Au grand dam des Brésiliens, les rivaux ancestraux de l'Albiceleste se sont qualifiés pour la finale aux dépens des Pays-Bas, à l'issue d'un match terne et cadenassé.
Ce mercredi 9 juillet était jour de grand deuil à Sao Paulo. On n'avait pas mis les drapeaux en berne mais il s'en fallait de peu, après la déroute de la sélection nationale la veille, en demi-finale contre l'Allemagne. On crut avoir changé de pays, au réveil. Les habitants arboraient des faces de carême. Ils étaient habillés de sombre, marchaient la tête basse, en silence. A contempler cette morne foule qui avançait pesamment dans la rue, on aurait juré qu'elle suivait un corbillard. Il y avait enterrement en effet à Sao Paulo et dans tout le pays, celui d'un rêve.
C'était une douleur pénible à voir et plus encore à vivre. En plus, il pleuvait, une petite pluie entêtante, qui donnait envie de rester au lit, caché sous les draps à ruminer son chagrin. Mais bon, dans Sao Paulo l'industrieuse, il fallait bien gagner son picotin. Mais c'était une sale journée qui s'annonçait. A midi, dans les restaurants, où chacun avalait sa pitance le nez dans son assiette, les télévisions étaient exceptionnellement fermées. Revoir en boucle les images de la catastrophe nationale, c'en était trop à supporter.
Pour couronner le tout, l'Argentine était en ville. Le rival ancestral, l'ennemi atavique jouait le soir sa place en finale de la Coupe du monde face aux Pays-Bas. Il n'aurait plus manqué à l'humiliation que le voisin honni soit au stade Maracana de Rio, le 13 juillet, quand le Brésil n'y serait pas.
Dans un dernier sursaut d'orgueil, ceux qui avaient une place au stade ont donc trouvé tout ce qui pouvait ressembler à un maillot orange, les couleurs de la formation néerlandaise. Même un vieux tee-shirt ferait l'affaire. La petite colonie venue d'Europe se trouva ainsi une force d'appoint non négligeable. Dans le métro, aux abords du stade, puis dans les travées du stade des Corinthians, ces bénévoles ont donné de la voix et du " Holanda ! Holanda ! ".
En retour, les dizaines de milliers de supporteurs argentins ne leur ont pas épargné les moqueries, montrant sept doigts, comme le nombre de buts encaissés la veille par la Seleçao. Ils y ont ajouté quelques chansons ironiques dont on s'épargnera ici le sous-titrage. Diego Maradona avait déjà donné le ton en se moquant pareillement, dans l'après-midi, du lourd revers de la sélection brésilienne.
Heureusement qu'il était là, ce public argentin, mal élevé, goguenard et survolté. On lui doit le seul spectacle de la soirée, bien qu'on ne soit pas venu au stade pour écouter de la chorale. Avec ses gradins qui plongent à pic vers la pelouse, le stade des Corinthians a quelque chose de la Bombonera, le stade bouillonnant de Boca Junior, à Buenos Aires. Les hinchas, ces groupes de supporteurs, se sont donc sentis chez eux et ont assuré l'ambiance. Même pendant le moment solennel de leur hymne national, hommes et femmes ont sauté en cadence, se tenant par les épaules, comme s'ils entonnaient un chant de supporteur.
Leur passion était belle à voir et à entendre, tandis que sur la pelouse les deux équipes livraient une parodie de match, dans cette demi-finale qui fut un grand hiver du football. Les défenses ont pris d'emblée le pas sur les attaques et ce fut ainsi pendant les 120 minutes du temps réglementaire puis des prolongations. Tandis qu'ils faisaient mine d'attaquer, les joueurs reculaient, inquiets du moment où ils perdraient la balle. Ne pas prendre un but devenait plus impératif qu'en marquer un. Cela ne pouvait déboucher sur rien de probant.
