question de la création de couloirs humanitaires sera soumise aux chefs d'Etat, et un membre de la Cédéao devrait bientôt siéger au sein du centre ouest-africain de coordination de la réponse à l'épidémie d'Ebola, basé à Conakry.

Geste fort symbolisant leur volonté de solidarité, les Etats ont prévu d'envoyer du personnel soignant dans les zones contaminées pour pallier les manques sur le terrain. Une mesure soutenue par le docteur Rollin : " Cela permettra aussi de former les professionnels de santé de l'Afrique de l'Ouest, précise-t-il. Tous les spécialistes d'Ebola sont en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia : en cas d'apparition d'un foyer dans un autre pays, nous aurons besoin de ces personnes qui auront vu la réalité de l'épidémie. "

Pour financer ces promesses, les Etats se sont engagés à contribuer au fonds de solidarité mis en place par la Cédéao en juillet. Jusqu'à présent, seuls deux pays sur quinze y ont participé.

 

Maureen Grisot

Accra (Ghana) Envoyée spéciale

 

Source : Le Monde

 

A lire : Le Virus Ebola gagne à present le Sénégal

 

 

(Photo : Site lebabi.net )

 

 

 

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