Des imams à l’école pour s’aguerrir à l' » islam de France « 

A Lyon, un cursus original aide les cadres musulmans à prévenir la radicalisation.

Ils le disent eux-mêmes : ils n'auraient jamais dû être imams. Venus du Maghreb et d'Afrique poursuivre leurs études de linguistique ou de management en France, Mohammed, Youssef et Toufik n'envisageaient pas de carrière religieuse.

 

 

Mais les mosquées de France, en manque de cadres, ont happé ces trentenaires diplômés. Leur connaissance de l'islam et du Coran, appris par cœur dans leur pays d'origine, l'opportunité de s'installer dans la société française les ont amenés à prendre leur place dans la communauté musulmane. A Saint-Etienne pour les uns, dans la banlieue lyonnaise pour d'autres.

Ce lundi matin d'avril, comme toutes les semaines depuis janvier, ils retrouvent une dizaine d'acteurs du monde musulman, hommes et femmes, dans un local sommaire loué par l'institut de formation de la grande mosquée, au cœur d'un quartier populaire de Lyon. Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, professeur à l'Ecole de chimie et de physique de Lyon et figure incontournable de l'islam rhône-alpin, les met à niveau en droit musulman. L'après-midi, les étudiants rallieront l'Université catholique de Lyon pour un cours sur l'histoire des religions.

Droits des associations et histoire de la laïcité complètent ce programme inédit concocté pour la deuxième année par l'université Lyon-III, l'Université catholique et la grande mosquée de Lyon. Une formation subventionnée par l'Etat dans l'espoir de construire " un islam de France " et de servir " l'intérêt général " ainsi que l'expliquait le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, en octobre 2013, lors de la remise des premiers diplômes.

Pour coller à l'actualité, les formateurs ont prévu fin mai un séminaire consacré aux " dérives sectaires et à la déradicalisation ". Un premier pas pour contrer les difficultés, l'impuissance parfois, à doter les cadres musulmans d'outils capables de juguler l'extrémisme d'une partie de leurs fidèles.

Car les jeunes imams, qui ont grandi dans un pays musulman, sont conscients de leurs limites. " Mes connaissances sur la laïcité étaient plus que floues et j'avais besoin de cette formation pour mieux comprendre la France et les Français car, souvent, les fidèles ne demandent pas seulement un avis religieux ", explique Toufik, arrivé d'Algérie il y a six ans et désormais imam à la mosquée d'Oullins (Rhône). " Avant la formation, je ne comprenais pas pourquoi l'Etat interdisait certaines choses en matière de religion ; maintenant je peux l'expliquer ", confirme Mohammed Bah, un jeune Guinéen, imam à Saint-Etienne.

Mais c'est aussi théologiquement qu'ils doivent s'armer. " Même si elle demeure insuffisante pour répondre aux défis actuels, cette formation est nécessaire ", plaide M. Gaci. Face au discours " du juste milieu " qu'il assure incarner, Toufik raconte " l'agressivité " de certains musulmans français. " Il faut parfois du courage face à des jeunes qui veulent imposer leur loi. On a l'impression que certains passent d'un extrême à l'autre et qu'une fois dans la religion, ils essayent d'en faire toujours plus. Du coup, quand on essaye de tenir des positions modérées, ils nous traitent de vendus. "

" On se retrouve face à des gens qui ne sont pas formés, ni sur la religion, ni sur la loi française ", confirme Hacène Kharchaoui, agent funéraire musulman à Lyon et engagé auprès de la mosquée. " Ici, on donne aux cadres musulmans des réponses théologiques pour qu'ils ne soient pas désarmés face à des jeunes plus identitaires que religieux ; ils peuvent avoir un rôle de prévention ", explique Hacène Taïbi, chargé de l'enseignement à la mosquée de Lyon.

" Confrontés à des situations concrètes, les responsables musulmans de France ne doivent pas répondre n'importe quoi, développe M. Gaci. On leur rappelle que le droit musulman demande de tenir compte du contexte où l'on vit. Et qu'en conséquence, une fatwa (un avis religieux) ne peut être ni importée ni exportée. Face à un discours religieux, il faut répondre sur le terrain religieux. "

" Tout ce qui n'est pas interdit par un texte est permis. Il faut rappeler cela aux jeunes qui se disent à cheval sur le licite (halal) et l'illicite (haram) ", martèle-t-il encore à ses étudiants. " Ainsi, aucun texte n'interdit de participer à une élection. Voter est donc permis ", lance-t-il. " Certains fidèles contestent même les visites que l'on organise pour les non-musulmans à la mosquée ", explique Youssef Afif, collègue de M. Bah à Saint-Etienne. " On leur rappelle que le prophète recevait des chrétiens et des juifs. Les plus radicaux, on ne les revoit plus à la mosquée. "

M. Bah confirme une évolution de la jeunesse ces " cinq dernières années ". " Il y a ceux qui se radicalisent d'un coup avec 1 % de connaissance religieuse et ceux qui “se réveillent” et viennent vers nous pour se former. " Pour éviter aux plus fragiles de se " faire choper " par un groupe radical, M. Afif évite désormais " les conversions en public lors de la grande prière du vendredi ". " S'il est pris en charge par un groupe salafiste, un fidèle que j'ai converti peut basculer et, au bout d'un mois, me traiter en ennemi ", confirme M. Gaci. Comme cela existe désormais dans quelques mosquées, les imams de Saint-Etienne souhaitent mettre en place une formation de plusieurs heures, étalée sur plusieurs semaines, pour les personnes qui souhaitent se convertir.

Ailleurs, on s'interroge sur un meilleur contrôle de ce qui est enseigné dans les écoles coraniques et une meilleure formation des enseignants qui y interviennent. " Pour contrer la radicalisation des esprits, des discours et des comportements, il faudrait que les imams puissent s'entourer de psychologues, de juristes, d'enseignants pour orienter ces jeunes, estime encore M. Gaci, qui ne cache pas son inquiétude face aux évolutions actuelles. Il faudrait que l'on puisse assurer une présence permanente dans les mosquées. Mais les moyens manquent. " Pourtant, insiste, Toufik, le jeune imam d'Oullins, " il faut tenir, ne pas laisser sa place, car sinon, après, ce sera pire ".

 

Stéphanie Le Bars

 

 

(Photo : La deuxième promotion d'étudiants suit des cours de droit musulman, de droit des associations et d'histoire de la laïcité. AMY LEANG POUR " LE MONDE ")

 

Source : Le Monde

 

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