La Commission Mixte prévue au Protocole de Pêche 2012-2014 signé entre la Mauritanie et l’Union Européenne a terminé ses travaux, après deux jours d’intenses négociations.
Convoquée à la demande de l’UE à l’issue de la réunion du 22 janvier passé de la Commission des Pêches du Parlement Européen, cette Commission Mixte qui a siégé les 19 et 20 courant à Paris, revêtait une importance capitale pour les Armateurs Européens, et particulièrement Espagnols.
Pour la Mauritanie, cette réunion de la Commission Mixte est le cadre qui lui permet de formaliser les acquis du Protocole, tout en créant les conditions garantissant le niveau d’utilisation minimal requis dudit Protocole, ce qu’elle a parfaitement réussi.
Contexte et attentes des Armateurs Européens
Les Armateurs Européens attendaient de cette réunion la renégociation des conditions techniques et financières introduites au nouveau Protocole de Pêche car, de leur point de vue, entre le réaménagement des zones de pêche, l’introduction des quotas et leur impact sur le relèvement du niveau des redevances (progression de 300 à 400%), l’exercice de la pêche n’est pas économiquement viable. Ceci sans parler de la question centrale pour l’Espagne que représente l’exclusion de la pêche aux céphalopodes.
Lors de la réunion du 22 janvier de la Commission des Pêches du Parlement Européen, la Confédération Espagnole des Pêches (CEPESCA) avait présenté un exposé sur l’impact des conditions techniques et financières du nouveau Protocole: En plus de la baisse attendue des captures de ses navires d’une part (à cause des nouvelles zones de pêche) et de la progression de leurs charges d’exploitation (principalement à cause du relèvement des redevances), CEPESCA faisait par ailleurs état d’une perte d’activités pour le secteur au niveau des Canaries, estimée à 100 Millions d’Euros et plus de 3.000 emplois. Ces retombées et emplois sont essentiellement générés par l’activité des chalutiers pélagiques industriels (dont Las Palmas est la plateforme logistique), et qui devront dorénavant transborder à Nouadhibou. De son côté, le Président de l’Association des Armateurs de Marin (Galice) chiffre à plus de 65 Millions d’Euros et 10.000 emplois directs et indirects, les pertes qu’occasionnera pour le port de Marin l’exclusion des céphalopodiers des zones de pêche Mauritaniennes.
Objectifs de la partie Mauritanienne, réaménagements concédés
Pour sa part, la Mauritanie inscrit les conditions du nouveau Protocole dans une stratégie visant à garantir la durabilité de ses ressources, parallèlement à l’optimisation de leurs retombées économiques et sociales directes et indirectes au niveau local, tout en étant par ailleurs ouverte à ce qui, sans remettre en cause ces objectifs, peut améliorer les conditions techniques et économiques dans lesquelles exercent ses partenaires.
Ainsi, sur les différentes demandes introduites par la partie Européenne lors de cette Commission Mixte, la Mauritanie n’a accédé qu’à ce qui n’était pas contradictoire avec ses objectifs précités, et « n’affecte pas les fondamentaux du Protocole » tel que:
- Pélagiques industriels :
La principale demande des Européens concerne les zones de pêche, qui se trouvent reculées à près de 37 Km (20 Milles) des côtes au titre du nouveau Protocole (2012/2014), au lieu des 24 Km (13 Milles) que fixait l’Accord précédent (2008/2012).
Pour la Mauritanie, le nouveau zonage a pour objectif: a) protéger les écosystèmes des zones côtières, b) réserver exclusivement à la pêche artisanale ou semi artisanale l’exploitation des pélagiques côtiers, compte tenu de l’énorme potentiel de cette pêcherie et du faible niveau d’investissement requis, c) résoudre le conflit de pêcheries observé par le passé (captures accessoires élevées de calmars, daurades etc.).
La seule modification qui a été concédée à ce sujet ne porte que sur la portion qui se situe très au Sud, (à partir de la hauteur de Tiguent), où la zone de pêche a été ramenée de 20 à 15 Milles, ce qui la maintient tout de même à une distance plus que respectable de près de 28 Km, au large des écosystèmes des Marais de Toumbos, Delta du Fleuve etc.
- Crevettiers :
La demande de l’UE a porté sur : a) La modification du tracé des nouvelles zones de pêche,
b) les prises accessoires, c) la réduction de 620 € à 420 € de la redevance par tonne pêchée, d) le relèvement de 5.000 à 7.000 Tonnes du quota total pour cette pêcherie, e) le nombre de navires pouvant pêcher simultanément entre les 6 et les 8 Milles.
A travers les conditions techniques et financières introduites au nouveau protocole pour cette pêcherie, la Mauritanie visait à : a) réduire autant que possible l’incidence du conflit de pêcheries existant avec d’autres espèces (céphalopodes, crabes, poissons démersaux etc.), b) augmenter l’apport financier de cette pêcherie à forte valeur commerciale.
