Après sa victoire au Brésil, l'Allemagne célèbre son équipe de football, qui s'est montrée chaleureuse, sereine et efficace. Des vertus que la Mannschaft partage désormais avec le pays tout entier, s'enthousiasme Die Zeit.
Le sourire béat de Manuel Neuer transcende tout, les cris de joie, les klaxons des voitures et même les sirènes du port de Hambourg. Il illumine les visages fatigués des passagers du métro au petit matin et celui des ouvriers du bâtiment qui reprennent leurs soudures habillés du maillot de supporters ; il inonde les étages de bureaux et les comptoirs des magasins ; il a même gagné les traits tirés du président de la République.
Un grand bravo à nous.
Mais au fait, pourquoi ? Quel rapport entre la Coupe du monde – tous ces matchs joués sur un autre continent – et nous autres téléspectateurs ? En réalité, rien. Durant sept matchs, nous nous sommes enflammés devant nos écrans de télévision. Mais ce sont les 23 joueurs et leurs entraîneurs qui ont joué, qui ont travaillé et qui se sont battus jusqu'au bout. Ce sont eux qui ont gagné. Ce sont eux les champions du monde. Pas nous. Pas vraiment.
Sauf qu'évidemment, ce n'est pas comme ça que ça marche avec le football. Les grandes compétitions sont toujours d'intenses moments d'identification. Elles sont comme un film tellement émouvant qu'en quittant la salle obscure pour retrouver la lumière du soleil, on est à la fois le même et différent. Ce que nous avons vu nous a frappé, et reste gravé dans notre esprit.
La fin de l'arrogance
C'était pareil en 1954, lorsque la victoire de l'équipe d'Allemagne de l'Ouest lors de la Coupe du monde [en Suisse] avait permis de restaurer la communauté d'Etats dans le cœur des Allemands. En encore en 2006 quand les Allemands ont découvert qu'agiter le drapeau de leur pays n'était pas nécessairement une forme de nationalisme.
Et cette année au Brésil ? Là, les Allemands ont montré qu'ils pouvaient se montrer sûrs d'eux, sans être insolents. Pas besoin d'être arrogant quand on est sûr de ses qualités.
La Mannschaft et l'Allemagne ont aujourd'hui cela en commun. Ce n'est pas un hasard si l'économie allemande se porte si bien. Au cours des quinze dernières années, le pays a réussi à surmonter une paralysie interne et a compris tout le bénéfice de réformes judicieuses. L'Allemagne s'est dotée d'un salaire minimal, ce qui prouve deux choses : une bonne réforme est toujours adaptée aux circonstances du moment et il faut faire table rase des vieilles idéologies.
La retenue comme philosophie nationale
Le football allemand a parfaitement compris cela depuis que Jürgen Klinsmann et Joachim Löw entraînent l'équipe nationale. Cela fait longtemps que la Mannschaft ne se montre plus impétueuse comme lors de la Coupe du monde 2006. Au Brésil, le Onze allemand s'est montré chaleureux et naturel autant que professionnel. La raison a triomphé de l'émotion, dont Luiz Felipe Scolari avait fait le moteur de l'équipe brésilienne. Ce n'était peut-être pas toujours beau, mais c'était efficace.
C'est dans cette retenue que se retrouvent les joueurs de l'équipe nationale et le peuple allemand. Maturité, sérénité et flexibilité. A Berlin, on dirait qu'ils incarnent une forme de realpolitik : ils savent ce qu'ils veulent. Et ils savent que ces objectifs sont à leur portée.
A cet égard, l'équipe nationale a une longueur d'avance. Les débats houleux sur la politique européenne, l'euro, les relations avec la Russie ou les opérations de la Bundeswehr à l'étranger révèlent parfois un manque de confiance chez les Allemands. Alors que celui qui fait en conscience tout ce qu'il peut – et se conduit donc comme les nouveaux champions du monde – ne déploiera pas ses compétences à la légère mais comme un professionnel.
La Mannschaft nous a aussi appris une totale absence de hargne : on peut se féliciter de sa propre victoire sans mépriser les autres, comme après la défaite du Brésil. Le fairplay conduit aussi à la victoire parce qu'il rend inattaquable. Enfin, l'Allemagne en a fini avec le défaitisme. Tout ne se passe pas toujours comme prévu. Sami Khedira n'a pas joué la finale. Mais il y a toujours des occasions à saisir.
Karsten Polke-Majewski
(Photo : Le gardien de la Mannschaft, Manuel Neuer, lors de la présentation du trophée de la Coupe du monde à Berlin, le 15 juillet 2014 – AFP/Robert Michael)
Source : Die Zeit via Courrier international
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