Je ne suis pas sûre d'avoir très bien compris le communiqué de la Présidence en date du 28 Août 2013 concernant les manifestations devant les ambassades de certains pays arabes, telle que l'Ambassade d'Arabie Saoudite ou celle d'Egypte.
Pourtant je l'ai relu et relu encore, jusqu'à le connaitre quasi par coeur, à la virgule prés : « Certains individus ont manifesté, ces derniers jours, devant les chancelleries de certaines missions diplomatiques, notamment la République Arabe d'Egypte, le Royaume d'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, brandissant des banderoles et scandant des slogans hostiles à ces pays frères et à leurs honorables dirigeants …Le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie …exprime sa vive indignation devant ses comportements irresponsables… ».
Je ne suis pas sûre de l'avoir très bien compris ou, plutôt, j'ai peur de l'avoir trop bien compris: serait il interdit, absolument interdit, de manifester devant une ambassade étrangère, ambassade qui, je le rappelle, représente un pays et sa politique?
Serait-il interdit de manifester devant des chancelleries représentant des pays gouvernés par « d'honorables dirigeants »?
Est-ce à nos gouvernants de définir qui est « honorable » ou pas et qui, par là même, serait « déshonorable »?
Est-ce au politique, et à lui seul, de définir les « honorabilités », au prétexte soit d'une hospitalité mauritanienne supposée légendaire, soit d'une atteinte à l'ordre public?
La communication de notre Présidence aurait pu faire l'économie de ce fort long et fort instructif communiqué et se contenter d'un lapidaire « Toute manifestation devant les ambassades étrangères est formellement interdite, au vu des liens historiques qui lient notre pays aux honorables dirigeants de ces pays frères et amis ». Point.
La menace de sanctions intrinsèquement comprises au travers de ces lignes serait parvenue à nos cerveaux d'ignorants des us et coutumes en démocratie, à savoir que « vous êtes libre d'être mécontents mais exprimez votre mécontentement dans vos salons ».
Je ne partage pas toutes les colères des manifestants, loin de là. Et je ne comprends pas toutes les motivations de ces manifestations. Mais je respecte le droit de manifester son mécontentement face aux agissements d'un pays, quelque soit ce pays, et quelque soient les liens qui unissent notre république à ce pays, qu'ils soient des liens historiques, des liens financiers, des liens religieux ou des liens culturels.
Et, surtout, je ne comprends pas la panégyrique du communiqué et son « honorables dirigeants ».
Encore une fois nous faisons dans l'outrance…
Si nos gouvernants considèrent les dirigeants de ces pays comme étant « honorables », grand bien leur fasse. Chaque pays a les alliés qu'il peut et, surtout, qui servent ses intérêts. Cela s'appelle de la real politique ou la politique du pragmatisme.
Mais le citoyen, loin de tous les arcanes du pouvoir et des méandres de la diplomatie, n'a pas à « mimer » ses gouvernants…
Et a droit à sa propre sensibilité…..
L'indignation ne peut être dictée. La colère non plus.
Mais chez nous il est toujours plus simple d'insulter Israël, de brûler les drapeaux de ce pays, que de s'élever contre les politiques des pays du Golfe, grands pourvoyeurs d'aides financières en tous genres et experts numéro un du prosélytisme religieux….
Ou alors, plus simple et admis de défiler dans les rues en criant à l'immoralité supposée de nos sociétés ou en demandant l'application de la peine de mort….
Ce communiqué officiel est dérangeant. Car il définit l'espace des indignations individuelles. Il formate les protestations. Il établit un canevas des colères. Il décrète les « honorabilités », méprisant par là l'intelligence du peuple.
Libre à nos dirigeants d'avoir des « amis honorables », tout en oubliant que cette supposée honorabilité est à géométrie variable : il fut un temps où Israël a fait partie de ces « honorables » chez nous, jusqu'à que soit décidée une « non honorabilité » et la fermeture de la représentation israélienne de Nouakchott. « L'honorable » d'hier est parfois le « déshonorable » de demain…..
Et le « déshonneur » de ce communiqué est à la hauteur des « honorabilités ».
Car, vu du citoyen lambda, la lecture est tout autre : ce communiqué est perçu comme une déclaration d'allégeance à nos pays « frères et amis » et, surtout, banquiers. Surtout, surtout, ne pas fâcher nos alliés arabes, ne pas les froisser; surtout, surtout, ne pas les braquer dès fois qu'ils lâchent leurs médias contre nous, via une célèbre télévision qatarie par exemple.
Surtout ne pas se trouver privés des pétro dollars……
Le droit à l'indignation est un droit fondamental, celui qui fait de nous des humains, des femmes et des hommes doués de Raison et d'une pensée.
Le droit à manifester est un droit universel.
Le droit à la colère est profondément humain.
Ce n'est pas aux politiques de dicter les indignations ni de dicter le lieu de leur expression.
Et ce n'est pas à nos dirigeants de décréter qui est « honorable » et qui ne l'est pas.
Leur rôle est de garantir la liberté d'expression et d'indignation tout en veillant à ce que ces manifestations ne deviennent pas violentes.
L'Arabie Saoudite et le Qatar jouent en ce moment à des jeux dangereux au Proche et Moyen Orient; à eux d'assumer leurs politiques. Pas à nous, les citoyens. Et sûrement pas à nous d'assumer les choix politiques de nos gouvernants.
« Honorables dirigeants »….. Je rappelle à notre pouvoir politique qu'il n'y a pas si longtemps nous étions liés à d'autres « honorables » : Kadhafi, Moubarak, Assad père, Ben Ali, Saddam Hussein et j'en passe…. Ils furent les « honorables » d'hier, reçus partout en grande pompe. Aujourd'hui, vent politique oblige, ils sont devenus des « déshonorables »….
Au vu des drames qui se jouent dans le monde arabe, au vu de l'implication de fait de certains pays qui alimentent le chaos actuel selon leurs intérêts, il est salvateur et libérateur de voir que les mauritaniens sont aussi capables d'indignation et d'analyse.
Et de les exprimer.
Je trouve contre productif et peu utile de brûler le drapeau d'un pays mais je trouve encore plus contre productif le fait de pondre un communiqué pareil…
L'indignation se doit d'être autre chose que de « l'honorabilité ».
Pour en finir j'ai une pensée pour un vrai « honorable », Ely Cheikh, qui est parti il y a quelques jours. Un homme honorable, symbole d'une Mauritanie qui disparaît peu à peu, celle d'un Islam tolérant, curieux, ouvert, érudit, d'un Islam soufi, celui que nous avons connu pendant des siècles, à l'opposé du wahhabisme que l'on nous vend à tour de bras, fermé, réducteur, violent, exclusif….
Ely Cheikh est parti, dernier symbole d'un savoir lumineux…. Ely Cheikh était un Honorable, profondément humain. Un Honorable….
Salut.
Mariem mint DERWICH
Source : Le Calame le 06/09/2013{jcomments on}
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