Un lapin en bronze a été découvert dans l'oreille de la nouvelle statue de Nelson Mandela à Pretoria. Les autorités sud-africaines ne goûtent guère cette vengeance des sculpteurs, vexés des conditions de travail imposées. Dans l'Histoire, Michel-Ange était passé maître pour glisser discrètement ces pieds de nez.
Il ne faut jamais chercher des noises à un artiste : il risquerait de vous ridiculiser pour l’éternité en dissimulant un message dans l’une de ses œuvres. Pressés par les autorités sud-africaines d’achever rapidement une statue de Nelson Mandela [inaugurée à la mi-décembre devant le palais présidentiel à Pretoria] et n’ayant pas été autorisés à signer leur œuvre, les sculpteurs Andre Prinsloo et Ruhan Janse van Vuuren ont placé un lapin de bronze dans l’oreille de l’ancien président. Ils reconnaissent aujourd’hui que leur plaisanterie avait un sens caché : en afrikaans [langue sud-africaine, originaire du Néerlandais], le mot "lapin" signifie également "hâte".
Peut-être font-il une allusion aux facéties du même genre auxquelles se sont livrés certains des plus grands artistes de tous les temps. Comme par exemple Michel-Ange, un maître en la matière. Le bras de sa statue de Laurent de Médicis à la basilique San Lorenzo de Florence repose discrètement sur une tirelire : ce détail, qui passe facilement inaperçu car la cassette est à moitié dissimulée par un masque monstrueux, est une allusion voilée à la richesse indécente de la famille Médicis.
Michel-Ange a également expliqué que l’allégorie de la Nuit, dans le même mausolée, exprime son désir de dormir jusqu’à la fin de la tyrannie des Médicis. Il a exprimé le même mépris vis-à-vis d’un dignitaire du Vatican qui l’avait critiqué en le représentant sous la forme d’un démon à queue de serpent dans sa fresque du Jugement dernier. Plus énigmatique, derrière son Esclave mourant, sculpté pour le tombeau de Jules II, se cache une pomme, qui, on le sait, symbolise le péché. Michel-Ange confesse-t-il par ce biais la nature sexuelle de son nu masculin, qui se pâme dans un mouvement extatique ? Ou bien suggère-t-il que le pape Jules est un homme de viles passions ?
Des vérités invisibles aux yeux de tous
Titien, un contemporain de Michel-Ange, savait également glisser un stylet entre les omoplates d’une victime sans méfiance. Le collectionneur Jacopo Strada était connu pour sa cupidité. Titien a immortalisé ce trait dans un portrait qu’il a réalisé de lui, mais d’une manière invisible aux yeux de son client : Strada serre un peu trop la statuette nue qu’il tient dans sa main et plusieurs pièces de monnaie figurent dans son portrait. Rien de flagrant, mais assez pour nous dire que c’était une belle ordure aux yeux de Titien.
Parfois, la vérité la plus acerbe est cachée aux yeux de tous. Napoléon Bonaparte tenait à ce que les artistes le montrent comme un empereur paré d’atours dignes d’un roi. Il n’a certainement eu rien à redire au portrait qu’Ingres a réalisé de lui en 1806, car il le représente tel qu’il souhaitait être vu : un maître du monde assis, en grand apparat, sur le trône impérial. Ingres n’a pas besoin de recourir à des symboles. Il lui suffit de le peindre dans un style terne, sans expression, pour exprimer la glaciale inhumanité du pouvoir. C’est un portrait monstrueux.
Jonathan Jones
(Photo : AFP/Stringer)
Source : The Guardian via Courrier international
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