Les gouvernements du Maghreb prennent des mesures de répression à l'encontre des jihadistes et des personnes ayant voyagé vers la Syrie.
"Nous ne disposons pas des chiffres exacts, mais le nombre de Tunisiens revenus de Syrie est évalué à environ 400", a déclaré le ministre tunisien de l'Intérieur Ben Jeddou le lundi 24 février.
"Mais nous les suivons de près. Nous avons établi une base de données…. car ils ont acquis de l'expérience et de l'entraînement et il faut les suivre de près", a-t-il ajouté à l'issue d'une réunion avec les parlementaires
Cette déclaration de Ben Jeddou intervient dans le sillage de l'évasion vers la Libye d'un terroriste recherché. Il était parvenu, le mois dernier, à échapper aux unités de la Garde nationale et aux équipes de l'agence de lutte contre le terrorisme qui encerclaient la mosquée Ettawba, dans le quartier Jebel Lahmer de Tunis.
Numéro deux d'Ansar al-Sharia, Kamel Zarrouk se trouve désormais en Syrie, où il a rejoint l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Zarrouk, âgé d'une quarantaine d'années, est apparu pour la première fois en tant que khatib en 2011. Il a alors commencé à voyager et à donner des conférences, de Bizerte à Sousse et à Zaghouan, dont une au cours de laquelle il a assimilé Oussama Ben Laden aux compagnons du prophète.
"Avant que cet émir ne se tourne vers le salafisme il y a quelques années, il travaillait comme vigile dans une boîte de nuit à Tunis", raconte à Magharebia son voisin Khaled, agent de sécurité. Zarrouk est connu dans son quartier pour encourager les jeunes à partir mener le jihad en Syrie, qu'il considère comme étant le tremplin qui permettra d'établir un Etat islamique du Golfe à l'océan.
Ceci avait incité certains parents à s'adresser aux tribunaux pour qu'il cesse de prêcher auprès de leurs enfants des idées extrémistes glorifiant la voie du jihad et son aboutissement ultime, la mort, en Syrie.
Maha Abd Hamid, 48 ans, explique à Magharebia : "Le voyage vers la Syrie est devenu pour moi un cauchemar, parce que mon fils de 19 ans est fasciné par les jihadistes et suit toute leur actualité sur les réseaux sociaux. Cela nous a poussés à le surveiller constamment."
"Mon fils va régulièrement prier à la mosquée, mais j'ai peur de certains éléments qui attirent les jeunes là-bas, et son père le surveille donc même à la mosquée", ajoute-t-elle.
Le nombre de combattants tunisiens présents en Syrie s'élève maintenant à presque 5 000. "Nous avons empêché 8 000 personnes de se rendre en Syrie", a récemment confirmé le ministre de l'Intérieur Ben Jeddou.
La principale inquiétude des responsables chargés de la sécurité et des observateurs réside dans le retour de ces combattants en Tunisie. Le gouvernement doit encore mettre au point une stratégie claire pour statuer sur leur cas et les réintégrer dans la société "afin qu'ils ne se transforment pas en bombes à retardement susceptibles d'exploser à tout moment", a écrit le quotidien tunisien Echourouk le 9 février.
La Tunisie n'est pas seule
Au Maghreb, les gouvernements et la société civile s'efforcent d'empêcher des centaines de jeunes hommes de partir sur le front syrien pour combattre aux côtés de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), affilié à al-Qaida.
"Les gouvernements du Maghreb vivent divers degrés d'alerte maximum, non seulement parce que leurs jeunes sont partis combattre en Syrie, mais aussi parce qu'ils craignent que ces jeunes hommes ne deviennent une menace pour leurs propres pays quand ils reviendront du front, après avoir reçu des formations militaires", explique à Magharebia Tarik Benyaoui, spécialiste tunisien de la sécurité.
