La campagne pour les législatives et les municipales s’achève ce jeudi 21 novembre en Mauritanie. Soixante-quatre formations sont en lice ce samedi pour briguer les 147 sièges de députés et les postes dans les conseils municipaux. Mais les dix principaux partis d’opposition ont décidé de boycotter le scrutin.
Ces élections ont-elles donc encore un sens ? L’opposition radicale ne va-t-elle pas disparaître du paysage institutionnel ? Eléments de réponse avec Moussa Ould Hamed, le directeur de publication du journal mauritanien Biladi, interrogé par Olivier Rogez.
RFI : Est-ce qu’une élection sans le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah et sans l'Union des forces de progrès (UFP) de Mohamed Ould Mouloud a encore un sens en Mauritanie ?
Moussa Ould Hamed : Politiquement, ça réduit quand même l’importance de ces élections dans la mesure où ce sont des partis d’opposition, installés dans l’opposition depuis très longtemps, et qui avaient le plus grand nombre de députés dans l’Assemblée sortante. Leur absence doit peser sur le scrutin.
Peut-on parler d’élections crédibles sans la participation de ces partis ?
Il n’y a pas seulement la participation de ces partis mais il y a aussi beaucoup de questions ou d’interrogations par rapport à la crédibilité du scrutin, parce que la Céni [Commission électorale nationale indépendante, ndlr] est une commission qui n’a pas beaucoup d’expérience, donc il faut s’attendre à beaucoup de pagaille. En plus, l’opposition, celle qu’on appelle « radicale », est absente dans la mesure où elle n’avait pas participé à ce qu’on appelle « les dialogues » entre le pouvoir et une partie de l’opposition en 2011, et donc elle n’est pas présente à la Céni.
Ahmed Ould Daddah et Mohamed Ould Mouloud, les deux principaux opposants, ne prennent-ils pas un risque politique en boycottant ce scrutin ? Ne vont-ils pas signer leur retraite politique ?
Ils prennent un grand risque dans la mesure où ils perdent des députés et des mairies. Mais chez nous, nous ne sommes pas dans une situation apaisée et normale. On ne peut pas analyser la politique comme si on était dans une démocratie très apaisée. Ici on a toujours vu depuis 1978, depuis le renversement du premier gouvernement civil du pays, que l’alternance n’a jamais été avec l’opposition et elle est toujours arrivée par des putschs. Dans cet état de chose, on ne sait pas qui prend des risques. Est-ce que ce sont ces opposants-là qui prennent les risques ou est-ce que c’est celui qui ne les a pas embarqués avec lui dans l’élection qui prend des risques ?
A contrario une autre formation de l’opposition radicale, Tawassoul, le parti islamiste de Jémil Ould Mansour, a choisi de participer au scrutin. Tawassoul ne va-t-il pas prendre la place du RFD, de l’UFP sur la scène politique ?
Certainement qu’il convoite cette place. Reste maintenant à savoir si les autorités en place vont laisser le scrutin se dérouler de manière à ce qu’il puisse avoir ce à quoi il aspire. Tawassoul est dopé par le fait qu’il a réussi ces dernières années une véritable poussée sur la scène politique. Maintenant est-ce que ça va se concrétiser dans les urnes ? On va voir.
Dans le système politique mauritanien, est-ce que Tawassoul peut être un challenger sérieux face à l’Union pour la République (UPR) du président Mohamed Ould Abdel Aziz ?
C’est un parti islamiste ou d’obédience islamiste des Frères musulmans. En général, on ne permet pas souvent à ce genre de parti ou de formation de se développer. Maintenant, est-ce qu'il va être le principal challenger ? Je ne sais pas. Je signale tout simplement qu’il y a d’autres partis d’opposition comme le président Messaoud Ould Boulkheir, le leader des Haratins [descendants d'esclaves affranchis en Mauritanie, ndlr], qui est là lui aussi et qui participe [aux élections, ndlr] et qui est le président de l’Assemblée nationale sortant. Il y a aussi un autre leader haratin qui se présente comme quelqu’un de très modéré et qui aspire à être le leader de l’opposition.
L’un des enjeux pour le président Ould Abdel Aziz et sa formation l’UPR, c’est la participation en raison du boycott des principaux partis de l’opposition radicale. Cette participation ne risque-t-elle pas d’être faible ?
Ce qui est important pour le président, ce n’est pas la participation ou le taux de participation, mais plutôt d’appliquer sa politique. Il n’a jamais caché sa volonté de renouveler pas seulement la classe politique, mais aussi la classe économique. C’est une occasion offerte pour renouveler cette classe politique.
On reproche parfois au président Ould Abdel Aziz un exercice un peu trop solitaire du pouvoir. Si demain l’opposition est encore moins représentée dans les institutions et notamment à l’Assemblée, est-ce que cela ne va pas renforcer cette tendance ?
Absolument, ça va la renforcer. Peut-être même le pouvoir ne cherche pas à faire autre chose que ça, il ne laisse même pas de la place pour autre chose que le renforcement du président. Je dirais même ce qu’un sociologue de chez nous appelle la « demande despotique », on ne sait même pas si l’opinion mauritanienne n’est pas demandeuse de ce genre d’homme très fort, omniprésent, qui contrôle tout. Le président n’est vraiment pas soucieux de renforcer ses adversaires, plutôt de se renforcer lui-même et plutôt renforcer cette image d’homme omniprésent, qui contrôle tout, absolument tout dans le pays. Donc il s’accommode certainement bien de cette situation.
Olivier Rogez
Source : RFI le 21/11/2013{jcomments on}
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