Des révélations font état de la possible présence de composants espions américains dans des satellites vendus aux Emirats arabes unis. Washington veut que la zone reste sa chasse gardée.
Une " manipulation américaine ". Dans les milieux de défense français, la chose est entendue. L'information parue début janvier, selon laquelle les deux satellites d'observation militaires que Paris s'apprête à fournir aux Emirats arabes unis (EAU) comportent des composants américains espions, n'est pas sortie par hasard, assurent au Monde plusieurs sources.
L'affaire est embarrassante. Le 5 janvier, l'hebdomadaire américain spécialisé Defense News affirmait que le contrat franco-émirien du programme Falcon Eye, d'un montant de 700 millions d'euros environ – pour deux satellites et une station au sol – était compromis. La cause : le matériel français contient des composants fournis par les Etats-Unis, qui pourraient permettre à Washington d'avoir un accès clandestin aux images transmises.
Les satellites, de la classe des Pléiades utilisés par l'armée française, sont très performants. Ils permettent d'obtenir des images de précision, ou de modéliser un terrain, de façon à établir la chaîne de navigation et de guidage de missiles vers une cible.
Le moment de cette révélation n'était pas anodin. La fuite serait intervenue peu avant la date butoir fixée dans le contrat pour purger les éventuels vices cachés de l'équipement. La vente, décrochée par Paris après cinq années de négociations face à son concurrent américain Lookheed Martin, avait été signée le 22 juillet 2013 à Abou Dhabi par le ministre français Jean-Yves Le Drian et le prince Mohamed Bin Zayed Al-Nahyan, en présence des industriels Astrium et Thales. Livraison prévue en 2018. Pour les EAU, un tel équipement permettra de mieux appréhender la menace iranienne.
" Les composants en question ne représentent que 10 % de l'ensemble ", nuance une source militaire française, pour qui l'affaire ne devrait pas remettre en cause le contrat. Reste que ces éléments sont sensibles, et que les EAU souhaitent les remplacer. Selon Defense News, citant des sources à Abou Dhabi, les Emirats se seraient déjà tournés vers la Russie et la Chine.
" On ne peut pas savoir si les Américains ont logé un malware ou un spyware – logiciel espion – , qui leur permettrait par exemple d'empêcher le satellite de fonctionner quand il passe sur certaines zones, indique un expert proche de ces dossiers. Mais, depuis l'affaire de la NSA, on est obligé de partir du principe que ce type de matériel est vérolé. "
Une question, sous-jacente et sans réponse, porte sur le fait de savoir si les composants ont été soumis ou non aux normes gouvernementales américaines d'exportation ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Incidemment, pour des composants soumis à cette réglementation, la condition d'exportation d'un système d'imagerie satellitaire est qu'il comprenne un obturateur l'empêchant d'opérer, soit à certains moments, soit sur certaines zones, notamment au-dessus d'Israël. Les Français ont intérêt à promouvoir des équipements " ITAR free ", pour garantir à leurs clients qu'aucun veto américain ne risque, au dernier moment, de rendre le contrat caduc.
Lundi 27 janvier, au lendemain d'une visite de Jean-Yves Le Drian à Washington, une source ministérielle a déclaré au Monde qu'une " solution technique " avait été trouvée, sans plus de détails.
L'affaire s'inscrit dans un contexte de concurrence exacerbée entre exportateurs d'armement, à l'heure où les Etats-Unis, comme la France, voient leur marché national de défense se rétrécir sous la contrainte budgétaire. Les industriels français attestent d'une présence américaine encore plus agressive que de coutume sur les marchés du Golfe, premiers acheteurs d'armes au monde et où les Etats-Unis dominent déjà largement. Paris, comme Washington, négocie actuellement d'autres contrats avec les EAU, espérant regagner des points dans ce pays et peut-être, vendre son Rafale.
Au-delà, l'épisode révèle une sérieuse tension stratégique. Les satellites d'observation sont des équipements majeurs de l'autonomie nationale. " Les Etats-Unis n'exportent pas de satellite, et ils ne veulent pas voir d'autres en fournir dans le Golfe, quels qu'ils soient, pour continuer de maîtriser le renseignement image qu'ils échangent avec les pays de la région ", ajoute l'expert déjà cité. Selon La Tribune, qui a relaté les coulisses de la négociation en juillet 2013, le contrat franco-émirien comprend une aide française sur l'interprétation des images et un partage du renseignement recueilli.
Nathalie Guibert
Source : Le Monde
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