Annoncer une possible interdiction d'espionner les leaders de pays amis ne suffira pas pour calmer l'indignation quant aux agissements de l'Agence nationale de sécurité. La Maison-Blanche ignore toujours le cœur du problème : la collecte excessive de renseignements.
Il est intéressant de voir comment la Maison-Blanche court après l'affaire de surveillance de l'Agence nationale de sécurité (NSA). Quand Edward Snowden a fait ses premières révélations, Washington a cherché à lui faire porter le chapeau. Snowden était un traître et toute la question était de savoir quand il comparaîtrait devant la justice.
Ensuite, quand on a appris que des pays comme le Brésil et le Mexique avaient été espionnés, la réponse de la Maison-Blanche a été la suivante : "Tout le monde le fait". A aucun moment, il n'a été question des raisons pour lesquelles nous espionnions ces pays amis, ni – s'il est vrai que des cibles commerciales comme Petrobras ont été espionnées – de la logique de ce type d'espionnage économique.
Plus récemment, la réaction de la Maison-Blanche a révélé le traitement inégal que nous réservons à nos amis en matière d'espionnage. Le Brésil ou le Mexique, c'était une chose. Mais quand on a découvert que l'Allemagne, l'un de nos plus proches alliés, était, elle aussi, espionnée, la réponse a été toute autre : le président n’était pas au courant de ces opérations et celles-ci avaient d’ailleurs pris fin. Cette attitude a été remise en cause par les révélations du magazine allemand Bild et celles du Los Angeles Times, qui ont mis la Maison-Blanche dans une position encore plus embarrassante. Désormais, nous ne contentions pas d’espionner les Allemands ou d’autres peuples : nous leur mentions.
Stratégie de communication
A cette réaction incroyablement maladroite est venue s'ajouter une idée soufflée par le Conseil de sécurité nationale [organe dépendant du président] au New York Times : Barack Obama réfléchirait à la mise en place d'une réforme interdisant la mise sur écoute des présidents et Premiers ministres des pays alliés.
Un ajustement de cette nature ne relève pas d'une réforme, mais d'une stratégie de communication. Admettons que vingt de nos alliés soient concernés, pouvons-nous régler le problème de surveillance tous azimuts de la NSA en préservant un petit groupe présélectionné sur des centaines de millions d'individus ?
Les problèmes majeurs de cette surveillance excessive mise au jour par les révélations sur la NSA ne résident pas dans le fait d'espionner des pays amis. La collecte massive de mails et de conversations téléphoniques d'Américains constitue une entorse dangereuse au principe de limitation de l'accès du gouvernement aux informations privées, en vigueur depuis les débuts de la république américaine. Les atteintes à l'intimité de la vie privée de millions de citoyens étrangers sont une autre source d'inquiétude. Tout comme l'idée que la menace du terrorisme justifie des infractions aussi systématiques.
En dehors des problèmes moraux, éthiques et stratégiques posés par ces programmes, on peut s'interroger sur leur gestion pratique. Les avantages que le pays a pu en tirer valaient-ils les risques manifestes qu'ils comportaient ? Quel intérêt tangible a présenté la mise sur écoute d’une entreprise pétrolière brésilienne ? Quel avantage nous a procuré celle de la chancelière allemande Angela Merkel ? Et tout cela valait-il les retombées du scandale ?
Victimes de notre propre terreur
Ces retombées ne se limitent pas à l’embarras politique ou diplomatique suscité par l’affaire. Un groupe industriel a estimé à 35 milliards de dollars le coût que les entreprises américaines considérées comme suspectes pourraient avoir à payer en raison du gel de contrats avec des firmes étrangères. Plus grave encore, l'affaire pourra être utilisée par des gouvernements étrangers pour se désengager du courant de mondialisation et d'accès accru à l'information qui a accompagné la révolution informatique.
Elle servira à justifier des programmes de contre-surveillance, une gouvernance plus rigoureuse d'Internet, des pratiques de censure et l'intensification des cyberconflits. (La tendance à la fragmentation du web en entités nationales, dont certaines sont pourvues de barrières d'entrée et de sortie, correspond à ce que j’appelle le "cybernationalisme".)
Ces coups portés aux intérêts américains à l’étranger sont beaucoup plus nocifs que n'importe quel acte terroriste. Tout comme l'a été l'Irak. Et l'Afghanistan. Et Abou Ghraib. Et le Patriot Act [loi antiterroriste votée en 2001]. Nous sommes en train de devenir les victimes, non pas des terroristes, mais de la terreur, de nos propres peurs et des réactions émotionnelles et mal inspirées qu'elles suscitent chez nous.
Il est temps que la Maison-Blanche cesse de courir après cette affaire. Il est temps de dire : "Nous avions tort. Nous sommes allés trop loin." Il est temps de saluer les appels à une révision radicale des programmes des renseignements et de se rallier aux initiatives qui se dessinent au Congrès en vue de limiter la collecte des données personnelles.
Et, en coulisse, il est temps de faire ce qui aurait dû être fait dès le départ au plus haut niveau. Le président et ses principaux conseillers doivent définir nos objectifs de sécurité nationale, nos priorités et les risques que nous ne souhaitons pas prendre, puis déterminer quel rôle les agences de renseignements doivent jouer pour les atteindre.
David Rothkopf
Source : Foreign Policy via Courrier international
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