Nafissatou Dia Diouf, écrivain : Le flot de l’humilité et du talent

Une double rencontre fortuite à Nouakchott, avec Nafissatou Dia Diouf, égérie de la célèbre librairie Athena à Dakar, qu'elle a repris avec Felwine Sarr et Boubacar Boris Diop. Un double contentement : une rencontre avec l'humilité et l'accessibilité qui siéent aux grands (auteurs).

Jour d'ouverture de la troisième édition du festival littéraire Traversées Mauritanides : une petite réunion littéraire dans une auberge de Nouakchott. Passe presque par hasard Nafissatou Dia Diouf, accompagnant l'organisateur de l'événement, Bios Diallo. Présentations de circonstance avec ce mot du romancier mauritanien M'Bareck Ould Beyrouk : "grande écrivaine", qui arrache un sourire timide à l'auteure sénégalaise, qui s'empresse de corriger humblement : "écrivaine en devenir…".

"Une écrivaine en devenir" qui affiche tout de même déjà, à quarante ans à peine, une bibliographie relativement dense (sept œuvres, entre nouvelles, poésie et livres de jeunesse, dont un huitième, un roman, à paraître en 2014) et une flopée de prix (1er Prix Fondation Léopold S. Senghor pour la nouvelle « Sables Mouvants » en 2000; lauréate du Prix du Jeune Ecrivain Francophone à Muret en France, en 1999…).

Deuxième rencontre quelques jours après dans un hôtel de Nouakchott. La même sérénité affichée et l'immuable humilité. Cette fois la discussion s'attarde sur sa découverte de la littérature mauritanienne, et le livre en général. "J'ai rencontré plusieurs auteurs, mais je ne connaissais que Beyrouk, que j'ai eu l'occasion de rencontrer à des événements littéraires" affirme Nafissatou.

Les tensions culturelles liées aux langues a été palpable à ses yeux dans le peu de temps que son séjour dure à Nouakchott. "J'ai senti une forte résistance, réticence même, à la langue française, qui semble reculer au profit de l'arabe. Mais paradoxalement dans les écoles, j'y ai vu ses plus ardents défenseurs" raconte l'auteure.

L'engagement littéraire

Professionnelle formée en "logistique industrielle", son sacerdoce la mènera sur ce sentier du livre, fondamentalement différent. "Je suis profondément engagée dans l'émergence d'une littérature, africaine et sénégalaise diversifiée, dense, ainsi que de structures d'éditions et de distribution africaines plus sélectives, et efficaces" dit-elle.

Un engagement, qui la mène, avec Felwin Sarr et Boubacar Boris Diop, à reprendre une librairie réputée à Dakar, l'Athena. "L'objectif clairement affiché, parallèlement à la création d'une structure d'éditions, Jimsaan, aux ambitions africaine, mondiale et universelle, est d'impulser une certaine qualité dans les parutions africaines, et sénégalaises en particulier, et d'en proposer des débats, des rencontres, des dédicaces, pour ainsi promouvoir la littérature d'amont en aval de sa création à sa distribution" explique l'auteure de "La maison des épices", son prochain roman prévu au premier trimestre 2014, aux éditions "Mémoires d'encrier".

Dans l'éprouvette expérimentale de ce projet, l'écrivain et philosophe sénégalais Souleymane Bachir Ndiagne, qui développe dans son œuvre, notamment dans son essai réédité aux éditions Jimsaan, "Comment philosopher en Islam", une démarche autour de l’histoire de la logique et des mathématiques, de l’épistémologie, ainsi que des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique. Elle est imprégnée de culture islamique et sénégalaise – wolof, sérère, toucouleur, mandingue, diola -, d’histoire de la philosophie occidentale et de littérature et de politique africaine. C’est le mélange – la mutualité – qui décrit le mieux sa philosophie. D'où l'intérêt selon Nafissatou, d'ouvrir par lui : "Nous voulons exposer aussi les pensées africaines, dans le spirituel, les sciences humaines, la philosophie etc… Quel meilleur représentant de cette transversalité que Souleymane Bachir Ndiagne" précise la créatrice littéraire.

Création, lectures et slam

Comme tout auteur que les lectures nourrissent, Nafissatou Dia Diouf à ses lectures formatrices, ses coups de cœur. "Je découvre de plus en plus la littérature africaine anglophone, qui me scotche littéralement! Comme Coetzee notamment. Leur écriture est beaucoup plus libérée, bien plus grinçante et ironique que celle des auteurs francophones, trop lourde, trop sérieuse. De plus, même dans les thématiques, ils sont plus contemporains que les francophones, qui sont restés un long temps prisonniers du passé de la colonisation et des périodes qui l'ont suivi ou précédé" compare longuement la femme native de Dakar. Une différence qu'elle met notamment sur la langue, l'anglais étant une langue "directe et pragmatique".

Elle n'en renie pas pour autant ses lectures d'adolescence et de jeune adulte, notamment Senghor pour la poésie, le cycle de Marcel Pagnol, ou Proust, "même si je ne comprenais pas tout" s'amuse celle qui revendique complètement son appréciation des œuvres d'Amin Maalouf, de "Samarcande" à "Léon l'africain".

Petite parenthèse récente : une invitation de son "ami" Ablaye Cissoko sur son titre "Kano mbifé II", où elle apparaît sous le pseudo scénique de Mishaa, et délivre une prestation plus qu'honorable de slam. Nafissatou Dia Diouf, c'est le flot de l'humilité et du talent, mais aussi d'un fond mouvant de surprise.

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 13/12/2013{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page