MONDIAL 2014 : Non, Mario Balotelli n’est pas un « beauf »

L'attaquant italien fera partie de l'équipe qui affronte aujourd'hui le Costa Rica. Ayant beaucoup souffert du racisme dans son pays d'adoption, le seul joueur noir de la Squadra Azzura a l'occasion, au Brésil, de marquer l'Histoire.

 

 

 

Avec sa crête, son style vestimentaire, ses bijoux tape-à-l’œil, ses frasques, son allure déconcertante de distance, Balotelli peut, certes hâtivement mais avec raison, être taxé de beauf. Il réunit tous les ingrédients grossiers que trainent les parvenus mal nés sur qui arrive presque par hasard la fortune.

Sa jeunesse n’aidant pas, il est cette figure haïssable mais aussi attendrissante de l’outrance, de la candeur, de l’excès, éléments de thérapie contre une naissance et une enfance difficile. C’est un arrivisme singulier, au carrefour du mérite, de la souffrance, du défaut d’éducation : mixture de chose que le talent vient presqu’habilement effacer.

Test racial

Son extravagance est à aller chercher dans cet hôpital où ses parents l’abandonnent dès ses premières années parce qu’incapables de lui prodiguer les soins, l’amour, l’attention que requièrent son état de santé fragile. Ses facéties sont à aller chercher dans une Italie de bourgade, profonde donc raciste, où sa famille adoptive lui offre un cadre et un nom, sans doute de l’amour ; cependant contre le prix de l’inconfort d’un gamin dont la peau fait tache.

Tache à l’école, bouton noir au front d’une petite commune, ensuite patate chaude noire dans un football national historiquement blanc mais qui ne peut se passer de son diamant le plus saillant. L’Italie se déchire sur la légitimité d’un noir dans son équipe, Balotelli résistera au test racial, Cécile Kyenge échouera… Son relatif irrespect des cadres, des règles, sa certitude absolue et prétentieuse sont à aller chercher dans l’arrogance de ce talent brut de l’ordre du don, qui éclot comme finalement la seule lumière que le destin apporte à cette vie de malédiction.

Une Italie en mue

Donc, il en abuse. Dès les confrontations entre jeunes, Mario squatte le ballon et ne le quitte plus. Il veut faire tout seul et développe l’obsession de la volée retournée, qui devient une pathologie de son jeu. L’Irlande en 2012 exauce son vœu [il inscrit un but sur une retournée acrobatique]. Le reste vous est connu. Le gamin gravit les échelons par paquets de quatre. Ascension, gloire, scandale, fascination, il agrège tout ce que veut le vedettariat : les admirateurs et leurs jumeaux de la haine. L’Italie qui l’a bercé le lance dans le bain, l’Inter de Milan. L’Angleterre et son ancien bassin de ferraille Manchester, abreuvé par les dollars du Golf, l’accueille, il déjante et y déchante.

Retour au bercail, chez son père de l’ostentatoire, Berlusconi et son Milan. Une constante dans ces différents passages, de bons débuts, une mécanique grippée ensuite, un relatif anonymat mais une grande capacité à renaître. La vraie consécration, c’est la sélection. Les racistes-bourreaux d’hier vibrent à ses courses. Il collectionne les chefs d’œuvre avec panache et caprices. Symbole d’une Italie en transition qui aura trouvé en Cesar Prandelli son grandiose maestro, il est la locomotive-avant d’une équipe séduisante et en chantier, celle d’une Italie en mue.

Le raffinement

Je suis passé par tous les sentiments avec Balotelli. D’abord un scepticisme. Ensuite une indifférence. Au fil du temps, j’ai réussi à déceler dans le jeu de ce garçon un ingrédient sur lequel je ne m’étais pas beaucoup attardé : la finesse. Autrement dit, le raffinement. Le toucher de balle de ce joueur est exquis. Ses remises sont de l’orfèvrerie. Sa justesse technique incroyable. J’ai découvert chez ce garçon grossier des éléments de sobriété technique sublimes.

Avec son gabarit, les caractéristiques rapides et explosives de son jeu, cet instinct inné que seul le football de rue accorde, les buts de dingues, on a tendance à oublier que Balottelli joue au football. Simplement. Dans la banalité formidable du jeu. Dans le minimalisme de Busquets et de Motta. Passes courtes, déviations, feintes,contrôles insolents de facilité, bref, l’hommage, en tout temps et en toutes situations, au jeu. C’est un style unique que je n’ai jamais vu au football à son poste. Et qui n’a pas manqué de me séduire. Je suis devenu un admirateur du jeu de Balottelli, de son jeu et de son jeu seul. D’habitude rétif aux boucles d’oreilles, aux coupes improbables, j’ai disqualifié beaucoup de joueurs de mon estime de cette manière, mais il faut oser peindre le raffinement de Balotelli même quand la carapace externe pousse au mépris. Son jeu classieux le réhabilite de tout.

S’il trouve d’autres ressources que le beaufisme pour venger sa naissance, le football tiendra une nouvelle gravure pour l’histoire. Pour l’heure, j’invite les esthètes à contempler cette once de grâce que seule l’attention arrive à capter.

 

 

(Photo : Mario Balotelli s'entraîne avant le match entre l'Italie et l'Angleterre lors de la Coupe du monde 2014. AFP Photo / Fabrice Coffrini)

 

Source :  Ajonews via Courrier international

 

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