Révisez votre conditionnel, les rumeurs déferlent sur l’Afrique. Rarement originales, souvent croustillantes et toujours fulgurantes. Attention, les racontars tuent. Et pas qu’au sens figuré…
Il y a parfois de la fumée sans feu. Le jeudi 9 janvier, le centre-ville de Kinshasa est traversé par un mouvement de panique. Les écoles se vident, les commerçants du grand marché détalent et les employés sur la route du bureau rebroussent chemin. Motif : un coup de force à caractère militaire serait en train de se dérouler dans la capitale. Pas un seul coup de feu n’a pourtant retenti. Mais dix jours après les attaques contre la Radio télévision nationale, l'état-major des Forces armées et l’aéroport de N’Dijli, une rumeur suffit à mettre le feu au poudre. Le bouche-à-oreille et l’instinct grégaire font le reste…
Le continent africain serait-il un terreau fertile pour les racontars ? Beaucoup croient à "Radio trottoir". Tant qu’on n’en est pas la victime, on se délecte de ce que les Ivoiriens appellent les "affairages". Qu’importe si la source de l’information est imprécise, on y croira dur comme fer, le temps de l’euphorie, avant de prétendre avec aplomb qu’on n’y a jamais cru.
Domaine de prédilection des intoxications : la santé des célébrités. Vendredi dernier, la présidence du Rwanda était obligée de démentir la rumeur de la mort du président Paul Kagamé. Étayée par aucun élément probant, la fausse info relayée par les réseaux sociaux avait pourtant provoqué des scènes de liesses dans la ville congolaise de Goma, des centaines de personnes défilant avec des cercueils et des croix. Réponse du berger à la bergère ? En 2008, c’est au contraire le président de la RDC, Joseph Kabila, qui était donné pour mort. Les rumeurs sur la santé des puissants se répandent comme des traînées de poudre, pour peu que la cible de la langue fourchue ait effectivement connu quelques déboires médicaux. Depuis son accident vasculo-cérébral d’avril dernier, le président algérien Bouteflika fait l’objet de toutes sortes de diagnostics amateurs. De même, depuis que le cortège du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a essuyé des tirs "accidentels", on prête aux médecins présidentiels de régulières opérations chirurgicales.
En novembre dernier, la désinformation traversait les communautés religieuses angolaises. Le bruit circulait que l’Angola avait subitement décidé d'interdire la religion musulmane. Tout aurait débuté par l’erreur d’un journaliste qui rapportait des propos de la ministre de la Culture à propos des sectes. En un éclair, la prétendue nouvelle se retrouvera dans la publication new-yorkaise "International Business Times" citant des "sources de presse" africaines. Éventée assez tôt, la profonde émotion suscitée n’aura pas eu le temps de se muer en violences interreligieuses.
Un mois plus tôt, c’est bien à des morts d’hommes que conduisait la rumeur. Après la découverte du corps mutilé d’un enfant de 8 ans, à Nosy Be, sur l’île de Madagascar, la vindicte populaire mettait à l’index deux hommes qui étaient rapidement lynchés…
Quand la rumeur se fait sportive, elle n’est souvent que l’anodine spéculation sur le transfert d’un footballeur en plein mercato. Quand elle ne prétend pas qu’une équipe nationale disqualifiée ne l’est plus : le 20 novembre dernier, la frénésie s’emparait des rues de Ouagadougou. Radio France internationale aurait annoncé qu’un recours de la Fédération burkinabè de football aurait porté ses fruits, quelques jours après la défaite en Algérie, capitulation qui scellait le sort des Étalons sur la route du Mondial. En quelques secondes ressortirent les drapeaux, les fanions et autres vuvuzelas. En vain…
Les activités – ou inactivités – du bas-ventre alimentent certainement les intox les plus croustillantes et les plus courues. Bénignes quand il s’agit de "marier" deux vedettes de la chanson qui ne se sont même jamais rencontrées ; manipulatrices quand elles conduisent à la délation médiatique de personnalités prétendument homosexuelles dans des pays d’Afrique centrale où fleurit l’homophobie ; potentiellement tragiques. Fin décembre 2013, dans le quartier 5 de la ville camerounaise de Nkongsamba, un homme était accusé d’avoir subtilisé des pénis. Il échappera de peu à la mort. Difficile d’admettre que la récurrence des affaires de "rétrécisseurs" de sexe n’a pas vacciné la crédulité des populations. Pourtant, cette même crédulité ne fait-elle pas le lit des sempiternelles arnaques "à la Nigériane" ?
Faut-il pour autant conclure que "l’Africain" serait prêt à gober tout ce qu’on lui dit ? En Europe aussi, on aime céder à ces rumeurs de coucheries peu vérifiées. Pourquoi s’échiner à dévoiler la nature de la "relation" entretenue par François Hollande avec la comédienne Julie Gayet, relation charriée par la rumeur depuis des mois ? Un président français qui, soit dit en passant, n’a jamais juré fidélité devant le maire – et donc devant la communauté – et qui n’a formellement que peu de comptes à rendre sur sa vie privée. C’est que la rumeur, même insultante ou assassine, apparaît jouissive aux oreilles de la "plèbe". À surfer sur le site www.rumeursdabidjan.net, on en viendrait presque à la croire discipline journalistique.
Damien Glez
Source : Jeune Afrique
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