L'ex-chef des milices pro-Gbagbo, Charles Blé Goudé, a comparu pour la première fois à La Haye.
Charles Blé Goudé n'était pas apparu en public depuis le début de sa cavale, en avril 2011. Dès les premières minutes de sa comparution devant la Cour pénale internationale (CPI) le 27 mars à La Haye, l'ex-dirigeant des Jeunes patriotes, une milice qui soutenait Laurent Gbagbo lorsqu'il était président (2000-2010), a profité d'une question anodine pour se lancer dans une déclaration politique.
A la juge qui voulait savoir en quelle langue il souhaitait être jugé, tout en saluant son français " parfait ", l'Ivoirien a rétorqué : " Je suis d'un pays qui a été colonisé par la France ". A la Cour, celui qui affichait fièrement le surnom de " général de la rue " pour sa capacité à mobiliser et chauffer les foules pendant les heures tourmentées de la première crise ivoirienne, au début des années 2000, s'est présenté comme un " consultant en communication politique ".
Il a confirmé connaître le mandat d'arrêt émis par le procureur en décembre 2011. La justice internationale le suspecte de crimes contre l'humanité pour des meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains commis entre décembre 2010 et avril 2011 lors des violences post-élection présidentielle en Côte d'Ivoire.
Selon l'ONU, ces affrontements ont fait plus de 3 000 morts. Pourtant, face à la juge, il assure déjà qu'il sera innocenté. " Je retournerai chez moi ", assure à l'audience celui qui fut également un éphémère ministre de la jeunesse pendant la crise. A une condition : " Que je sois jugé pour ce que j'ai fait et non pour ce que je suis ".
Ce que Charles Blé Goudé revendique d'être, c'est un opposant à l'actuel chef de l'Etat ivoirien, Alassane Ouattara. Lorsque ce dernier avait été reconnu par la communauté internationale comme le vainqueur de la présidentielle de 2010, son rival et prédécesseur, Laurent Gbagbo, avait répliqué par la violence.
C'est à ses côtés, en tant que " conseiller " et subordonné, que Charles Blé Goudé aurait, selon l'accusation, mis en œuvre un plan destiné " à conserver le pouvoir par tous les moyens. "
Le 22 mars, il a quitté Abidjan pour La Haye dans un vol spécial. La veille, " on m'a bandé les yeux, on m'a mis une cagoule ", a-t-il affirmé. Pourtant, Charles Blé Goudé dit être " content " d'être devant la CPI, pour que " la vérité soit sue, que cessent les murmures ". " Content " aussi d'être détenu dans une prison où il peut dormir et manger, même si " ce n'est pas un quatre étoiles ". Au sujet de sa détention à Abidjan, il se plaint d'avoir été mis à l'isolement, maltraité, sans contacts avec sa famille. Dans la galerie du public, sa sœur retient difficilement ses sanglots.
Mais la vingtaine de ses partisans venus l'écouter depuis la galerie publique de la Cour, sourient, ravis, lorsque leur chef proclame, main sur le cœur, être " avec Gbagbo, pro-Gbagbo et fier de l'être. "
Charles Blé Goudé a rejoint son mentor en prison. Laurent Gbagbo y réside depuis plus de deux ans. Le procureur aurait cependant demandé que les deux hommes soient pour l'instant séparés. " C'est avec Gbagbo que j'ai appris la réconciliation ", assure-t-il. Ses partisans saluent le discours poing levé, sous le regard furieux des agents de sécurité. Peu avant, un militant avait dû enlever son tee-shirt à l'effigie du " général de la rue ".
" Général de la rue ", c'est ce rôle que lui reproche le procureur. Le chef des Jeunes patriotes aurait recruté, entraîné et armé des milliers de jeunes pour mettre en œuvre la politique de Laurent Gbagbo. Une politique, selon l'accusation, qui a ciblé les partisans de son rival Alassane Ouattara pour l'empêcher d'accéder au pouvoir.
Charles Blé Goudé ne répondra que de ces faits. Il n'est pas poursuivi pour les manifestations anti-françaises de 2004, qui lui avaient valu des sanctions des Nations unies pour incitation à la haine et violences. L'épisode, qui avait opposé les forces françaises de l'opération Licorne à celles de la Côte d'Ivoire, ne sera donc pas évoqué devant la Cour, même si les juges ont demandé au procureur, mais sans succès, d'enquêter sur les événements survenus depuis le début de la crise politique en Côte d'Ivoire, en septembre 2002. A ce moment-là, des forces soutenant Alassane Ouattara s'étaient emparées de plusieurs villes du pays, coupant durablement le pays en deux.
Les juges ne débattront du dossier sur le fond qu'à partir du 18 août, date des audiences de confirmation des charges destinées à vérifier la solidité des accusations du procureur et, le cas échéant, organiser son procès.
Stéphanie Maupas
Source : Le Monde
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