Ahmed Ould Daddah s’entretient avec BILADI

Monsieur Ahmed Ould Daddah lors d'un meeting de la COD. AnonymeDans un contexte marqué par une ébullution politique consécutive à l'organisation d'élections municipales et législatives boycottées par une partie de la classe politique, le chef de file de l'opposition statutaire s'est prêté aux questions de nos confrères de Biladi. M. Ahmed Ould Daddah, leader du RFD donne sa lecture des enjeux électoraux actuels et revient sur les implications de la stratégie de boycott actif que la COD entend mettre en oeuvre: empêcher la tenue des élections en ayant recours à des moyens pacifiques. KASSATAYA vous livre l'intégralité de l'entretien paru chez nos confrères de Biladi.

Biladi : Vous êtes allés tout dernièrement en vacances, au moment où la scène politique connaissait un bouillonnement conséquent à la décision du pouvoir d’organiser des élections. Votre absence était-elle motivée essentiellement par un besoin de repos ? Où avait-elle un tout autre sens politique ou tactique ? Ahmed Ould Daddah : Je me suis absenté effectivement pendant à peu près un mois. J’ai eu le privilège d’assister à l’investiture du nouveau Président élu du Mali,  Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, IBK. Je me suis ensuite rendu aux Etats Unis pour prendre part à une réunion du présidium de l’Internationale Socialiste  qui se tient habituellement en marge de l’assemblée générale des Nations Unies. Après cette dernière réunion, je me suis autorisé quelques vacances. C’est l’occasion de préciser que le RFD est un parti qui fonctionne avec son administration propre et que des vice-présidents assument pleinement la charge de président en l’absence de celui-ci.

Biladi : Aujourd’hui, la COD maintient sa position de boycott des élections législatives et municipales en vue. Elle parle d’un boycott actif. Un boycott qui doit se faire sans Tawassoul, l’une des formations, au sein de la COD, qui était connue, jusqu’ici, pour être fer de lance du radicalisme au sein de l’opposition, chantre enflammé du fameux  Rahil ( Aziz Dégage). Pourtant, Tawassoul vous quitte ! Quelle appréciation faites-vous de sa position ? Et Comment voyez-vous un boycott actif ?

Ahmed Ould Daddah : J’ai déjà dit que je ne commente pas les décisions de partis membres de la COD et j’entends ne pas déroger à cette règle.
En ce qui concerne la décision prise par les dix partis de la COD, vous aurez l’occasion d’apprécier le mode de boycott actif que nous allons mener. Nous avons l’intention d’utiliser tous les moyens politiques et démocratiques pour faire échec à l’agenda unilatéral de Mohamed Ould Abdel Aziz. Je peux dire que celui qui suit la scène politique mauritanienne peut déjà se rendre compte du vide considérable que constitue l’absence de la COD. Nous assistons à une campagne terne et sans thèmes significatifs, une campagne ponctuée seulement par des querelles personnelles sur des positions personnelles, marquée aussi par  un nomadisme effréné entre les partis, notamment entre le parti du Chef de l’Etat et ses satellites. C’est l’occasion de rappeler à ceux qui l’auraient oublié que le Chef de l’Etat est interdit de parti et qu’en toute logique, il aurait du avoir autre chose à faire que d’arbitrer des querelles de partis, ce à quoi il passe, semble-t-il, une grande partie de son temps.
Au demeurant, les pratiques du régime ne font que perpétuer le coup d’Etat, par la généralisation du népotisme et de la mauvaise gestion. Notre combat à nous est un combat pour la démocratie, pour le respect des Droits de l’Homme, pour la bonne gouvernance, le développement économique et social et la stabilité du pays. 
Par le boycott actif nous voulons mettre un terme aux élections carnavalesques au cours desquelles les moyens de l’Etat et ses institutions, notamment les Forces armées et l’administration, sont instrumentalisées au profit des candidats du pouvoir en place, vidant ainsi la démocratie de son contenu et de sa signification.

Biladi : Croyez-vous que  Mohamed Ould Abdel Aziz ira jusqu’au bout dans sa fermeté affichée à l’égard de l’organisation des élections du 23 novembre prochain? Un énième report saurait-il mettre un terme à la crise politique ?

Ahmed Ould Daddah : La crise n’est pas liée à la date des élections, elle résulte du mode de dévolution du pouvoir, de mode de gouvernement, un mode dictatorial marqué, en particulier, par l’exercice solitaire du pouvoir, l’utilisation plus qu’abusive des ressources de la Nation à des fins partisanes, voire personnelles. Il y a une différence fondamentale entre un régime qui continue à se servir et une opposition démocratique décidée à servir la démocratie, à servir le Peuple mauritanien et à servir le pays, sa stabilité, sa réputation et son rôle aux plans régional et international. Le report en soi n’est pas déterminant. Le pouvoir continue à manipuler l’agenda prévu par la constitution et les autres lois de la République, qui stipulent que les élections municipales et législatives ont lieu tous les cinq ans, en faisant l’impasse sur ces délais légaux depuis deux ans, créant ainsi un vide juridique. Ce vide juridique nous place dans la même situation que celle que nous avons connue au lendemain du coup d’Etat de 2008. La seule solution en l’espèce est un consensus national comme celui qui a été réalisé par l’accord de Dakar, que Mohamed Ould Abdel Aziz a violé. Seul un dialogue inclusif entre toutes les forces politiques permet aujourd’hui de sortir de l’impasse vers laquelle Mohamed Ould Abdel Aziz a placé, à nouveau, le pays…

Biladi : Il y a une élection présidentielle en vue, en milieu de l’année prochaine, si entre-temps se tenait un dialogue inclusif qui allait restaurer la confiance entre le pouvoir et vous, au sein de la COD, envisageriez-vous, ce jour-là, de briguer le suffrage universel des mauritaniens ?