Sur les demandes présentées par la partie Européenne, la Mauritanie en a accédé à deux, dans les conditions suivantes : a) Prises accessoires. La Mauritanie comprend bien que les espèces dites associées aux crevettes (même habitat), rendent impossible la sélection et capture des seules crevettes par les chaluts. Elle a donc concédé des prises accessoires de 4% de céphalopodes (au lieu des 15% autorisés par l’accord précédent), 15% de poissons (au lieu des 20% autorisés par l’accord précédent) et majoré de 5% la prise accessoire autorisée de crabes, ceux-ci étant un produit de la même famille commerciale des crustacés. b) Nombre des navires simultanément présents entre les limites de 6 et 8 Milles : Le nombre initial de 10 navires a été porté à 12, les autres navires devant rester pendant ce temps à l’ouest de la ligne des 8 Milles.
Quant aux demandes relatives d’une part à la réduction des redevances de pêche et au relèvement du quota prévu, la partie Mauritanienne a souhaité recevoir cette demande par écrit avant de se prononcer.
Pour finir, la Mauritanie a obtenu le prélèvement d’une redevance en nature à hauteur de 2% de prises accessoires de poissons de cette pêcherie, toutes espèces confondues. Cette redevance en nature vient s’ajouter aux 2% de la production des chalutiers pélagiques (chinchards et à défaut sardinelles), destinés à la distribution en faveur des populations nécessiteuses.
- Merlus :
La demande présentée par l’UE a porté sur le relèvement de 4.000 à 5.000 Tonnes du quota prévu par le protocole.
Notons qu’il s’agit d’une espèce essentiellement du talus continental (éloignée des côtes), de valeur marchande relativement secondaire.
La partie Mauritanienne a souhaité recevoir cette demande par écrit avant de se prononcer.
- Embarquement des marins Mauritaniens.
La base de calcul des 60% de marins Mauritaniens à embarquer sur les navires pêchant dans le cadre du Protocole de Pêche a été reconfirmée « hors officiers », ce qui était déjà précisé au Protocole, est conforme à l’usage et ne change rien à ce nouvel acquis, notamment et surtout sur la flotte pélagique, principal pourvoyeur d’emplois.
Enfin, la Commission Mixte a demandé à la Mauritanie de convoquer le Comité Scientifique Conjoint aux fins de faire un état des lieux de la ressource céphalopodière et plus généralement de l’ensemble des stocks.
A ce sujet des céphalopodes il faut signaler que, contrairement à ce qui a pu être dit ou compris, la Commission Mixte n’a en aucun cas ouvert la pêche aux poulpes, ni introduit une quelconque « pêche expérimentale » aux poulpes ni à d’autres espèces. La Commission a tout simplement demandé au Comité Scientifique Conjoint, de lui présenter un « protocole expérimental », une démarche donc pour simplifier, permettant d’analyser l’efficacité des mesures techniques de conservation du poulpe (Point n°1 de l’Annexe 2 du PV de la Commission Mixte des 19 et 20/02/2013).
Questions en suspens et suite attendue.
Tel que nous le disions plus haut, la Mauritanie a réussi à maintenir intacts tous les acquis de ce nouveau Protocole, tout en se prémunissant autant que possible contre le risque de sa dénonciation ultérieure pour utilisation insuffisante, tel que le souhaitait l’Espagne, qui a un sérieux problème avec ses céphalopodiers et dont la question n’est toujours pas réglée.
La Mauritanie a réussi cela grâce à sa situation financière et au niveau de ses réserves en devises, situation que la Délégation du MPEM en charge des négociations dirigée par Monsieur Cheikh Ould Baya, avait mise à profit pour prendre le temps nécessaire pour négocier efficacement
(15 mois), et anticiper les concessions possibles lors de négociations ultérieures, comme celle qui viennent de se terminer. La Délégation mauritanienne s’était préparée à cela en se ménageant, dès le départ, de confortables marges de manœuvre (systématisation du recul des zones de pêche, suppression simple ou réduction drastique de certaines prises accessoires etc.).
Quant à la question de l’approbation définitive du Protocole de Pêche par le Parlement Européen, celle-ci semble plus que jamais acquise, étant entendu que l’Espagne pourra difficilement entrainer l’UE dans une voie qui imposerait une renégociation totale du Protocole.
En effet, la plénière du Parlement Européen n’amende pas le Protocole. Ou elle l’approuve tel quel, ou elle le rejette totalement. Aussi, en cas de rejet, il faudra reprendre la négociation d’un nouveau protocole à partir de zéro, ce que pourra aborder la Mauritanie sans hâte, tandis que toute la flotte Européenne concernée par ce Protocole (une centaine de navires) demeurera à l’arrêt et subventionnée, étant donné la quasi inexistence de zones de pêches alternatives concurrentielles.
Samouri Ould Ahmed Yehdhih{jcomments on}
(Reçu à Kassataya le 23/02/2013)
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