Billet d’humeur. Islam et radicalisations en Mauritanie : on est mal barré!

Souce: googleSeptembre 2012, Pakistan : une jeune fille chrétienne est accusée d’avoir profané le Coran. Une vague d’indignation secoue le pays qui manque de sombrer dans la guerre civile. C’était avant que l’assistant de l’imam Hafiz Mohammed Khalid Chishti, l’auteur des accusations, et quelques témoins ne révèlent que l’auteur de la profanation n’était autre que… l’imam lui-même pour qui « il s'agit de la seule façon d'expulser les chrétiens de ce quartier'". Mars 2014, Mauritanie. Un imam déclare avoir vu des personnes descendre d’une voiture avant de s’introduire dans une mosquée, y prendre des livres de Coran qu’ils profaneront dans les toilettes attenantes.

C’était dans la nuit du 2 au 3 à Nouakchott. Les manifestations consécutives à cet acte ont déjà provoqué la mort du jeune Ahmed Ould Hamoud, 20 ans. C’est suffisant pour que certaines voix foncent, têtes baissées, dans la marre des théories complotistes les plus folles. Elles sont portées, ces voix, par des vents favorables et des coïncidences qui alimentent les rumeurs les plus surréalistes : comme lors de l’incinération des livres du rite Malékite en avril 2012 (à la veille d’une manifestation commune de l’opposition), ou encore la médiatisation (en décembre 2013 au lendemain d’élections législatives et municipales boycottées par une partie de l’opposition radicale) des propos de Ould Mkheytir, un jeune ingénieur de 28 ans pointant du doigt certains jugements du prophète de l’Islam (PSL), cette nouvelle affaire surgit juste après la tenue en mars 2014 du Forum National de la Démocratie et de l’Unité supposé permettre à l’opposition de reprendre l’initiative. D’autres voix établissent un pont entre cet acte et l’échec de la version mauritanienne du Printemps arabe avec pour slogan « Aziz dégage », une façon de dire que les « islamistes » qui ont préempté les révolutions tunisiennes et égyptiennes seraient les principaux bénéficiaires d’un embrasement de la situation en Mauritanie. L’imam qui a révélé l’affaire est entendu par la police en sa qualité de témoin unique.

Au-delà de ces spéculations sur les auteurs et les mobiles, il ne serait pas superflu de s’arrêter un instant sur les implications de cet acte. Ce que révèle la situation en Mauritanie, c’est que l’atteinte aux symboles religieux est le plus sûr moyen de faire basculer les équilibres politiques et sociaux. Et il serait imprudent de ne pas voir derrière ces manifestations un exutoire des frustrations accumulées le long des années dans un pays où le citoyen a perdu le sens de l’humour et la joie de vivre. Combien de manifestants se soucient réellement de la suprématie des valeurs de la religion ?

Nous sommes donc bien obligés de constater les dégâts : les temps sont durs pour les habitants du pays dit des mille poètes. Notre société a changé de nature ; radicalement (sans mauvais jeu de maux) ! Plutôt que de se livrer à de la belle poésie en quatrains, les voilà réduits à se « parler » à l’aide de burins. L’art de l’archéologie avec des marteaux-piqueurs. Les traditions ont bien changé. Les débats courtois avec expositions d’arguments ont cédé le pas aux menaces, aux invectives, au terrorisme (intellectuel ou explosif), la tyrannie du consensus –de préférence mou- et la dictature du plus fort. Ceux qui crient plus fort s’érigent en procureurs et en administrateurs de nos consciences. Eux seuls sont en droit de dire qui est « bien », qui est « mauvais », qui a « raison », qui a « tort ». Si tu n'es pas de mon avis tu es le diable, un sorcier, un traître, un nègre de service, un agent de renseignement, un apostat, un kaffre, un mécréant, un ennemi de Dieu, un agent au service d'Israël, un ennemi de la nation…Nous devons nous isoler de ces dérives staliniennes et totalitaristes par une barrière hygiénique, une ligne Maginot. C'est un acte d'hygiène morale et de salubrité mentale. Comment en sommes-nous arrivés là ?

