MONDIAL 2014 : Manifeste pour un football imparfait

Les journalistes sportifs américains réclament davantage de réglementation dans le football, pour éviter les injustices et délivrer une fin heureuse pour tout le monde à chaque match. De quoi enlever tout son sel à ce sport.

 

Il peut y avoir une logique dans la défaite, mais elle semble souvent arbitraire. Sous les pieds des perdants, le sol est mouvant, instable. Si l'on en juge par un certain nombre d'articles parus récemment, le journalisme sportif américain souhaite réglementer le football et stabiliser le terrain de la défaite. Il y a un désir de happy-end : une fin heureuse pour le gagnant mais moins douloureuse aussi pour le perdant. Sous sa forme actuelle, le football est injuste, dit-on : il a des règles, mais aussi beaucoup trop d'exceptions.

Il est facile de voir les avantages à attendre d'un football plus juste. La vidéo pourrait garantir la précision de chaque action. Le temps additionnel pourrait être respecté à la seconde près. Les penalties pourraient n'être accordés que lorsqu'une équipe a été clairement privée d'une occasion de but. Les terrains pourraient être plus petits pour assurer davantage de buts et récompenserhttp://cdncache-a.akamaihd.net/items/it/img/arrow-10x10.png les initiatives des joueurs. Ces dernières semaines, de telles suggestions ont été émises très sérieusement par des journalistes sportifs américains.

Le plaisir d'avoir été volé

Mais que perdrait-on dans ce nouvel univers minutieusement réglementé ? Et si le football, tel un super prédateur, était déjà parfaitement adapté à son environnement ? Ou s'il évoluait à un rythme adapté aux énormes besoins des spectateurs ? Donc, non. Ne privons pas le jeu de ses forces vitales : le sentiment que tout est possible, la joie de s'en tirer avec une victoire inattendue, le plaisir pervers d'avoir été volé (l'intensité des sentiments d'un perdant, une intensité qui, comme dans la vie, nous convainc qu'on a perdu, non pas parce qu'on a commis une faute, mais parce que des forces arbitraires sont intervenues). 

Les passionnés de ce sport ne souhaitent pas perdre le "récit organique" né de son caractère aléatoire, cette manière dont un bon roman atteint un sommet émotionnel en rassemblant des faits et des incidents qui n'ont apparemment rien à voir entre eux. Si les "défauts du football" étaient aussi intolérables que des journalistes américains veulent nous le faire croire, il ne serait pas le plus grand sport du monde, ni l'une de ses formes majeures d'expression culturelle.

De précieuses histoires

En fait, c'est tout le contraire : la confusion, la subjectivité, l'imprécision sont les sources des anecdotes racontées des années plus tard, du genre "Oh, sans ça, on aurait gagné le match". De telles anecdotes sont précieuses, irremplaçables. Les règles sont nécessaires et, la plupart du temps, elles sont appliquées. C'est suffisant. Un appareil de justice trop rigide priverait les supporters du sentiment de justification qui accompagne une décision ressentie comme une injustice. Une équipe perdrait simplement parce qu'elle n'a pas été bonne et ce serait une défaite beaucoup plus solitaire.

Dans les premières années du cinéma danois, le même film était produit en plusieurs versions en fonction des pays dans lesquels il était distribué. Les films envoyés en Russie avaient une fin dramatique, alors que ceux qui avaient un "happy-end" étaient considérés comme typiquement américains.

 

Teju Cole

 

(Photo : Le défenseur du Costa Rica tire un penalty face à la Grèce, le 29 juin 2014 – AFP/Ronaldo Schemidt)

 

Source : Africa is a country via Courrier international

 

 

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