Le ministère espagnol des affaires étrangères a voulu rapidement mettre les choses au point, avant d'être submergé de demandes : non, il n'est pas encore possible aux juifs du monde entier qui peuvent prouver leur origine séfarade et " un lien spécial avec l'Espagne " de soumettre leur demande de naturalisation ; mais oui, dès que le Parlement aura approuvé le projet de loi adopté le 7 février par le gouvernement, la citoyenneté espagnole sera accordée à ceux qui réunissent les critères exigés, sans qu'il leur soit demandé de renoncer à leur nationalité actuelle et sans qu'il leur soit nécessaire de résider en Espagne.
Pourquoi une telle générosité ? Parce que l'Espagne a mauvaise conscience. C'est en 1492 que le roi Ferdinand II d'Aragon et la reine Isabelle de Castille ont signé le décret de l'Alhambra ordonnant aux juifs de se convertir à la religion catholique ou de quitter le pays, un exil d'autant plus douloureux à accepter que les candidats au départ devaient laisser sur place pratiquement tous leurs biens, au profit de l'Inquisition et du pouvoir royal.
En 2014, l'Espagne a jugé qu'il était temps de reconnaître " la pertinence de l'héritage séfarade dans son histoire et sa culture ". Difficile de savoir combien de personnes sont concernées, une estimation très aléatoire faisant état de quelque 3,5 millions de candidats potentiels vivant aujourd'hui en Israël, en France, aux Etats-Unis, en Turquie, en Argentine et dans au moins une demi-douzaine d'autres pays. Tous seraient peu ou prou des descendants des quelque 300 000 juifs qui vivaient en Espagne à l'époque des Rois catholiques.
Mauvaises langues
Cette loi a " une profonde signification historique, a souligné Alberto Ruiz-Gallardon, ministre espagnol de la justice : pas seulement parce qu'elle concerne des événements de notre passé dont nous ne devons pas être fiers, mais parce qu'elle reflète la réalité de l'Espagne comme société ouverte et plurielle ". L'Espagne a " une dette " envers la communauté séfarade, a ajouté le ministre. Certes, la mauvaise situation économique de l'Espagne a pu jouer un rôle dans cette soudaine reconnaissance, comme l'ont suggéré quelques mauvaises langues…
Le processus législatif va prendre plusieurs mois, mais quand la loi entrera en vigueur, il faudra se dépêcher : la nationalité espagnole ne sera accordée que pendant une période limitée. En Israël, où bon nombre de citoyens rêvent d'obtenir un passeport européen comme une sorte de police d'assurance au cas où la situation sécuritaire tournerait mal, l'annonce du gouvernement de Madrid a provoqué un fort intérêt. La presse a publié une première liste de patronymes à consonance séfarade, et certains des Abarbanel, Abutbul, Attias, Bitton, Maimon, Matalon, Menashe, etc. ont commencé à rêver à la perspective d'habiter une partie de l'année à Séville, Cordoue, Tolède et Grenade, villes espagnoles où la tradition juive connaît une renaissance depuis quelques années.
Laurent Zecchini (Jérusalem, correspondant)
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com