Pour le Dr Kabad Ould Abdel Rahman, chercheur spécialisé dans les affaires maghrébines, "Tenter de construire des nations conformément à des idéologies extrémistes ne sert en aucun cas la structure sociale".
Nasir al-Din Chamouchi, un jeune Mauritanien, déclare à Magharebia que "Ceux qui sont partis en Syrie en croyant combattre pour le salut d'Allah en Syrie ou ailleurs n'envisageront pas de retourner dans ce pays à moins de vivre conformément à des idées et lois identiques".
En raison de l'absence de l'Etat en ce qui concerne la sécurité sur le terrain, certains jeunes Libyens et d'autres venus de Tunisie et du Maroc ont profité du manque de protection le long de la frontière libyenne pour se rendre en Turquie puis, de là, en Syrie afin de participer aux combats.
Miftah Belaid, journaliste libyen au journal al-Jadidah dit : "Le gouvernement ne peut pas empêcher le départ des combattants vers la Syrie, particulièrement dans certaines villes de l'est contrôlées par des groupes islamistes armés. Ces villes sont devenues des viviers de combattants."
Pour Seif Edine Dabbashi, originaire de Tripoli, la Libye a servi de porte d'accès principale à la Syrie pour de nombreux combattants.
"Ils ont même été formés ici avant d'être envoyés en Turquie puis sur le front, en Syrie", indique-t-il.
"Mais la situation sécuritaire en Libye est chaotique, chaque jour, et je ne pense pas qu'interrompre ce flux [de combattants] soit une priorité pour l'actuel gouvernement libyen."
Les autorités marocaines semblent pour leur part être très conscientes de la problématique des jihadistes qui partent combattre en Syrie.
Le ministre de la Justice et des libertés Mustapha Ramid a, lors d’une conférence de presse en décembre dernier, mis en garde contre ceux qui partent au Jihad en Syrie, estimant que leur retour au pays poserait un grand problème.
Dans cet objectif, le Maroc, en coordination avec les pays voisins, s'efforce de mettre un terme au recrutement par al-Qaida de jeunes jihadistes pour le front syrien. A l'automne dernier, l'Espagne et le Maroc avaient démantelé conjointement deux cellules de ce type.
"Certes, les services de sécurité sont vigilants… Il est temps de sensibiliser la population et de prononcer des peines lourdes contre les jihadistes, notamment les récidivistes", souligne la sociologue Assia Selhami.
C’est ce que pense Oussama Mrabti, 21 ans : "Aider le peuple syrien ne passe pas par les réseaux terroristes qui n’hésitent pas à endoctriner les jeunes. Ce sont les Etats qui doivent se mobiliser".
Contrairement aux autres pays du Maghreb, l'Algérie a conservé des relations diplomatiques pleines et entières avec la Syrie ; ceci lui a permis de disposer avec les agences de sécurité syriennes de la coordination nécessaire pour empêcher, au moins en partie, le départ de combattants algériens sur le front syrien.
"Le thème du retour du jihad et du terrorisme n'est pas nouveau, tout du moins pas au Maghreb", relève le journaliste mauritanien Ahmedou Ould Achrif Mukhtar.
La nouveauté réside désormais dans les efforts déployés par les pays du Maghreb pour empêcher les jihadistes de partir se battre.
Les Tunisiens de retour de Syrie sont de véritables bombes à retardement, a dit le porte-parole du ministère tunisien de l'Intérieur Mohamed Ali Aroui. Dans une déclaration à Shems FM, Aroui a mis en garde contre le danger pour la sécurité que représente le retour du front de ces jihadistes.
Aroui a ajouté que la Tunisie pourrait offrir des récompenses aux citoyens qui aideraient à la capture de terroristes dangereux.
Par Yasmin Najjar et Jamel Arfaoui à Tunis, Essam Mohamed à Tripoli, Siham Ali à Rabat et Jemal Oumar à Nouakchott
Source : Magharebia le 26/02/2014{jcomments on}
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