CHRONIQUE un poisson hors de l’eau : Maamoudou, spécialiste de l’occident

Vous avez certainement remarqué tout comme moi, la facilité avec laquelle les média occidentaux aiment à produire des savants qui s’autoproclament spécialistes de trucmuche ou de machin-bidule. Ces érudits d’opérette deviennent, selon les tendances des débats d’actualité, les protecteurs et ambassadeurs d’opinions incertaines sur des sujets qui parfois leurs sont totalement opaques.

Employée à toutes les sauces, on peut retrouver occasionnellement cette appellation chez Bertrand Dupond spécialiste du Zimbabwe, Georges Dosantos spécialiste des spiritualités africaines, Sarah Cohen spécialiste du monde arabe, ben voyons ! Enfin bref, vous comprenez que cette mascarade est déclinable à l’infini.

Etant donné qu’ils ont des spécialistes pour tout de l’autre coté de l’Atlantique et de la Méditerranée, je me suis lancé le défi de trouver un spécialiste mauritano-mauritanien de la pensé occidentale dont les lumières nous permettront de résoudre cette énigme de cette civilisation singulière.

A peine quinze minutes après avoir publié mon annonce sur lambda.mr je me retrouvais en relation avec un certain Maamoudou spécialiste de la France. Nous convînmes d’un rendez-vous le lendemain avec promesse de répondre à toutes mes questions.

Maamoudou a 33 ans, un air débonnaire et juvénile qui ne correspond pas au savant à barbe blanche que je recherchais. Mais l’habit ne faisant pas le marabout je choisis de ne pas me fier aux apparences.

  • Maamoudou, alors comme ça vous êtes spécialiste de la pensée occidentale ?
  • Oui je connais tout sur la France, j’ai été à Paris une fois, je mange régulièrement des baguettes de pain et j’écoute Jacques Brel.
  • Euh, il est Belge.
  • Bon c’est la même, il parle français.
  • Certes.
  • Donc demandez moi ce que vous voulez.
  • J’aimerais comprendre l’engouement des occidentaux pour les spécialistes de l’Afrique par exemple ce savant qui se disait spécialiste de la culture bambara et qui est resté muet comme une carpe lorsqu’on lui demandait à une conférence comment disait-on « spécialiste de la culture Bambara » en Bambara… vous voyez ce que je veux dire?
  • Certes, certes, madame. La réponse est très simple, si nous ne faisons pas confiance à nos propres intellectuels comment peut-on demander aux autres de leur faire confiance ? Donc ils produisent leurs propres érudits qui font comme ce que j’ai fait. Visiter une ville par-ci, tester une once de gastronomie par là, avoir un peu de conversation avec les locaux, lire un peu la littérature consacrée et puis le tour est joué. Est ce que ça fait de moi un imposteur ? On peut en débattre. Mais qui s’en plaint ?
  • Euh moi, pour commencer… mais là n’est pas la question. Revenons au sujet voulez-vous ? Pensez vous que qui que ce soit puisse se prétendre spécialiste d’une culture ou d’une civilisation en étant étrangère à celle-ci ? »

Après une longue inspiration dans sa pipe en bois – oui car Monsieur fume la pipe comme un français digne de ce nom – déformation professionnelle de sa spécialisation je suppose.

  • « Hm, ma bien chère amie, me dit-il sur un ton des plus désinvoltes, ma prétention m’oblige à vous répondre que c’est possible étant donné que j’ai le toupet de me proclamer spécialiste de l’occident alors que je ne suis pas plus occidental que mon dromadaire garé dans le parking. Néanmoins, contre toute apparence, j’ai une conscience, oui madame, et elle m’oblige à soutenir que c’est illogique, immoral et totalement impossible d’être spécialiste d’une culture dont on est aliéné. Voilà pourquoi. Nous pouvons ambitionner que le fait d’être extérieur à un milieu nous rend plus objectif mais c’est sans compter sur le facteur « roublardise égotique », qui, brodé d’une imagination débridée peut s’exprimer dans sa plus grande liberté. C’est dans ces cas que nous assistons, démunis, à la naissance de mythes euro-centristes, paternalistes et condescendants sur les Dogons du Mali, les Bushmen d’Afrique du Sud (quelqu’un leur a-t-il jamais demandé leur vrai nom avant de les labelliser d’un honteux anglicisme ?) ou encore les Aborigènes d’Australie (comme si c’était une seule et unique ethnie dans un territoire si vaste ! C’est absurde ! Et j’ai mille et un autres exemples encore plus révoltants… Pour en revenir à votre question, j’aime à croire que l’insight propre à une culture ne peut être que transmise au sein même de celle ci. Et, c’est le travail d’une vie et de toute une éducation.
  • Voilà qui m’éclaire pour le reste de la nuit. Si je comprends bien, vous êtes un ambassadeur du vernis de la culture française et vous portez de votre plein gré le lourd fardeau de la culpabilité d’être un imposteur.
  • Absolument !
  • Merci, cher Monsieur, pour votre temps. Je vous souhaite une excellente continuation dans cette voie…
  • Tant que les gens resteront satisfaits de ce vernis que je leur offre, et tant que ce vernis ne craquera pas, tout ira bien pour moi.
  • Je vous prédis déjà un grand avenir en tant que « spécialiste des spécialistes »
  • Je n’y ai jamais songé, mais cette étiquette est des plus attrayantes. Je vais la rajouter sur ma carte… elle aura peut être l’effet d’un dissolvant ? »

 

Par H pour KASSATAYA

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