Bravant les tabous, l'universitaire Mohammed Al-Dajani a visité le camp d'extermination avec un groupe d'étudiants palestiniens. A Jérusalem, l'initiative suscite un tollé.
Le professeur Mohammed Al-Dajani, de l'université [palestinienne] Al-Qods de Jérusalem, a voulu initier ses étudiants à la tolérance. Il ne se doutait pas que cela allait lui valoir l'accusation d'être un traître, un agent de l'étranger et un renégat.
Dajani a emmené un groupe d'étudiants palestiniens dans le plus grand camp d'extermination nazi, à savoir Auschwitz-Birkenau, en Pologne. Ils y ont passé plusieurs jours, avec un guide juif, lui-même rescapé de l'Holocauste.
Fruit d'une collaboration entre l'université Al-Qods et l'université Friedrich-Schiller d'Iena, ce voyage devait “sensibiliser aux souffrances de l'autre” et “former la conscience historique des étudiants”, selon l'expression de Dajani. Or, à son retour à Jérusalem, ses collègues ont accusé Dajani d'être un traître et son université s'est désolidarisée de son initiative. A en croire celle-ci, il s'agissait d'une initiative personnelle du professeur, puisqu'il avait posé des congés : la préparation du voyage s'est donc déroulée hors du cadre de travail.
D'Auschwitz à la Nakba
“Je pensais que quelques personnes allaient exprimer leur mécontentement, puis qu'on allait passer à autre chose, explique Dajani. Or la polémique a enflé. On a évoqué un supposé financement du voyage par des organisations juives alors qu'il a été entièrement pris en charge par le gouvernement allemand.” Le professeur Dajani s'est vu objecter qu'il aurait mieux fait de parler à ses étudiants de la Nakba [la “catastrophe”], c'est-à-dire de la guerre arabo-israélienne qui s'est soldée par l'exode de centaines de milliers de Palestiniens et par la création de l'Etat d'Israël.
A l'inverse, pour le quotidien israélien Ha'Aretz, Dajani a été “courageux”. “Il revendique son nationalisme palestinien, mais il est convaincu que les Palestiniens doivent connaître l'histoire et savoir d'où viennent les Israéliens.”
Empathie avec ceux qui se sont fait tuer
Certains Palestiniens ont accusé le professeur de vouloir soumettre ses étudiants à un lavage de cerveau. Mais l'un des étudiants présents a expliqué que ce voyage a suscité parmi eux des sentiments “d'un grand humanisme”. "Nous nous sommes sentis en empathie avec ces gens qui se sont faits tuer à cause de leur origine ethnique ou religieuse, raconte-t-il. Et cela ne nous empêche pas de revendiquer un Etat palestinien."
Dajani avait déjà participé à une visite d'Auschwitz en 2011 avec un groupe rassemblant des juifs, des musulmans et des chrétiens. Il avait ensuite publié un article intitulé “Pourquoi il faut que les Palestiniens lisent davantage sur l'Holocauste”. Il est également l'auteur de la première présentation objective en langue arabe de l'extermination des Juifs, dont il espère qu'elle sera reproduite dans les manuels scolaires palestiniens.
“L'empathie avec l'autre peut aider à la réconciliation. J'espère que les Palestiniens réussiront à dépasser les pressions sociales qui veulent les empêcher d'ouvrir les yeux sur des choses qu'ils ignorent”, explique-t-il.
Dans un communiqué publié début avril, il avait écrit : “J'irai à Ramallah et je me rendrai à l'université. Je mettrai des photos du voyage sur Facebook. Je ne regrette pas une seconde ce que j'ai fait. Nous le referons si nous en avons la possibilité.” Et d'ajouter : “Je ne me cacherai pas et je ne resterai pas les bras ballants devant les souffrances des victimes.”
Lamis Farhat
(Photo :Barbelés de ce qui était le camp d'extermintation nazi d'Auschwitz-Birkenau en Pologne (AFP PHOTO/JANEK SKARZYNSK)
Source : Elaph via Courrier international
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