L’Homo Nouakchottus a cette capacité admirable, à savoir la survie en milieu hostile. Un vrai commando que cet homme là, commando marine, au moins, depuis que notre capitale s’est réveillée un matin pâle copie de Venise sur sables.
Il a pu croire, dans un moment de pure jouissance de nouveau « indépendantisé » non encore « rectifié », que Nouakchott lui appartenait, que Nouakchott habitait en chacun de ses quelques habitants de l’époque.
Mais ça c’était avant, dans une ère géologique si lointaine qu’en parler reviendrait à vous faire un cours magistral sur les fossiles. Laissons donc là notre Homo Nouakchottus Canal Historique, celui de ce pré cambrien lointain, vaquer à ses occupations d’alors : il découvrait les joies de l’Ami 8 et de la 4L, savourait le bonheur d’user ses babouches sur LE goudron de l’époque, celui de l’avenue Gamal Abdel Nasser, organisait des expéditions de chasses entre quartiers, troquait les femmes : « je te donne ma sœur qui habite à la BMD, tu me donnes ta nièce qui habite au Ksar », écrivant ainsi les plus belles pages de la diplomatie nouakchottoise et le manuel du savoir vivre entre différents quartiers. Il connaissait tous les vides sablonneux qui marquaient les frontières entre ceux, par exemple de l’îlot K et ceux de la BMD, les déserts qui séparaient l’îlot V et le Ksar… Chaque « trou noir » sablonneux étant habité par ses djinns personnels, l’Homo Nouakchottus d’antan connaissait par cœur les prières à réciter en cas d’expéditions inter quartiers. Faut dire que nos « diables » d’alors étaient fort malicieux et ne trouvaient rien de mieux que de terroriser le pauvre péquin qui osait s’aventurer en ces terres peu hospitalières. Traverser le terrain vague qui séparait la BMD de l’ancienne ambassade de Chine relevait de la traversée du désert des Tartares. Fallait une préparation psychologique intense afin de museler le trouillomètre et oser affronter ces forces de l’invisible. Une traversée nocturne demandait des prières déclamées à tue tête, chants guerriers qui faisaient le délice des enfants que nous étions alors, nous qui suivions dans l’obscurité de nos chambres, la progression de l’inconscient qui avait décidé d’aller voir dans le quartier voisin si les chamelles étaient aussi jolies que chez lui…. Nous guettions le moindre hoquet dans la voix de l’inconscient, le moindre cri, espérant désespéramment entendre le pèlerin chanteur / priant se faire choper par un gougouh…. Mais nos diablotins squatteurs de terrains vagues se contentaient de peu : chuchoter à l’oreille du « traversant », lui tirer les cheveux, siffler, etc.… Nous calculions l’échelle de la peur à la vitesse des prières hurlées. Au fur et à mesure que le valeureux et intrépide traverseur de « vides » s’enfonçait dans les ténèbres, nous pouvions presque « voir » le sprint piqué par l’Homo Nouakchottus. Je pense que nos autorités d’alors n’ont pas mesuré combien de coureurs de fonds nous possédions….
Bref…ça c’était l’Homo Nouakchottus ancêtre premier et fondateur…heureux homme et homme heureux (ce n’est pas pareil).
Entre temps, et quelques ères géologiques plus tard, l’Homo Nouakchottus actuel, descendant peu fier de ce guerrier de légende de notre préhistoire nouakchottoise, ne connait pas les terrains vagues, hormis le terrain apparu dans la période dite de la « Rectification », sorte de vendémiaire révolutionnaire qui suivit la période dite du « 12 /12 », celui appelé « la place des Blocates » (plus joli que dire « la place des anciens Blocs Rouges). A cet espace vide s’est ajouté, depuis, notre « Place Tahrir » à nous, à savoir les maigres arpents de sable qui jouxtent notre Première Mosquée, la Mère de toutes les Mosquées de Nouakchott Plage… D’un côté le spirituel, la vénérable mosquée, de l’autre le temporel, les hordes de manifestants… En face, la prison…Joli triangle….
