Chasse en Mauritanie : Une tradition, un tourisme, un prétexte pour être armé…

(Pancarte annonçant un périmètre de chasse à Keur Macène, dans le Trarza. Crédit photo : MLK / Noor Info)

Entre les phacochères de Keur Macène, et les gazelles des parages d’Aïoun, la chasse mauritaniennes offre deux types de «clients» : les «chasseurs» les «vrais», et les «tireurs», qui concerneraient surtout ceux qui en ont après la gazelle. Une troisième catégorie apparaît de plus en plus : les « armés ».

La différence entre un bon et mauvais chasseur ? Les Inconnus répondent en chœur que le bon chasseur «chasse» et que le mauvais «tire». Près de 20 ans après ce sketch culte des comiques français, on pourrait emprunter cette définition (certes tirée par les cheveux) pour décrire la chasse, ou plutôt les chasses, en Mauritanie.

Elles se distinguent en deux catégories : les «carnassiers» et les «environnementaux».

Il y a six ans, dans un des plus grands centres de chasse de phacochères d’Afrique qui se situe en Mauritanie, plus précisément à Keur Macène, dans le Trarza, un carnage y était découvert : une trentaine de phacochères étaient retrouvées mortes, alignées, sans défenses (sans aucun jeu de mot). «On leur avait arraché les défenses ; C’étaient des choses organisées par des sociétés touristiques mauritaniennes» explique un chasseur de Nouakchott, qui a requis l’anonymat.

«En Mauritanie, pour une catégorie de chasseurs, si on peut les appeler ainsi, il s’agit plus de néfaste plaisir, qu’autre chose : vers Aïoun par exemple, la gazelle est chassée de nuit, avec de puissants projecteurs braqués sur elle, la paralysant de surprise et de peur. Elle est tuée ensuite presque à bout portant. Où est la notion de chasse dans ces méthodes ?» s’interroge le chasseur anonyme, qui pointe du doigt le ministère de l’environnement, dont dépend la chasse, et qui donnerait aveuglément des permis à de riches saoudiens, et à une certaine élite mauritanienne, sans tenir compte des méthodes employées, et du profil des personnes demandant une autorisation.

Il y a quand même les «bons» chasseurs, soucieux de naviguer dans l’environnement semi-sauvage de Keur Macène ou des alentours d’Aïoun en respectant la faune et la flore, et ne prenant pas plus que de raison. «A ceux-là exclusivement, il est demandé de se conformer à la mise en place d’un agent dans chacun de leur véhicule. Comprenez qu’on veut bien s’y soumettre, même éventuellement à plusieurs check-points bien établis, pour lutter contre le braconnage, mais la règle doit être appliquée à tous, surtout quand on identifie facilement les braconniers, et que la tâche leur est même facilitée !» crache le chasseur, qui déplore le rôle des pétrodollars ou de l’origine tribale dans cette affaire.

Chasser pour s’entraîner à tirer

Une troisième catégorie de chasseurs apparaît tout de même depuis quelques années. Ceux qui utilisent la chasse comme un prétexte pour s’entraîner à l’usage de leurs armes à feu, le plus souvent automatiques d’ailleurs. Foin des questions environnementales et du plaisir de la chasse : ici on parle de méthode de tir, de précision d’angles.

«Pour 50.000 UM vous pouvez avoir une arme automatique légère dans certains endroits de Nouadhibou ou Nouakchott» explique un gérant d’entreprise de sécurité, sur Nouakchott. Et pour lui, le désert et la savane sont d’excellentes zones d’entraînement au tir pour une classe aisée mauritanienne, surarmée depuis la guerre du Polisario et surtout depuis les «évènements» de 1989, où on a vu l’état littéralement armer des communautés entières, notamment dans le sud.

A Aïoun Al-Atrous, au nord de Nouadhibou proche de la frontière avec le Polisario, «il est commun pour les éleveurs nomades du Sud-Est de posséder des carabines. Les chasseurs, les chefs de tribus et la « classe bourgeoise » de cette région possèdent souvent des bouvelkes, armes de chasse artisanales à une cartouche. La chasse est strictement réglementée, mais le braconnage, qui a mené à la quasi-extinction d’espèces telles que les antilopes ou les outardes, persiste. La chasse se pratique souvent aussi avec des armes de guerre plutôt qu’avec les bouvelkes traditionnels», expliquent Stéphanie Pézard et Anne-Kathrin Glatz dans une étude relativement complète sur la circulation des armes en Mauritanie et dans le Sahel.

BOD est un jeune d’un peu plus d’une vingtaine d’années issu d’un des milieux favorisés de Nouakchott. Régulièrement, avec son père et des proches, ils partent en «chasse» alternativement entre Aïoun et Keur Macène. A l’évocation de la liste des armes utilisées, on se demande s’il s’agit de chasse ou de campagne guerrière :

«J’ai un simple 9mm. Occasionnellement mon père me permet d’utiliser sa kalachnikov. Pour le premier essai j’ai tué un phacochère à trente mètres tout de même» dit-il tranquillement et passablement fier de lui. « Nouakchott est de moins en moins sûre; on ne peut pas se permettre de ne pas avoir les moyens de se défendre. Et aller « chasser » est un bon moyen de s’entraîner » conclut-il, toujours le sourire aux lèvres.

Souvi Ould Abderrahmane

Source  :  Noor Info le 27/02/2013{jcomments on}

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