C'est surtout Birame Ould Dah qui doit s'inquiéter s’il ne change pas de formules ; de même que les journalistes qui disposent de preuves accablantes mais fondées sur des documents ayant fuité ou pris de façon non conventionnelle…
Voyons ça : trop occupé hier par découvrir l’étendue du plagiat honteux du législateur mauritanien, je n’ai pas pris le temps de lire tranquillement le contenu de la loi. Maintenant que c’est fait, je suis au regret de dire à tous ceux qui ont bondi comme moi en accusant cette loi d’être digne de la Corée du Nord que ce n’est pas tout à fait exact. C’est une loi à 95% défendable ; les 5% restants étant difficiles à avaler par la presse mais en la matière, il faudra que chacun accepte de risquer la prison s’il déteint des informations importantes à révéler…
Toutes les démocraties vieilles ou récentes ont dû mettre à jour leur arsenal juridique en se dotant d’une loi ayant trait aux activités dans le monde virtuel qui n’a de virtuel que le nom vu que ce qui s’y passe affecte directement le monde réel. Aussi, a-t-on partout vu fleurir des lois sur la cybercriminalité à la mesure des menaces qui affectent ces Etats et leurs citoyens.
La Mauritanie se réveille un peu tard et se lance dans cette affaire par le gazrage. Ironie du sort, en plagiant des passages entiers de la loi sénégalaise, la Mauritanie tombe sous le coup de son propre article 26 de sa loi sur la cybercriminalité
« Article 26 :
Les atteintes et violations au droit de propriété intellectuelle faites par tout moyen de technologie de l’information et de la communication ou par tout autre procédé technique, sont soumises aux mêmes sanctions prévues par les textes en vigueur notamment l’accord de Bangui relatif à la propriété intellectuelle »
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Pour le reste, avec cette loi, Birame Ould Dah Abeid va devoir soit tenir sa langue soit trouver d’autres mots car ses sorties virulentes contre les arabo-berbères peuvent tomber sous le coup de tous les articles à propos des propos racistes et l’incitation à la haine raciale comme d’ailleurs tous ceux qui rapportent ses propos.
C’est la fin de la récréation pour lui et tous ceux qui se servent des mêmes mots ou les diffusent car la loi s’applique même pour les mauritaniens à l’étranger :
« Article 3 :
Les dispositions du présent titre s’appliquent lorsque l’infraction est commise :
1. sur le territoire de la République islamique de Mauritanie ;
2. lorsque l’infraction est commise à l’étranger par un mauritanien ;
3. lorsque l’infraction commise à l’étranger et qu’il y ait une victime
mauritanienne ;
4. à bord d’un navire y battant pavillon ou d’un aéronef y étant
immatriculé selon la législation en vigueur. »
« Article 19 :
Quiconque aura, intentionnellement créé, téléchargé, diffusé ou mis à disposition sous quelque forme que ce soit des écrits, messages, photos, sons, dessins ou toute autre représentation d’idées ou de théories, de nature raciste ou xénophobe, par le biais d’un système informatique ou tout autre procédé technique sera puni d’un emprisonnement de six mois à sept ans et d’une amende de 1 000 000 à 6 000 000 ouguiyas. »
« Article 21 :
L’insulte commise, intentionnellement, par le biais d’un système informatique ou tout autre procédé technique envers une personne en raison de son appartenance à un groupe qui se caractérise par la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, linguistique, ou la religion dans la mesure où cette appartenance sert de prétexte à l’un ou l’autre de ces éléments, ou un groupe de personnes qui se distingue par une de ces caractéristiques sera puni d’un emprisonnement de six mois à sept ans et d’une amende de 1 000 000 à 6 000 000 ouguiyas. »
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Par contre ce qui très grave pour la presse et le droit à l’information c'est l’article ne faisant aucune distinction entre l’espionnage du citoyen lambda et la diffusion d’une information relevant du droit à l’information. Ainsi désormais tombent sous le coup de la loi, tous ceux qui publierons par exemple des écoutes, ou des documents pris à l’insu de quelqu’un fut-il chef d’Etat, ministre, parlementaire, même si ces écoutes ou ces documents ont trait à un scandale financier ou tout autre affaire criminelle. Ça fait du monde quand on se souvient de l’affaire des écoutes et tant de scandales. Fini le temps des scoops documents à l’appui ! alors que l’esprit de la loi est juste pour protéger le citoyen.