L’Homo Nouakchottus contemporain a appris, de force, qu’il n’est qu’invité dans sa ville, que celle-ci est animée d’une vie propre, avec ses propres règles, son Parlement, son Président, ses mouches, ses moustiques et ses cafards. L’Homo Nouakchottus bénéficie d’un droit de passage temporaire, renouvelable à l’infini, selon le bon vouloir des autorités locales et localisées.
Plein de ce savoir notre Homo Nouakchottus, survit. En se bringuebalant. Il bringuebale d’ailleurs si bien que les savants l’appellent « l’Homo Nouakchottus Bringuebalus ».
Et moi je bringuebale aussi. JE ne fais que ça bringuebaler. Je bringuebale, tu bringuebales, nous bringuebalons (Tfou les nansara pour avoir inventé des mots comme celui-ci…Foutus sadiques…).
Au volant de mon Objet Roulant non Identifié, je bringuebale à droite, à gauche, en haut, au milieu, dans les centres, et dans tous les ouests et est…
Cet art là est un poème à lui tout seul, une science complète qui allie trigonométrie, calcul mental, géographie, cours de secourisme et autres…
Alors je bringuebale. Cahin cahan, au rythme de mes rondeurs bringuebalées, je négocie comme une pro les trous, les ravins, que dis je, les canyons qui essaiment un peu partout sur nos goudrons.
Je bringuebale, heureuse habitante d’une ville où le goudron, digne représentant des Nous Z’Autres, a cette particularité touristique de fondre dans l’eau. Un peu de pluie et voilà notre goudron qui se dilue….Fallait y penser….
Je bringuebale, championne du monde de l’évitement des objets non identifiés qui traversent les routes : hominidés abrutis de chaleur, chèvres insolentes, chiens génétiquement modifiés, ânes, OVNI de toutes sortes déambulant dans la moiteur, touffeur, torpeur de notre cité.
Parfois il me semble bien que je roule sur un truc peu orthodoxe mais, qu’importe, ce que je ne vois pas n’existe pas, donc je continue ma route fièrement, une main sur le volant, une autre tenant le téléphone, les yeux à l’horizon et le sourire éclatant….
J’ai bringuebalé ainsi benoîtement, innocemment, jusqu’au choc. Que dis je, choc ! Le traumatisme absolu, l’état de choc dans toute sa splendeur… : la fontaine du carrefour de la route de Nouadhibou.
J’ai cru un temps que mes yeux me jouaient des tours (comme tous les yeux qui se respectent) : une fontaine surmontée de 3 dauphins ! Wayyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy
C’est quoi ça même ? Un hommage à nos dauphins rien qu’à nous ? Un hommage à nos pêcheurs (alors il aurait fallu y mettre des thioffs ou des yayeboy) ?
La petite voix que la bringuebalante que je suis bringuebale partout avec moi m’a murmurée que c’était sûrement un hommage détourné à notre Sultan : celui-ci faisant partie des Oulad Bou Sbaa, très connus comme Homo Mauritanicus impliqués dans la pêche, quoi de mieux que d’ériger un monument à la gloire de cette tribu et de son digne chef …. CQFD….
Ironie facétieuse de la présence d’une fontaine dans une ville où la moitié des habitants n’a pas accès à l’eau courante et face à des quartiers dont certains ont encore les pieds dans l’eau…
Brave, brave Homo Nouakchottus Bringueballus… Je n’ose suggérer à nos autorités éclairantes qu’à la place des dauphins il serait plus juste d’ériger un monument en hommage à Nous Z’Autres qui avons survécu à tout : aux militaires, aux civils, aux élections, aux constitution, à l’opposition, à la majorité, aux peshmergas, aux policiers, aux cafards, aux moustiques, à la guerre, aux biskit sarakollés, à l’hymne national, aux niébés, et au mélange coca lait….. Un âne fier et ombrageux à la place des dauphins…..
Salut….
Mariem mint derwich
Source : http://www.lecalame.info/
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