Mauritanie – Turquie : un clash diplomatique passé sous silence

Accueilli sans honneur à Nouakchott alors que la visite était planifiée de longue date, un détachement des forces navales turques a été prié de plier bagages, quelques heures après avoir accosté. Les marins turcs sont repartis avec l’aide humanitaire qu’ils venaient de décharger.

 

Troisième étape de leur tournée africaine, Nouakchott a laissé un goût amer aux marins du groupe naval Barbaros. Envoyés par le gouvernement turc pour une mission militaire, diplomatique et humanitaire autour du continent africain, les membres de l’équipage de cette force navale accostent dans le port de la capitale mauritanienne le 1er avril. La mer est balayée par une forte houle, annonciatrice de la tempête diplomatique à venir. Un seul des quatre navires de guerre turcs réussit finalement à atteindre les quais. Les événements nous sont rapportés par des témoins ayant requis l’anonymat. Ils ont assisté à cette journée peu ordinaire, au cours de laquelle les relations mauritano-turques ont connu un sérieux coup de froid.

Une réception organisée en catimini

Sur les quais, la réception officielle est organisée en catimini. Seuls le directeur du port, Ahmed Ould Mohamed Ould El Moctar, et un colonel de la marine mauritanienne sont présents pour accueillir le commandant de la flotte, le contre-amiral Ali Murat Dede, et son équipage. Plusieurs télévisions couvrent l’événement mais les journalistes tournent pour rien. Aucune image ne sera finalement diffusée.

Les marins et leur commandant débutent leur visite au Musée national de Nouakchott et poursuivent leur périple en marchant dans les artères de la ville où les principaux bâtiments publics leur sont présentés. Deux buffets sont ensuite organisés, à bord du navire puis à la résidence de l’Ambassadeur de Turquie à Nouakchott, Musa Kulaklikaya. Le chef d’état major adjoint des armées mauritaniennes, Mohamed Ould Mohamed Znagui, le wali de Nouakchott, Fall N’Gissaly, et la nouvelle maire de la communauté Urbaine de Nouakchott, Maty Mint Hamady, assistent aux échanges. Avant de prendre la parole, le contre-amiral Ali Murat Dede fait étalage des cadeaux que la Turquie a préparés pour ses convives. Il y a dans le lot une réplique d’une ancienne carte de géographie maritime, dessinée au 16ème siècle par le célèbre navigateur de l’Empire ottoman Barberousse, resté dans l’histoire pour ses nombreuses expéditions guerrières sur le pourtour méditerranéen. Fièrement affiché sur le navire de guerre turc arraisonné à Nouakchott, ce nom ne semble pas provoquer le même enthousiasme côté mauritanien. 

«Qu’ils ramènent tout leurs dons»

Autour de la table, les invités s’observent, impassibles. Le contre-amiral Ali Murat Dede vient de débuter son discours, en français: «C’est la première fois que les forces navales turques sont accueillies à Nouakchott. Nous vous remercions pour votre hospitalité. En signe de bonne volonté, nous vous avons apporté une quantité symbolique de dons de nourritures et de matériel scolaire.»

Quelques minutes plus tard, un cadre de la marine nationale mauritanienne s’écarte, son téléphone à la main. A l’autre bout du fil, c’est l’état major général des Armées mauritaniennes. «Qu’ils ramènent tout leurs dons. Que rien ne soit laissé sur le quai», lui ordonne-t-on. L’homme s’exécute sans ménagement et fait immédiatement passer le message auprès de ses interlocuteurs turcs.

Surpris, l’ambassadeur turc Musa Kulaklikaya se démène pour tenter de négocier une issue à ce début de crise. Le diplomate propose de mettre ses propres véhicules à disposition des autorités mauritaniennes pour convoyer l’aide humanitaire et la distribuer. Mais ses tentatives de conciliation restent sans suite. L’équipage du Barbaros est prié de plier bagages et de réembarquer ses cartons de vivres, déjà disposés sur les quais. Les soldats de la marine mauritanienne assistent à la scène, stupéfaits. La colère commence à gronder côté turc. «Comment les Mauritaniens peuvent-ils refuser des dons humanitaires? Ils pourraient au moins nous laisser les distribuer aux gens qui en ont besoins dans les quartiers en périphérie du port», lâche un officiel turc avant d’accompagner le contre-amiral et son équipage jusqu’au port.

Consternation et interrogations

De tous les côtés, la consternation laisse place aux interrogations. La visite de Mohamed Ould Abdel Aziz en Turquie en janvier 2010, premier séjour officiel d’un chef de l’Etat mauritanien  dans ce pays, avait ouvert une nouvelle page dans les relations diplomatiques entre Nouakchott et Ankara. Est-ce la conséquence de la fronde anti Frères musulmans classés «organisation terroriste» en mars dernier par l’Arabie Saoudite, un très proche allié de la Mauritanie du président Mohamed Ould Abdel Aziz? Les «Frères» égyptiens et leur émanation mauritanienne, le parti Tawassoul, première force d’opposition du pays à l’issu des législatives de novembre et décembre 2013, entretiennent de bonnes relations avec l’AKP du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan.

Des liens qui ne manquent pas d’agacer le pouvoir mauritanien. «Les frères musulmans échoueront en Mauritanie et en Turquie, comme ils ont échoué dans d’autres pays», déclarait en décembre 2013 le ministre mauritanien de la Santé, Ahmedou Ould Hademine Ould Jelvoune, lors d’un meeting de l’UPR, le parti du président mauritanien, selon des propos rapportés par le journal en ligne mauritanien Al-Akhbar. Cela suffit-il à expliquer les ressorts de ce clash diplomatique? Joint par Le Courrier du Sahara, l’Etat major de l’armée nationale mauritanienne et l’ambassade de Turquie à Nouakchott n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.

 

Source : Le Courrier du Sahara

 

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