Haut fonctionnaire dans l’Administration mauritanienne, ancien ambassadeur de son pays au Mali, à Washington et à Sanaa, – Bilal Ould Werzeg a été surtout un diplomate au service de la Mauritanie pendant de longues années.
Il est l’une des chevilles ouvrières du militantisme de la cause haratine notamment du mouvement El Hor qui vient de fêter son 35e anniversaire de lutte. Il parle à cœur ouvert dans l’entretien de questions vitales pour l’avenir de l’Etat mauritanien et pour l’avènement de la justice sociale. (Extraits)
Question : Cette interview intervient au moment où El Hor, souffle ses 35 bougies. Pouvez-vous nous dire ce que vous savez de la genèse de ce Mouvement ?
Bilal Ould Werzeg : J’ai personnellement rédigé la charte d’El Hor dans les années 1974-1975 et j’ai convaincu beaucoup de mes cousins d’y adhérer, notamment Boubacar Ould Messoud, Boydiel Ould Houmeid et j’ai coopté Messoud Ould Boulkheir pour être membre de la direction d’El Hor.
Question : Pouvez vous nous retracer l’historique de la création du mouvement, sur quoi était centré vos objectifs initiaux? Le bilan d’El-Hor aujourd’hui est-il satisfaisant pour vous ?
BOW : Lorsque la Mauritanie a connu les malheureux événements de 1966 beaucoup d’intellectuels et de jeunes mauritaniens toutes ethnies confondues ont décidé de créer le Mouvement National Démocratique (MND) ou Kadihine. Il a été décidé à l’époque de mettre en avant la solidarité entre tous les mauritaniens afin de faire aboutir des revendications légitimes et communes. A l’instar des autres composantes de la nation, les Haratines ont massivement adhéré au MND et ils en constituaient le fer de lance. A partir de 1973, le régime de feu Moctar Ould Daddah (paix à son âme) a satisfait la plus grande partie des revendications du MND, j’étais à l’époque président d’un comité d’action du MND à Nouakchott au 1er marché du poisson. Lors d’une réunion de bilan, et après avoir constaté que plusieurs militants du MND avaient rejoint le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) et avaient intégrés le CREA et l’INEEP, j’ai déclaré que n’ayant pu constater aucune amélioration quant au sort des esclaves et des haratines tout au long de leur parcours au MND, qu’il me semblait nécessaire de créer un mouvement propre aux haratines. Cela avait soulevé un tollé au sein du MND dont les membres m’accusaient de sectarisme, mais j’avais pris ma décision. J’ai discuté l’idée avec Mohamed Yahya Ould Ciré, mon promotionnaire à l’École Nationale d’Administration (ENA) et Amar Ould Ahmed Deyna, mon frère de lait, et nous nous sommes mis d’accord pour la concrétiser.
Question : Plusieurs personnalités politiques haratine revendiquent le statut de membres fondateurs voire la paternité d’El-Hor. Certaines d’entre elles ont publié un document intitulé « charte El-Hor » dans lequel, à la surprise générale certains noms comme Mohamed Yahya Ould Ciré ont disparu de la liste des fondateurs. Pour l’histoire pouvez-vous nous donner des indications sur les noms du premier groupe des « conspirateurs-créateurs » du mouvement en 1974 à l’ENA ?
BOW : Le groupe était composé de 3 personnes citées plus haut, tous les autres ont rejoint le mouvement par la suite et c’est lorsque nous avons pu réunir les 12 membres que la naissance officielle a été déclaré mais El Hor a existé bien avant le 5 Mars 1978.
Question : L’actuel président de l’assemblée nationale Messaoud Ould Boulkheir préconise la dissolution du mouvement El-Hor, selon lui, El-Hor n’a plus sa raison d’exister malgré que la situation des esclaves et anciens-esclaves n’a pas vraiment évolué, ces déclarations ont provoqué une dissidence au sein de son parti l’APP, Mohamed Ould Borboss, Samory Ould Beye et d’autres cadres haratine ont pris cela comme une « trahison » de la cause haratine, ils ont créé un nouveau parti politique qu’ils ont appelé Moustaqbel. Donnez-vous raison à Messaoud Ould Boulkheir de vouloir placer El-Hor dans les archives de l’histoire ? Ou alors que doit on faire du mouvement aujourd’hui ?