Ahmed Ould Daddah : Le RFD fait partie de la COD qui travaille dans la sérénité, qui agit en toute responsabilité dans l’intérêt du pays pour l’immédiat (sortie de crise) et pour construire un meilleur futur pour la Mauritanie, en utilisant, au mieux, son capital culturel, ses autres ressources humaines et son grand potentiel économique. Dans cet esprit, le RFD privilégie l’unité de l’opposition et les décisions concertées que celle-ci pourra être amenée à prendre. Je ne peux donc pas préjuger des choix de la COD et parler, aujourd’hui, des élections présidentielles. C’est mettre la charrue devant les bœufs.

Biladi : La semaine dernière, vous avez accueilli une délégation de l’Union Européenne, ensuite l’ambassadeur de France, en Mauritanie. Certains parlent d’une tentative de médiation entre la COD et le pouvoir. Qu’en est-il vraiment ? Et quel rapport avec ces élections auxquelles vous ne prendrez pas part ?

Ahmed Ould Daddah : Nous avons l’habitude de rencontrer les partenaires au développement du pays pour échanger nos points de vue. C’est dans ce cadre qu’avec d’autres responsables du parti nous avons reçu une délégation technique de l’Union Européenne et que nous avons rencontré l’Ambassadeur de France. C’est une occasion d’échange d’informations et d’examiner les questions d’intérêt commun entre nos pays.

Biladi : Les institutions financières internationales ne cessent de vanter les performances économiques de la Mauritanie. Est-ce que vous pourriez, en tant qu’économiste, attester ces avancées économiques ?

Ahmed Ould Daddah : Même si je continue encore à douter de la véracité de certains chiffres cités ici et là, je pense que toute performance économique doit, impérativement,  avoir un impact positif sur les conditions de vie de gens. Ce n’est malheureusement pas le cas avec ce pouvoir, qui se vante d’avoir des centaines milliard de dollars en compte  alors que le citoyen croule sous l’augmentation continue des prix de denrées essentielles, que le pays manque cruellement d’infrastructures de bases, notamment  à Nouakchott qui s’inonde à la moindre goutte de pluie, que les secteurs vitaux tels que l’éducation, la santé, le développement rural, élevage et agriculture notamment , ou la pêche sont totalement délaissés au profit de choix improvisés, inappropriés,  ne répondant à aucun ordre de priorité  de développement et dont les marchés d’exécution sont, souvent, attribués dans des conditions douteuses. Ces choix, dont la finalité est avant tout l’enrichissement illicite de l’équipe dirigeante et ses acolytes, sont le plus souvent  voués à l’échec, de l’aveu même du pouvoir, comme c’est le cas pour la ceinture verte de Nouakchott,  et faisant l’objet – après leur lancement – de tractations en tous genres, au détriment d’une exécution efficiente comme pour le nouvel aéroport de Nouakchott …
En somme, je crois que le pouvoir actuel manque cruellement de vision claire pour un développement socio-économique durable qui réponde aux attentes de nos citoyens et tienne compte de nos potentialités. Son objectif est tout autre : toutes les occasions sont bonnes pour que ceux qui dirigent continuent à s’enrichir encore et encore. Corrélativement, la paupérisation de la population s’aggrave jour après jour, ce qui me fait dire que nous sommes pays riche avec une population pauvre. Quel paradoxe !

Biladi : Il y a un peu plus de deux décennies que vous vous êtes engagé dans la lutte politique. Vous étiez quelquefois à deux doigts de la victoire. Bien des hommes et des femmes ont été à vos côtés, en 1992, 2007, 2009. Puis, à chaque fois, après chaque échec, ils passent de l’autre côté. Quel sentiment cela vous fait-il ?

Ahmed Ould Daddah : Il m’est, effectivement, arrivé de faire du chemin avec des personnes qui décident, par la suite, de prendre une autre direction. Cela me conforte, avant tout, dans ma conviction de musulman convaincu qu’il n’y a qu’Allah le Tout-Puissant qui soit Eternel. Tout compte fait, je pense que l’essentiel c’est de garder le cap avec les compagnons restés à mes côtés et ceux, nombreux  Alhamdou Lillahi, qui nous rejoignent, au fur et à mesure que nous avançons. Le combat continue et la victoire est inéluctable. Et comme dit l’aphorisme arabe : “L’illusoire finit toujours par disparaître ; la vérité par triompher.”

Propos recueillis par Abdelvetah Ould Mohamed

Source: BILADI

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