Ni Hollywood ni Bollywood. Nollywood !

Pendant ce temps, Serge-Armand Noukoue colle, dans les couloirs de France Télévisions, des affiches pour son festival de cinéma nigérian, la semaine prochaine à Paris. Le compte à rebours est serré. Les sous-titres de Mother of George, une histoire de mariage et de pression familiale dans la communauté nigériane de New York, sont encore mal réglés.

 

Certains invités n'ont toujours pas de visa mais leurs exigences en chambres d'hôtel sont un casse-tête. Serge-Armand, 32 ans, Français de parents béninois, un master en management de projets territoriaux et sept ans d'expérience en France et à l'étranger, va y arriver, comme l'an dernier.

Le 7 avril, le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, est aussi devenu la première économie d'Afrique, dépassant d'un coup l'Afrique du Sud grâce à un nouveau calcul de son produit national brut. Parmi les secteurs nouveaux pris en considération, il y a le cinéma, qui pèse 5,3 milliards de dollars.

Cette somme a laissé bouche bée des milliers d'actrices qui jouent pour quelques euros par jour et des réalisateurs qui ne bouclent leurs projets qu'en hypothéquant leur maison. Ils se savaient nombreux : Nollywood, comme il est convenu d'appeler le cinéma nigérian, est le deuxième employeur du pays, après l'Etat, star-system et paillettes en plus. Mais ils ne se savaient pas si riches.

Le Nigeria produit entre 1 500 et 2 000 films par an. Plus qu'à Hollywood, surpassé seulement par Bollywood. Cela fait plus de 25 000 films depuis vingt ans, dont aucun, jamais, n'a été montré dans une salle française – sauf au festival de Serge-Armand. Parce que ce sont tous des navets ? Parce qu'on y parle l'anglais avec un accent, voire le pidgin, le créole local ? Parce qu'en Afrique, la France s'intéresse davantage aux productions de ses anciennes colonies ? Ou parce qu'elle préfère les œuvres d'auteurs à diffusion parfois confidentielle aux films de Nollywood, dont l'ambition ultime est d'être " mainstream " et de concurrencer Hollywood ? Peu importe. Serge-Armand en est convaincu, les Français vont tôt ou tard céder au charme des films nigérians.

Des navets, Nollywood en a produit beaucoup. La majorité des longs-métrages ont coûté moins de 15 000 euros. Ils ont été tournés en une semaine, montés les jours suivants, gravés sur DVD le lendemain et aussitôt piratés pour finir en vente dans la rue à 90 nairas (40 centimes d'euro). Les scénarios sont souvent indigents, les personnages caricaturaux. La bande-son a de la peine à effacer le bruit du groupe électrogène, accessoire indispensable des tournages dans une ville où l'électricité s'interrompt sans cesse.

Il n'empêche, Nollywood est un résumé saisissant de l'Afrique au XXIe  siècle, une histoire d'audace, de débrouillardise et de talent, mais aussi d'impostures, de scandales, de faillites.

" Nollywood style, c'est let's go-let's go style (“On fonce, on fonce”) ", résume Lancelot Oduwa Imasuen qui, à 37 ans, a déjà dirigé… 160 longs-métrages. Pour Serge-Armand, s'il y a quelque chose à apprendre de Nollywood, au moment où les modèles occidentaux de production du cinéma s'essoufflent, c'est la recette de films meilleur marché – dans une ville, Lagos, parmi les plus chères au monde. Comment tourner au lieu d'attendre des subventions, " let's go-let's go style ".

Un virage vers la qualité

Le modèle est d'autant plus intéressant qu'il est en train de négocier son virage vers la qualité, aidé par le retour de professionnels nigérians  exilés à Londres ou New York. Bien des budgets dépassent désormais les 150 000 euros, et la distribution s'élargit : sortie en salles (seulement 40 à Lagos, pour 15  millions d'habitants), puis plate-forme VOD, avant les DVD et leurs versions pirates. Serge-Armand, d'ailleurs, ne sélectionne que parmi la centaine de films qui sortent en salles chaque année. Il y a là Misfit, l'histoire d'une fille victime d'un enlèvement rituel, lointain écho aux 270 écolières kidnappées au nord du pays par la secte Boko Haram. Ou The Meeting, rendez-vous avec un ministre dans la capitale, Abuja, qui tourne au cauchemar pour un homme d'affaires de Lagos.

C'est un supplice bureaucratique similaire que subit un autre film de la sélection parisienne, celui qui devait arrimer définitivement Nollywood aux standards occidentaux. Half of a Yellow Sun (" L'Autre Moitié du soleil ") est  l'adaptation pour 8 millions de dollars (record absolu au Nigeria) du roman de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard). Chiwetel Ejiofor (qui a tourné dans 12 Years a Slave) y tient le rôle principal.  Des premières ont eu lieu à Londres et aux Etats-Unis, mais le bureau de la censure n'a toujours pas autorisé sa sortie au Nigeria, peut-être en raison du sujet, tabou : la guerre du Biafra (1967-1970).

La censure ? Le  torrent Nollywood l'avait éclipsée. Mais voilà qu'elle se réveille, effarée par des films de plus en plus érotiques et qui mettent parfois  en scène des accouplements gays ou lesbiens. Dans un pays écrasé par les  Eglises évangélistes et les imams, l'homosexualité est passible de quatorze ans de prison et même de la lapidation. Dans une comédie récente, des femmes aux pouvoirs surnaturels transforment les hommes séduits en… Blackberry modèle Bold 5. Trop d'irrévérence pour la censure. Les smartphones Blackberry, en recul dans le monde entier, restent au Nigeria le symbole du pouvoir.

 

Serge Michel

 

Nollywood Week. Cinéma L'Arlequin, 76, rue de Rennes, Paris 6e. Du 5 au 8  juin. Nollywookweek.com

 

Source : Le Monde

 

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