L’Ethiopie lorgne vers les étoiles

Le pays, parmi les plus pauvres du monde, vient de se doter de deux télescopes et rejoint ainsi les rares pays africains à posséder un observatoire.

 

Pour l'heure, les rêves stellaires de l'Ethiopie dorment enveloppés dans des bâches en plastique bleues, sous leur coupole fermée. " On attend que les télescopes soient certifiés pour pouvoir s'en servir.Ça devrait être fait en septembre ", assure Alemiye Mamo, chargé de promouvoir auprès du public et des étudiants éthiopiens la dernière perle du pays : un observatoire astronomique doté de deux télescopes d'un mètre de diamètre chacun, à Entoto, sur les hauteurs de la capitale Addis-Abeba.

A 3 200 mètres d'altitude, fouetté par un léger vent, l'endroit est quasi désert. En bordure du terrain nu, près des bureaux tout neufs, les paysans sont les seuls à s'activer. La saison des semis approche et il faut houspiller les bœufs qui tirent les houes avec peine. " Ce site est parfait pour observer les étoiles, poursuit Alemiye Mamo. Il n'y a pas de pollution lumineuse, l'air est frais et le ciel dégagé au moins huit mois par an. "

Pour retracer la genèse de ce projet fou dans un pays classé parmi les plus pauvres au monde, il faut grimper les étages de l'Institut de technologie d'Addis-Abeba, emprunter un dernier escalier en colimaçon au bout duquel le directeur de l'observatoire d'Entoto, Solomon Belay, travaille à l'étroit avec ses collègues. " J'avais ce hobby, l'observation des étoiles, quand j'étais étudiant  en physique, commence le quinquagénaire, sous l'affiche d'un Youri Gagarine réjoui. Un jour, un ministre en a entendu parler. Tefera Walwa, c'est son nom. Six mois plus tard, on créait la Société éthiopienne des sciences de l'espace. "

C'était en  2004. Le gouvernement éthiopien avait pris le pouvoir treize ans plus tôt et s'échinait à arracher le pays à la pauvreté, pas à scruter les étoiles. Le projet a néanmoins pris forme, surtout grâce au soutien financier du richissime éthio-saoudien cheikh Al-Amoudi. Des astronomes du monde entier, Sud-Africains en tête, se sont prêtés au jeu. Un site a été identifié, une piste a été tracée au milieu d'une forêt d'eucalyptus, des câbles électriques ont été tirés jusqu'à cette crête du mont Entoto. Puis, en décembre  2013, l'entreprise allemande Astelco Systems a installé les deux télescopes. Le tout pour environ 3,75 millions d'euros. Aujourd'hui, l'Ethiopie détient le seul observatoire astronomique d'Afrique de l'Est.

L'homme à l'origine de cette folie, donc, s'appelle Tefera Walwa. Un temps vice-premier ministre, plus longtemps ministre de la défense puis du renforcement des capacités, désormais retraité, et passionné d'astronomie depuis toujours. " A  l'école, j'avais un livre de physique dont l'un des chapitres évoquait la distance entre la Terre et le Soleil. Pendant des années, aucun de mes enseignants ne pouvait m'expliquer comment cette distance avait pu être mesurée ", raconte l'homme, longiligne et élégant, dans son bureau d'un immeuble quelconque, le long du périphérique de la capitale éthiopienne.

" La politique m'a rattrapé, mais l'astronomie ne m'a jamais lâché, poursuit le président de la Société éthiopienne des sciences de l'espace. A l'époque, on nous appelait la "Société des fous". Il fallait d'abord nourrir les gens… " En dix ans, l'organisation est tout de même passée de 47 membres à plus de 3 000. " Aujourd'hui, on commence à comprendre tout ce que les sciences spatiales peuvent apporter au développement du pays. "

En l'espèce, l'ancien ministre est avare de détails. Le jeune Tulu Besha, diplômé en géodésie de l'université d'Edimbourg, en Ecosse, et croisé dans le bureau de l'observatoire d'Entoto, est plus précis : " La géodésie – une discipline centrée sur l'observation de la forme de la Terre – est fondamentale pour la construction d'infrastructures telles que les barrages, les voies ferrées ou les routes et pour la gestion des ressources en eau… " Justement, l'Ethiopie a lancé de grands travaux dans chacun de ces domaines.

Petit à petit, les sciences spatiales s'installent dans certaines des 33  universités éthiopiennes. Il existe déjà quatorze masters et, à la rentrée, un doctorat accueillera ses premiers étudiants éthiopiens et est-africains. L'idée est aussi simple qu'ambitieuse : faire du pays un centre régional de l'astronomie pour chercheurs et étudiants, pour l'heure enclins à s'expatrier.

Avec l'observatoire d'Entoto, l'Ethiopie rejoint ainsi les sept autres pays africains (Afrique du Sud, Namibie, île Maurice, Burkina Faso, Egypte, Maroc et Tunisie) qui accueillent sur leur sol un ou plusieurs télescopes. L'Afrique du Sud fait figure de leader avec le SALT (Southern African Large Telescope), un instrument de dix  mètres de diamètre, et la cogestion du projet SKA (Square Kilometer Array), qui vise à combiner les mesures de télescopes australiens et sud-africains. " De plus en plus en d'observations se font 24  heures sur 24. Il faut donc des télescopes tout autour du globe. Avoir des options supplémentaires en Afrique est un vrai plus. SKA a dû peser dans le choix de construire l'observatoire d'Entoto ", ajoute Laure Catala, doctorante à l'université du Cap et à l'Observatoire astronomique d'Afrique du Sud. La Française fait partie de la délégation sud-africaine chargée d'étudier le potentiel d'un deuxième site d'observation en Ethiopie, près de Lalibela, dont les églises taillées dans la roche sont classées au Patrimoine mondial de l'Unesco. Cet autre observatoire serait perché à plus de 4 000  mètres.

Plus terre à terre, l'Ethiopie devrait accueillir la Plate-forme est-africaine de l'astronomie pour le développement, un programme lancé par l'Union astronomique internationale. De quoi faire tourner la tête. Dans son bureau coincé sous les toits de l'Institut de technologie d'Addis-Abeba, Solomon Belay laisse la conversation errer dans les confins stratosphériques. D'ici quelques années, promet le directeur de l'observatoire d'Entoto, " l'Ethiopie aura son premier satellite ". Les astronomes font souvent de grands rêveurs.

 

Vincent Defait

 

Source : Le Monde (Supplément Science & Médecine)

 

 

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