« Article 25 :
Est constitutif d'un acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité d’une personne, le fait d'enregistrer sciemment et non dans le cadre d’une activité professionnelle ou privée, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images, sons ou textes relatives à la commission d’infraction. Le fait de diffuser l'enregistrement de telles images, sons ou textes, mentionnés à l’alinéa précédent, est puni de six mois à cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 à 6 000 000 ouguiyas d'amende. »
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Ainsi, il a un problème à l’article 21 à propos des « révélations de secrets » d’une personne. De quels secrets parle-t-on ? La vie privée ou aussi les trafics ?
« Article 21
Quiconque aura, par un système informatique, de diffusion publique ou de tout procédé technique, porté atteinte l’intégrité morale d’une personne par voie de calomnie, injures, et révélations de secrets sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 100.000 à 500.000 ouguiya. »
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A propos de la crainte justifiée de voir une mauvaise interprétation à la carte du « caractère pornographique », la loi est claire dans sa définition du mot car le mot « explicite » en la matière apparaît clairement :
« Pornographie : toute donnée qu’elle qu’en soit la nature ou la forme représentant un mineur ou un adulte se livrant à un agissement sexuellement explicite ou des images représentant un mineur ou un adulte se livrant à un comportement sexuellement explicite »
Le seul problème en la matière, c’est l’outrage aux bonnes mœurs, terme vague qui servira à la carte.
« Article 28 :
Sera puni d’un emprisonnement de six mois à sept ans, d’une amende de 500 000 à 5 000 000 ouguiyas ou l’une de ces deux peines seulement quiconque aura violé les dispositions du code pénal relatives à l’outrage aux bonnes moeurs notamment lorsque les faits visés commis par un moyen de diffusion publique ou tout autre procédé technique, ont un caractère pédopornographique.»
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Pour le reste l’article 55 est incomplet, ce qui compte dans un droit de réponse ce n’est pas qu’il soit publié dans le 24H après réception par le directeur de publication mais qu’il soit publié dans les meilleures conditions d’audience !
« Article 55 :
Tout directeur de publication est tenu de publier la réponse portant sur l’exercice du droit de réponse, en application de l’article 30 de la loi sur les transactions électroniques, vingt-quatre heures, après la réception de la demande sous peine d'une amende de 120 000 à 12 000 000 ouguiyas, sans préjudice de toutes autres peines prévues par la législation en vigueur »
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Pour finir : pas un mot interdisant la loterie via " les systèmes informatiques" et palme du ridicule pour les articles à propos de la défense nationale à propos de la collecte d'information quand on sait que tous les opérateurs téléphoniques et fournisseurs d'accès à internet appartiennent au privé et majoritairement à des puissances étrangères…
Conclusion : à part le problème du traitement de l’information en cas de fuite qui peut aider à informer l’opinion publique et même le pouvoir à propos d’un scandale, à part le flou « des bonnes mœurs ». Cette loi ne peut pas être qualifiée de loi liberticide digne de la Corée du Nord comme nous l’avons fait. Elle permet de protéger chacun contre les enregistrements pirates, la diffusion de données personnelles etc. mais elle a besoin de quelques sérieux amendements pour ne pas faire perdre à la Mauritanie son acquis sérieux en matière de liberté d'expression même si cette liberté d’expression n’a jusque-là en rien permis d’améliorer la qualité de l’information en Mauritanie vu la pléthore de peshmergas dont les résultats professionnels de leur activité alimentaire n’ont rien à voir avec l’absence de rigueur de la loi.
Ainsi, jamais depuis la liberté d’expression totale, l’information disponible n’a été si légère voire si peu crédible, si peu digne d’intérêt ou presque…
Vlane A.O.S.A.
Source : Chez Vlane le 8 avril 2014
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