‘’Un gouvernement d’union supprimerait ou, à tout le moins, diminuerait les prérogatives de la CENI, notamment la plus fondamentale : son indépendance’’

(Crédit photo : Le Calame)

Mohamed Aly Chérif, député UPR à l’Assemblée Nationale.

Le Calame : La Majorité Présidentielle (MP) à laquelle vous appartenez réaffirme sa disponibilité au dialogue pour améliorer l’accord signé avec une partie de l’opposition mais rejette le principe du gouvernement de consensus que préconisait l’initiative du président Messaoud Ould Boulkheïr et affirme que les élections auront bien lieu, même sans l’opposition, à la date fixée par la CENI. N’est-ce pas dire, tout compte fait, que la porte du dialogue est verrouillée?

Mohamed Aly Chérif : Je souhaite d’abord saluer l’intérêt constant que votre journal, Le Calame, a apporté à la naissance officielle d’une presse libre en Mauritanie. Une presse qui ne se prosterne pas. J’évoque, à cet égard et avec émotion, le rôle fondamental joué par le génial fondateur du Calame, Habib Ould Mahfoudh, dont je salue la mémoire en priant le Tout Miséricordieux de l’agréer en son Paradis.

Passons alors à votre question. Etant en voyage, j’étais pas présent à cette rencontre. Mais ce qui m’a été rapporté par les collègues et confirmé le lundi 21 mai, lors d’une longue réunion du groupe parlementaire de l’UPR, c’est que le président et la MP acceptent pleinement la mise en œuvre de l’initiative du président Messaoud Ould Boulkheïr, à l’exception du « gouvernement de consensus ».

Je partage personnellement cette position pour au moins deux raisons : la première est qu’il y aurait redondance, confusion et gaspillage de moyens, en introduisant un gouvernement d’union ou de consensus, car cela supprimerait ou, à tout le moins, diminuerait les prérogatives de la CENI, notamment la plus fondamentale : son indépendance. La deuxième est précisément qu’à mon sens, il n’y a actuellement aucune crise nationale qui impose la mise en place d’une structure gouvernementale d’exception. Sur ce plan, je suis de ceux qui estiment que, depuis l’élection de Mohamed Ould Abdel Aziz à la présidence de la République, toutes les forces politiques ont cessé de contester sa légitimité. A mon avis, ceux qui reviennent en arrière sur ce point devraient montrer un peu de patience car la fin du mandat du président de la République est proche, ils ont le temps de cultiver leur légitime ambition à se présenter à la prochaine élection présidentielle, s’ils le veulent. En tout état de cause, le président Mohamed Ould Abdel Aziz garde toutes ses prérogatives constitutionnelles et je ne vois aucune raison qu’il s’en dessaisisse par des voies détournées.

– Que vaudraient des élections sans les partis les plus significatifs de l’opposition ? Ne serait-ce pas là un pas en arrière, par rapport aux élections de 2007 ?

– Les élections sont un processus libre, tant pour les électeurs que les éventuels candidats. Il est effectivement fondamental que les citoyens, assurant toutes leurs responsabilités, y prennent part. Si la participation n’est pas obligatoire, je souhaite, comme les amis de la majorité, la participation la plus large et, notamment, de l’importante frange de l’opposition qui a marqué des réticences. Je les respecte : elle a le droit, elle a le devoir, de tout faire pour que le scrutin soit réellement régulier et transparent. Or, cette double exigence concerne la mise en œuvre des moyens susceptibles d’aider la CENI à respecter, strictement, les claires modalités et conditions qui fondent et déterminent le fonctionnement du processus électoral. La participation de cette frange de l’opposition – elle possède une grande expérience en la matière et un vivier de cadres généralement assez compétents pour y contribuer de manière réellement efficace – devrait fournir des garanties supplémentaires pour la réussite des consultations à venir. Concernant la date, c’est le texte même de la loi qui dispose que c’est la CENI qui la fixe. Mais rien n’est tard, à mon avis, pour que tous ces problèmes et d’autres questions éventuelles fassent l’objet d’examen et d’accord, dans le cadre de l’initiative du président Messaoud. Je pense qu’il est essentiel que tous les acteurs concernés essaient de s’entendre, en accordant un minimum de bonne foi aux intentions de l’autre, dans le cadre de garanties consensuelles qu’à ma connaissance, la majorité ne rejette absolument pas.

– Lors de sa rencontre avec les députés de sa majorité, le président les aurait avertis que ceux d’entre eux sans assise populaire dans leur circonscription ne seraient pas reconduits. On imagine que beaucoup de vos collègues doivent « s’inquiéter » ?

Concernant cette troisième question, cela devrait aller de soi, me semble-t-il, que ceux qui n’ont pas d’assise populaire ne peuvent être reconduits. C’est aussi valable, d’ailleurs, pour l’opposition. Mais chaque camp a ses modalités d’évaluation. En ce qui concerne la majorité, je pense qu’effectivement, il y a des ambitions diverses – comme dans l’opposition – qui peuvent se manifester et il est essentiel que les instances politiques assurent qu’il n’y aura pas de favoritisme, sans oublier qu’il est indispensable d’œuvrer au maintien de la cohésion interne, à tous les niveaux.

– Que répondez-vous, d’une part, à la COD qui surfe sur les présumés « scandales financiers » et suspecte le pouvoir de traiter avec les narcotrafiquants et, d’autre part, à l’APP qui doute de la sincérité de l’enrôlement ?

Je ne pense pas que le « surfing « soit une arme de combat. A trop prendre comme argumentaire ce que publient les réseaux, par ailleurs démenti de façon catégorique, y compris par une haute personnalité étrangère qui y avait recouru, sans trop de précautions, le « surfing » dont vous parlez n’a eu de réalité que dans le virtuel.

