Maroc – Mauritanie : chambre à part

Depuis l'élection du président Ould Abdelaziz, en 2009, couacs et incidents se multiplient entre les deux pays. Réelle discorde ou simple malentendu ? 

"Le Maroc est-il en train de perdre la Mauritanie?" s'interrogeait, il y a un an, le site d'informations lakome.com. Si la question reste d'actualité, c'est que, sur ce front, aucun signe de détente n'a été constaté. Il ne se passe pas une semaine sans que la presse de l'un des deux pays ne remette sur la table la détérioration des relations bilatérales. 

Pourtant, dans un passé pas si lointain, en août 2008, la prise du pouvoir du général Mohamed Ould Abdelaziz était plutôt bien accueillie à Rabat. Le coup d'État de l'ex-chef d'état-major particulier du président Sidi Ould Cheikh Abdallahiremettait en selle un pouvoir militaire qui avait dominé l'histoire de la Mauritaniedepuis 1978. 

Un pouvoir qui avait l'avantage, pour Rabat, de ne pas déranger ses plans pour leSahara occidental. D'autant qu'Aziz, formé à l'académie militaire de Meknès, comme son cousin Ely Ould Mohamed Vall, est un Oulad Bou Sbaa, une tribu d'origine marocaine.

Comment expliquer, dès lors, la succession de couacs et de signes d'agacement qui caractérise les relations entre les deux pays ces derniers temps ? Au point que certains évoquent même un renversement d'alliances entreNouakchott et ses deux voisins du Nord. 


"On ne peut pas vraiment parler de nouvelle doctrine étrangère du président Aziz, tempère Alain Antil, directeur du programme Afrique subsaharienne à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Mauritanie. Il y a, certes, la volonté d'améliorer les relations avec Alger, mais pas de remise en cause durable de la position vis-à-vis de Rabat. La densité des relations entre les deux pays reste exceptionnelle. Ceux qui s'inquiètent d'un virage algérien connaissent bien mal la Mauritanie."

Les "incompréhensions" sont anciennes

Toujours est-il que les incidents se sont multipliés. En 2009, à peine élu, le président Ould Abdelaziz prépare ses premières sorties à l'international et le fait savoir aux autorités marocaines. La réponse, sous forme d'invitation officielle de Rabat, tarde à arriver, ce qui pousse Aziz à visiter d'abord Alger. "C'était un symbole fort, une manière de dire que la Mauritanie devait être prise au sérieux", souligne un connaisseur du dossier. 

En décembre 2011, le directeur de l'agence de presse marocaine MAP, accusé d'espionnage, est expulsé de Mauritanie, sur fond de rivalité entre les deux pays pour un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Un an plus tard, le numéro deux du gouvernement de Rabat, Abdellah Baha, est snobé par le président Aziz lors de sa visite à Nouakchott.

Les "incompréhensions" – selon la formule d'un diplomate marocain – sont anciennes. En 2005, d'aucuns avaient cru voir la main du royaume derrière le coup d'État réussi du directeur de la Sûreté générale, Ely Ould Mohamed Vall. "Des allégations faiblement étayées", selon Antil

"Ce coup d'État est le premier dans l'histoire du pays qui n'a pas eu de relais externes : la France, le Maroc et la Libye avaient été impliqués dans les affaires précédentes", note, dans L'Année du Maghreb 2007, l'universitaire Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou (lequel sera notamment ministre des Affaires étrangères de 2008 à 2009).

Politique marocaine plus offfensive

"Toutes ces rumeurs coïncident avec une politique marocaine plus offensive dans la région, relève l'anthropologue Mustapha Naïmi, directeur des études sahariennes à l'université Mohammed-V de Rabat. Le royaume déploie une stratégie d'investissements ciblés en Mauritanie, surtout dans les domaines des transports, des médias et des communications. De plus, les banques marocaines sont de plus en plus sollicitées pour financer des partenariats avec des hommes d'affaires mauritaniens.

L'objectif est d'aller chercher en commun des marchés en Afrique de l'Ouest. De nombreux accords commerciaux et traités de coopération ont été conclus, ces dernières années, par les deux gouvernements. Un axe Rabat-Nouakchott-Dakar que l'Algérie ne verrait pas d'un très bon oeil. "En échange de ses financements très généreux (routes, hôpitaux, énergie), Alger demande toujours plus au pouvoir mauritanien", opine Mustapha Naïmi.

Dans ce contexte de rivalité algéro-marocaine, la Mauritanie a longtemps occupé une position de neutralité contrainte. Nouakchott a visiblement trop à perdre en choisissant un camp ou l'autre. De 1975 à 1984, le régime avait été ébranlé par la guerre au Sahara, ce qui précipita d'ailleurs sa chute et ouvrit une phase de coups d'État. 


Sous la présidence de Maaouiya Ould Taya, la doctrine à propos du conflit auSahara occidental a été résumée en une formule sibylline : "neutralité positive". Côté marocain, on admet que Nouakchott puisse reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et adopter une position conciliante vis-à-vis de l'Algérie. Pas un centimètre de plus. "Il y a là comme une ligne jaune que le président Ould Abdelaziz n'est pas près de franchir, analyse Antil

Rien dans les discours ni dans les décisions n'accrédite une approche plus volontariste au Sahara." Aziz n'a même pas reçu l'envoyé spécial onusien pour leSahara, Christopher Ross, lors de sa dernière visite, le 25 janvier. Neutralité, encore et toujours.

Le cas Bouamatou

Le plus célèbre des Mauritaniens installés au Maroc est assurément Mohamed Ould Bouamatou.
Ce banquier et patron prospère réside à Marrakech, d'où il gère son empire. Il y a un an, trois de ses entreprises ont reçu des avis de redressement fiscal d'un montant estimé à 4,3 milliards d'ouguiyas (10,3 millions d'euros). Une disgrâce pour ce cousin éloigné du président Aziz – il est de la tribu des Oulad Bou Sbaa – qu'il a soutenu en 2008-2009.
"Cet exil rend service au pouvoir, décrypte un observateur. Il reste proche du président. La tension est un peu retombée et ils finiront bien par se réconcilier." Son cas n'est pas isolé. Récemment, nombre de Mauritaniens ont investi au Maroc. Pour se prémunir contre d'éventuels risques, ou simplement pour ne pas
mettre tous leurs oeufs dans le même panier.
 
Youssef Aït Akdim
 
Source  :  Jeune Afrique le 12/02/2014{jcomments on}
 
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