Deux questions au Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, président de l’UPSD dans une interview exclusive.(Le Calame)
Le Calame : Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a manifesté le désir de rencontrer Ahmed Ould Daddah. Il s’était agi d’une invitation verbale transmise par le Premier ministre. Le président de la COD a décliné cette invitation. Quelles réflexions vous inspirent cette invitation et le refus d’y répondre?
Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah : On ne peut pas répondre à cette question sans revenir un peu en arrière, à la création de la CAP : un certain nombre de partis d’opposition optent pour une ‘’alternance pacifique’ ; une dénomination maladroite, car cela sous entend que les autres partis sont pour une alternance qui ne serait pas pacifique. La CAP a engagé un dialogue avec le pouvoir dont les résultats ont été consignés dans la constitution. La CAP s’était opposée à tout autre dialogue entre le pouvoir et la COD, pensant qu’il n’y a qu’un seul dialogue entre le pouvoir et l’opposition, et ce dialogue a eu déjà lieu.
Malheureusement, le pouvoir a accepté, à son tour, le veto de la CAP, ce qui a finalement bloqué tout le processus démocratique et ouvert la porte à une crise politique profonde entre le pouvoir et la COD.
Nous n’avons jamais manqué l’occasion d’appeler à un second dialogue dès lors que l’opposition ne s’était pas présentée unie pour dialoguer avec le pouvoir. Paradoxalement, c’est l’homme qui est à l’origine de ce blocage du processus démocratique, qui intervint, à la faveur d’une initiative qui porte désormais son nom, avec l’ambition, dit-il, de débloquer la situation tout en rendant cependant les deux parties (pouvoir et COD) responsables de la situation que vit le pays : le pouvoir, en refusant de mettre en place un gouvernement et une CENI consensuels, ne cherche pas l’intérêt supérieur de l’Etat et la COD est dénoncée, à son tour, pour son extrémisme et ses revendications irréalistes, toujours selon le président de l’Assemblée nationale. Il est clair que ce langage, qui jette l’anathème sur les deux parties, que l’on prétend par ailleurs vouloir rapprocher, n’est pas de nature à crédibiliser le médiateur auprès des deux parties, lesquelles ont finalement compris que l’initiative était finalement une carte électorale pour son propre auteur. C’est dans cet ordre d’idées que nous comprenons l’invitation du président Ould Abdel Aziz (qui semble vouloir s’émanciper par rapport à Messaoud) à Ahmed Ould Daddah, mais nous pensons que la forme n’y était pas. Le Chef de l’Etat, qui ne doit pas avoir des problèmes d’amour propre, quand il s’agit de l’intérêt supérieur du pays, doit prendre son courage à deux mains et inviter d’abord le président de l’Assemblée nationale à constater l’échec de son initiative et engager ensuite un dialogue avec la COD en donnant à ce dialogue une date butoir.
Pour ne pas bousculer ce dialogue, pourquoi ne pas reporter les élections législatives et municipales à 2014 (elles le sont déjà jusqu’à novembre 2013), et les programmer avec les présidentielles qui sont précisément prévues à cette date. Cela présente plusieurs avantages :
-Achever l’enrôlement des populations, dont de larges franges, surtout de l’intérieur restent encore à enrôler ; car on risquerait de se trouver confronté à des élections sans électeurs.
-Faire l’économie d’une campagne électorale (les présidentielles).
-Et pourquoi pas légiférer par ordonnances, en mettant les députés en congé, eux, dont le mandat est déjà largement dépassé
Quelles réflexions vous inspire un éventuel boycott de la COD ?
Dans un premier temps, je pense que la COD n’a pas intérêt à boycotter les élections, car dans notre pays, il n’y a pas encore une culture démocratique. Les responsabilités, au lieu d’êtres individuelles, sont plutôt collectives : nos compatriotes votent, dans une large mesure, en fonction de leur appartenance tribale, ethnique et sur ordre du chef de la confrérie religieuse à laquelle ils appartiennent. L’appartenance à l’ethnie, à la tribu, prime l’appartenance au parti. Pour beaucoup de mauritaniens, participer à une élection n’est d’ailleurs pas tellement de satisfaire un objectif idéologique ou économique que de trouver l’occasion de régler son compte à un adversaire dans le cadre d’un antagonisme inter ou intra tribal ou ethnique. C’est pourquoi, le mot d’ordre de boycotter une élection n’est pas populaire et il est souvent mal vu par la majorité des militants des partis politiques boycottistes. Ces militants iront faire campagne dans les partis participationnistes où ils pourraient trouver l’occasion de réaliser le règlement de compte en question. Le danger est qu’un nombre important de ces militants risquerait de ne plus revenir à leurs partis d’origine, preuve que la culture de l’appartenance à un parti n’est pas encore ancrée chez nous.
En outre, nous sommes convaincus que certains partis membres de la COD sont participationnistes par la volonté, cette fois, de leurs dirigeants. Car certains partis de la COD sont très proches de certains partis de la CAP participationnistes. Ce n’est un secret pour personne que l’APP et les islamistes politiques ont en commun des positions sur un certain nombre de questions, nous dirions même un projet national, ce qui explique, pour ceux qui ne le savaient pas, la quasi-unicité du discours politique des deux partis. Ce projet de société, pour lequel l’APP et les islamistes politiques mobilisent, n’est pas forcément partagé par certains partis de l’opposition démocratique et moins encore par les partis de la majorité présidentielle. De fait, les deux formations ont instauré une division de travail leur permettant d’être présentes à la fois au pouvoir et à l’opposition. La CAP et la fameuse initiative du président de l’Assemblée nationale en constituent les structures idéales et le fait que l’opposition ne s’est jamais retrouvée unie au second tour contre le candidat du pouvoir en est l’expression politique.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
Source : Le Calame le 04/09/2013{jcomments on}
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