Moi, c’est l’œuvre effectivement accomplie qui m’intéresse. Et les réalisations concrètes, amples, visibles du pouvoir se donnent à lire d’elles-mêmes. Tant en matière de forages, d’infrastructures routières, d’énergie électrique, de santé, d’éducation, de développement rural sur tout le territoire national. Et en des temps-records.

Mais, plus fondamental encore, pour moi, il y a eu le règlement du très lourd passif humanitaire. Tant au plan du rapatriement ordonné des déportés qu’au niveau, particulièrement délicat, de la régularisation – autant que ce terme puisse en exprimer la tragique réalité – de la terrible situation qui prévalut dans l’armée et les forces de sécurité. En plus du règlement, forcément lent mais accompli, des droits des fonctionnaires et des agents de l’Etat victimes des évènements de 1989-1991. J’ajoute, à ce chapitre, la mise en œuvre d’une politique globale que je souhaite de plus en plus cohérente et ferme, pour encourager, avec la rigueur requise, la disparition de l’esclavage et de ses séquelles dans tous les domaines. Concernant l’enrôlement, il y a eu des défaillances certaines et des erreurs, que j’ai personnellement évoquées, à maintes reprises, à chaque fois que j’ai eu des éléments convaincants, avec le ministre de l’Intérieur et avec l’administrateur de l’Agence nationale. Et s’il continue certainement de s’en présenter, je sais que des instructions fermes ont été données, pour apporter les remèdes appropriés et rétablir pleinement tous les citoyens dans leurs droits, à l’intérieur comme à l’extérieur. En tout état de cause, je suis convaincu qu’il n’y a absolument aucune volonté délibérée d’exclusion, à quelque titre que ce soit.

– Un des responsables de l’UPR disait, récemment, sur une radio privée de la place, que le gouvernement d’union réclamée par l’opposition va à l’encontre de la Constitution. Êtes-vous de son avis ?

– Je crois avoir répondu indirectement à cette question. N’étant pas juriste, je ne peux aller plus avant. Sauf à dire qu’à ma connaissance, aucune disposition, législative ou réglementaire, ne prévoit une telle structure. Le seul gouvernement est celui que forme le président de la République qui peut l’appeler, évidement, sous le vocable qu’il estime convenir.

-Lors de votre passage à la TVM, vous avez rendu un vibrant hommage à l’ancien président Moktar Ould Daddah. Pouvez –vous nous évoquer les rapports que vous aviez entretenus avec le père de la Nation mauritanienne ?

– Vous dites que j’ai rendu un vibrant hommage au Président Moktar Ould Daddah. En toute conscience, je pense que je n’ai évoqué que quelques unes de ses qualités d’homme, et réalisations d’homme d’Etat.

Du reste, l’une de nos principales convergences fut toujours de tout faire pour placer les choses dans le cadre de la pondération, et d’éviter strictement d’inscrire les comportements et l’action sur le registre de la louange, signe pouvant pousser à la démesure.

Quant à nos rapports, je ne peux les caractériser mieux qu’il ne l’a fait – sans que le sache avant la parution de ses mémoires – dans son ouvrage « La Mauritanie contre vents et marées » : une compréhension réciproque exemplaire. Je précise seulement que la relation qui s’est instaurée entre lui et moi durant la dizaine d’années que j’eus le privilège de le côtoyer, et d’assister autant que possible, s’inscrivait dans le cadre de l’œuvre complexe et périlleuse même, toujours déterminée qu’il s’était fixée pour jeter les bases d’un Etat mauritanien en vue de construire, avec tous les compatriotes qui l’ont voulu, une Patrie Mauritanienne, réelle, solide, tournée vers l’émancipation et le progrès partagé. Bref, une Mauritanie égalitaire, solidaire et fraternelle. Or, cet objectif fut largement atteint au prix, certes, d’immenses efforts.

Davantage, le Président Moktar Ould Daddah put, contre toute attente, et malgré le poids spécifique infime sur la scène internationale hisser son pays au rang d’une Nation connue et respectée, non seulement au plan africain et arabe, ou du tiers monde, mais dans le monde. Il pesa même d’un poids non négligeable, dans l’accélération des luttes de libération en Afrique et en Asie, comme il contribua, à des niveaux élevés de la diplomatie internationale de l’époque, à aplanir des relations tendues entre des puissances qui comptent et à l’instauration d’ententes et d’une coopération durable, là où son influence et son action ne pouvaient être attendues. Voilà ce qui justifie ce qui ne pouvait qu’appeler la collaboration loyale et entière de ma part, et celle d’autres.

-Pensez-vous que la Mauritanie accorde à son premier président, la place qui lui sied dans son histoire ?

Je ne révèle rien en disant que le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a, très tôt, de son propre chef, courageusement et clairement exprimé la reconnaissance de la Nation à l’endroit du fondateur de l’Etat Mauritanien. Il l’a dit et répété publiquement, et même donné, à titre symbolique, le nom d’une des plus grandes rues de la capitale au premier chef de l’Etat de notre pays, bâtisseur justement de cette capitale à partir de rien.

Le président Aziz a également accordé une grande considération à la famille du Président Moktar Ould Daddah, et manifesté une estime et une attention réelles à Madame Mariem Daddah, ce qui n’est pas peu pour qui sait combien on vient de loin.

J’estime évidement qu’on peut et doit aller plus loin, notamment en concertation avec la famille et ma Fondation Moktar Ould Daddah.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  Le Calame le 29/05/2013{jcomments on}

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