BOW : Il avait été décidé à l’époque que lorsque l’esclavage aura disparu en Mauritanie et que cette dernière sera devenue un État démocratique, que les haratines en ce moment-là iront dans les partis politiques qu’ils auront choisi librement. Donc je pense que Président Messaoud Ould Boulkheir considère que le travail est achevé alors que les autres estiment qu’il reste encore beaucoup à faire.
Question : L’état Mauritanien, des partis politiques, des Imams et certains intellectuels nient les pratiques de l’esclavage sur le sol Mauritanien. Leur argument simpliste repose sur la mise en place d’une législation réprimant l’esclavage et protégeant les victimes malgré le fait qu’elle ne soit jamais appliquée au grand dam des abolitionnistes. Pourquoi cette hypocrisie pratiquement générale autour de l’esclavage et du racisme anti haratine ?
BOW : Bilal Ould Werzeg : L’hypocrisie s’explique par le fait que le problème Haratine est très sensible et il est central dans l’avenir de la Mauritanie.
Question : La nouvelle génération consciente des haratine a du mal à comprendre l’attitude de leurs aînés qui ont crée El-Hor, elle vous reproche d’avoir utilisé la cause des victimes de l’esclavage à des fins de promotions personnelles. La plupart des membres fondateurs ont vite déserté le front de la lutte contre l’esclavage pour une planque ou un portefeuille ministériel. Certains en sont arrivés au point de nier avec zèle l’existence de l’esclavage en Mauritanie dans le but de conserver leurs postes en adoptant le discours négationniste de l’état Mauritanien. Qu’avez-vous à répondre à cette nouvelle génération de haratine?
BOW : Je ne connais pas de membres fondateurs d’EL Hor qui ont nié l’existence de l’esclavage même si l’État a utilisé et continue d’utiliser certains Haratines pour prêcher la propagande officielle. Lorsque j’étais ambassadeur aux États Unis à Washington, j’ai fait état de ma lutte contre l’esclavage dans beaucoup d’interviews et je n’ai pas caché mes antécédents dans la lutte contre les injustices. Malheureusement je ne suis resté à Washington que 10 mois ce qui est significatif.
Question : Les arabo-berbères reprochent souvent aux abolitionnistes de « taire » les pratiques discriminatoires sur l’idéologie féodale généralement esclavagiste qui se perpétue dans les milieux des négro-africains, y-a-t-il une différence entre les deux pratiques ? Pourquoi certains arabo-berbères et négro-africains se montrent hostiles à la lutte contre l’esclavage que mènent les harratine ?
BOW : Vous décrivez la féodalité qui est partout la même.
Question : L’arabisation des haratines sur fonds de commerce politiquement démographique qui vient en appui aux faux chiffres de l’état Mauritanien depuis des années que la Mauritanie est majoritairement « arabe » n’est elle pas une façon de maintenir les haratine sous la domination de leurs anciens maîtres esclavagistes ?
BOW : On ne peut asservir des personnes par une langue d’autant plus que les enfants haratines aujourd’hui maitrisent parfaitement cette langue et ils sont en flèche dans la lutte contre l’esclavage et les discriminations et leurs arguments en arabe portent bien.
Question : Pensez-vous que les haratines ont une histoire à la fois différente de celle des arabo-berbères mais aussi des autres communautés noires du pays, dans ce cas comment définissez-vous l’identité des harratines ?
BOW : Les Haratines sont le fruit de l’histoire de la Mauritanie et ils constituent ceux sur lesquels la Mauritanie doit s’appuyer pour sa joie de vivre ensemble et sa pérennité. Leur intérêt réside dans l’existence en Mauritanie d’un Etat démocratique fort de sa diversité et fier de l’apport de tous et de tout un chacun pour son devenir.
Question : Avez-vous un message qui est cher à adresser aux lecteurs ?
BOW : Lorsque j’étais en exil pour protester contre l’arrestation des membres d’El Hor j’avais écrit un article dont le titre est « Pour une Mauritanie mauritanienne ». Je demande à tous les mauritaniens de travailler pour l’avènement d’une telle Mauritanie fière de son arabité, fière de son africanité qui doit voir en cela une grande richesse qui n’est pas donnée à tout le monde et qui réellement constitue la grandeur du peuple mauritanien.
Source : AHME via Le Rénovateur le 19/03/2013{jcomments on}
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