En vérité, le ver s’est installé dans le fruit de façon insidieuse et depuis quelques années. Par laxisme ou pour d’autres raisons, nous avons regardé faire. Des pratiques islamiques jusqu’alors inconnues sous nos cieux ont commencé à s’installer en Mauritanie dans les années 1990 en même temps que les mouvements dits de Da’wa et Tabligh. De leur côté et sans réel contrôle, certaines ambassades ont longtemps distillé en sous-marin et en toute impunité leur « vision » d’un Islam d’abord expansif, prosélyte puis de plus en plus explosif et radical ; au point de faire de la Mauritanie une agence de recrutement des groupes terroristes qui écument le Sahara-Sahel. Et ceux d’entre eux qui jouent les vierges effarouchées, s’accordent aussi le droit de faire le tri dans l’indignation : les violations massives des droits de l’homme dont sont victimes certains de leurs frères en Islam ne doivent surtout pas faire bouger une mouche. Ce Coran-là peut être profané en toute impunité.

Sous prétexte d’attachement aux valeurs traditionnelles, beaucoup de personnes ont abdiqué sur beaucoup de plans. Ce pays a terriblement régressé sur le plan intellectuel et spirituel d'abord. Tout fout le camp. C'est la raison du plus fort depuis quelques années déjà et nous avons assisté à la montée de certains phénomènes en restant passifs. On se fait agresser pour ce qu'on dit et, pire encore, pour ce qu'on ne dit pas. Certains pensent devoir terroriser tous ceux qui ont la mauvaise inspiration d’avoir une idée qui n'entre pas dans les cases. La complaisance, le désir de ne pas choquer au nom d'une hypothétique lutte pour je ne sais quelles causes, on tait tout, on passe tout, aux barbus comme aux « droitdelhommistes » armés de gourdins à défaut d'idées. Et on en récolte les fruits aujourd'hui. Les digues ont sauté les unes après les autres. Les cordons sanitaires ont disparu et on ne se gêne plus de danser un tango avec le diable.

Et les soupapes de sécurité que sont les syndicats, les associations et les partis politiques, y compris et surtout de l’opposition, ne peuvent contenir les vagues actionnées par d’irrésistibles lames de fond. Dans un système qui se veut démocratique, respecter et responsabiliser les partis (même de l’opposition) n’est pas aussi futile que les bagues aux doigts du lépreux. Idem pour les grands débats nationaux : nature de la société, place de la religion, identité nationale, cohabitation, langues nationales, esclavage, racisme, place de la femme, système éducatif, politique étrangère… Nous sommes vraiment dans la m… mouise. 

De son côté, la bienpensance « progressiste » ou « laïcarde » doit aussi faire œuvre d’introspection. En mars 2001, quand les talibans Afghans avaient dynamité les statues de Boudha à Bamiyan, l’indignation des progressistes, des laïcs et du monde libre était générale : crime contre la culture, destruction du patrimoine, barbarie, intolérance religieuse… Les mêmes perdent la voix et la mémoire quand d’autres symboles religieux sont profanés. Il s’agit pourtant aussi d’un patrimoine, d’une culture, de croyances et de cultes en lesquels se reconnaissent plus d’un milliard d’individus. Les apprentis-sorciers qui soufflent sur la braise en étant assis sur un baril de poudre sont bien conscients des risques d’embrasement et de troubles à l’ordre public que peuvent provoquer leurs gestes insensés.

En dernière analyse, face à l’occlusion de l’horizon, il n’y a plus d’autre choix que de sanctifier les symboles religieux pour les mettre à l’abri de telles instrumentalisations et agressions. Quant à ceux qui auront envie de réaliser l’Union sacrée derrière le calife, détenteur du pouvoir et garant de la protection des symboles religieux tout comme ceux qui auront l’intention de renverser un pouvoir « qui n’est même pas capable de protéger les symboles religieux contre des mécréants sans foi ni loi », tous savent maintenant ce qu’il leur reste à faire si l’envie les prenait de faire basculer les équilibres. Ceux qui ont surfé sans réserve sur la vague religieuse en faisant dans la surenchère et le populisme n’auront plus que leurs yeux pour pleurer et arroser de larmes amères leurs barbes de trois jours.

Abdoulaye DIAGANA pour www.kassataya.com

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