Les enfants, premières victimes des viols commis à Nouakchott

Les enfants de moins de 15 ans sont les premières victimes des agressions sexuelles commises à Nouakchott, en Mauritanie, selon un décompte effectué par une ONG locale qui leur vient en aide. Le sentiment d’impunité des agresseurs est renforcé par le faible nombre de condamnations.

 

 

ENQUÊTE Les parents de Moctar ne décolèrent pas. Le 2 janvier dernier au petit matin, ils découvrent leur petit garçon de 4 ans, en larmes. L’enfant a été violé durant la nuit. Le petit Moctar ne tarde pas à donner un nom et un visage à son agresseur. Ses parents l’écoutent, stupéfaits. Il s’agit d’un cousin de la famille, un adolescent de 15 ans.

En Mauritanie, plus de la moitié des agressions sexuelles sont perpétrées par des proches des victimes (56% des cas en 2013), selon les recoupements faits par l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant (AMSME), une ONG qui recense et prend en charge les victimes de viol.

Le meurtre de la petite Khadji, un tournant

L’histoire tragique de la petite Khadji Touré présente des caractéristiques semblables même si son agression a pris un tournant encore plus atroce. Agée de 6 ans, la fillette a été violée, assassinée puis jetée à la mer. Son corps a été repêché le 27 octobre 2013. La police a appréhendé quelques jours plus tard un maçon, employé en tant que manœuvre par la famille de la défunte.

Pour la maman de la victime, Fatou Touré, qui peine à contenir son chagrin, les circonstances de sa disparition restent encore obscures: «On lui disait qu’elle était trop paresseuse. Un jour, elle est venue vers moi en disant qu’elle voulait faire du sport. Je lui ai lacé ses chaussures, elle est partie jouer dans la cour de la maison. On ne l’a jamais revue. On ne sait pas comment elle a disparu.»

Les enfants, premières victimes

Personne n’est épargné par ce terrible fléau. Un nourrisson de 14 mois figure au nombre des 255 victimes d’agressions sexuelles recensées par l’AMSME pour 2013. Les cas dénoncés concernent en majorité des enfants de moins de 15 ans (36%) et des adolescents de moins de 18 ans (27%). Et il ne s’agit que des agressions ayant fait l’objet d’une dénonciation, le nombre réel étant certainement bien plus élevé malgré le travail de sensibilisation effectué par l’AMSME. «Nos campagnes contribuent à donner aux victimes le courage de dénoncer leurs agresseurs. Une femme, tombée enceinte après un viol, a finalement osé nous raconter son calvaire au 7ème mois de sa grossesse», témoigne Ba Samba, superviseur technique de l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant.

Les manifestations de colère de la population, organisées à deux reprises à Nouakchott en avril et en octobre 2013, ont également contribué à mettre le sujet sur la place publique. Mais le tabou est plus fort et les agresseurs continuent d’agir en toute impunité. «Récemment, une jeune fille a été violée quelques jours avant son mariage. Un jeune homme qui la convoitait l’a surprise devant sa maison, menacée avec un couteau et l’a conduite dans un bâtiment abandonné pour la violer et lui prendre sa virginité», nous rapporte un membre de l’ONG.

Une définition floue dans le code pénal

Le sentiment d’impunité est renforcé par le flou entourant la définition de ces agressions dans les textes de loi mauritaniens. «Le code pénal ne donne pas de définition précise du viol. Il est écrit que toute personne qui commet le crime de viol est puni mais la définition en tant que telle est laissée à l’appréciation du juge», explique Maître El Id Mohameden M’Bareck, avocat au barreau de Nouakchott.

De nombreux jugements ont été faits au détriment des plaignantes, l’agression étant redéfinie dans la catégorie des relations sexuelles extraconjugales volontaires, punies par la loi mauritanienne. «Cela arrive malheureusement encore très souvent. Une femme porte plainte pour viol et elle se retrouve accusée d’adultère. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles n’entreprennent pas de démarches en justice», regrette Maître El Id Mohameden M’Bareck. De plus, la législation mauritanienne ne prévoyant pas de test ADN, l’agression reste très difficile à prouver. Les juges se basent sur les éventuels témoignages et les signes extérieurs de violence, souvent indétectables dans les cas d’agressions sexuelles.

L'arrangement à l'amiable souvent privilégié

Dans seulement un quart des cas, les dénonciations aboutissent à l’arrestation et à l’emprisonnement provisoire de l’agresseur présumé, selon l’AMSME. Et bien souvent, la liberté provisoire leur est accordée. En 2013, 50 agresseurs présumés, libérés en attente d’un jugement, n’ont plus donné signe de vie, dénonce l’ONG. Certains signaux positifs sont parfois donnés. L’an dernier, 4 personnes ont été condamnées à 7 ans d’emprisonnement ferme pour viol collectif. Mais ce sont des exceptions. «Il y a eu beaucoup de condamnations par le passé mais souvent assorties de peines légères, moins de 3 ans d’emprisonnement ferme», regrette Maître El Id Mohameden M’Bareck.

Pour éviter une procédure judiciaire longue et potentiellement infructueuse, de nombreuses familles privilégient l’arrangement à l’amiable avec l’agresseur.  35% des cas ont été réglés de cette manière en 2013. «C’est une solution souvent privilégiée lorsque les agresseurs sont des membres ou des proches de la famille. Mais ces arrangements se font au détriment des droits de la victime, regrette Samba Ba.  De même lorsqu’il s’agit d’une jeune fille et que son hymen est préservé, certains parents estiment qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre l’affaire. Ils ne savent pas que la loi punit aussi les tentatives de viol.»

Un numéro vert pour les victimes

Depuis peu, une ligne téléphonique a été créée pour répondre aux appels de détresse dans les cas de viol (800 010 10). A l’autre bout du fil, un membre de l’AMSME oriente les victimes. L’ONG dispose aussi d’un bureau au siège de la Brigade des mineurs à Nouakchott. Une éducatrice accueille les victimes et les conseille. «Nous sommes chargés du suivi psychologique et juridique», explique Eye Thiam, l’une des employées de permanence. Les femmes sont ensuite conduites à l’hôpital national pour une expertise médicale complète et l’éventuelle administration d’une pilule du lendemain afin d’éviter une grossesse involontaire.

Malgré ses demandes, l’association ne dispose pas d’autres représentations dans les commissariats de Nouakchott où sont conduites les victimes selon leur quartier de résidence.  «Parfois, nous avons la chance d’être contactés par une connaissance. Mais si cela ne se fait pas rapidement, nous ne pouvons pas éviter la grossesse. La pilule ne peut être administrée au-delà de 72 heures après le viol», déplore l’éducatrice.

 

Source : Courrier du Sahara

 

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