La feuille de match témoignait du brouet qu'il fallut avaler : 0-0, score final. Les équipes totalisaient à elles deux quinze tirs dont huit cadrés, la plupart des pétards mouillés. Le jeu ne s'est porté vers l'avant que 18 % du temps, ont calculé les experts de la FIFA. Le reste, ce fut de la passe à dix, entre solides manieurs de ballon, au milieu du terrain ou à l'arrière. Un non-match. On ne s'ennuya pas. On s'emmerda, puisqu'il faut se résoudre à utiliser le mot juste.
Arjen Robben, la vedette néerlandaise, ne pouvait se dépêtrer du marquage et multipliait des crochets à reculons qui l'amenaient chaque fois plus loin du but adverse. En face, Lionel Messi, qui n'a tenté qu'un seul tir dans toute la partie, semblait, lui, se désintéresser de cette purge footballistique et ne courait même plus. On en vint à la séance des tirs au but, seul moment intense de la soirée, remportée donc par l'Argentine.
Ce fut là l'instant de Sergio Romero, qui a arrêté deux tirs des Oranje. Il fut recruté en 2008 par le club néerlandais d'Alkmaar, quand son entraîneur était Louis Van Gaal, l'actuel sélectionneur des Pays-Bas. " Je lui ai appris à arrêter les penaltys ", a expliqué ce dernier mercredi, avec un humour teinté d'amertume.
Grand amateur de football, ayant rencontré Pelé ou Zico, Jorge Amado a écrit une nouvelle, Le Ballon et le gardien de but. Il y raconte l'histoire d'une balle, baptisée " perce-filet ", qui tombe amoureuse de Bilo-Bilo, un gardien si médiocre qu'il est surnommé " la passoire ". A chaque tir, elle ne cesse d'arriver dans les mains du gardien qui devient une vedette.
Il y a un peu de cela dans le parcours de Sergio Romero, 27 ans. Il a connu jusque-là une carrière professionnelle sans relief en club. Il fut longtemps remplaçant en équipe nationale. Grâce à Brazuca, le ballon de la Coupe du monde, le voilà en finale et, après ses deux tirs au but arrêtés, devenu depuis mercredi le héros de l'Argentine.
Une nouvelle fois, l'Albiceleste a fait triompher ce fade football qu'elle impose au monde depuis le début de la compétition. Il repose sur une défense de fer et un jeu hermétique, un pressing incessant de l'adversaire jusqu'à l'écœurer. Ce style terne, ces victoires étriquées sont traversés à de trop rares occasions par des éclairs de Lionel Messi. Cette Argentine-là est à l'image du sélectionneur Alejandro Sabella, qui passe pour peu charismatique et dont les conférences de presse sont aussi falotes que les prestations de son équipe.
Mais le public argentin ne se soucie guère de ce qu'en-dira-t-on, de ces moues d'esthète, de pisse-froid. Son équipe gagne. Voilà ce qui compte. Alors, à Buenos Aires et dans toute l'Argentine, des scènes de liesse ont éclaté, mercredi. La sélection est en finale. Vingt-quatre ans après sa dernière apparition à ce stade en 1990. Vingt-huit ans après sa dernière finale gagnée, en 1986. Chaque fois, c'était déjà contre l'Allemagne, qu'elle retrouvera au Maracana dimanche 13 juillet.
Longtemps après la fin du match, les supporteurs argentins ont donc chanté, dansé, exulté et on ne pouvait qu'être jaloux de leur bonheur au bout de ce long ennui. Ils sont partis comme à regret du stade de Sao Paulo qui était depuis longtemps devenu entièrement leur. Les Brésiliens avaient en effet déserté les tribunes sitôt la victoire argentine acquise. Pour eux, ce fut jusqu'au bout une sale journée.
Benoît Hopquin
Sao Paulo Envoyé spécial
(Photo : NELSON ALMEIDA/AFP)
Source : Le Monde
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