«On soupçonne Nouakchott de vouloir favoriser la création d’un Etat Azawad…»

boubacar-diagana«La responsabilité du président Amadou Toumani Touré (ATT) est pleine et entière car tout laisse à penser qu’il aurait voulu terminer son deuxième mandat sans vague et laisser la patate chaude au futur président élu…

Mieux, le président ATT aurait fermé les yeux sur les activités criminelles de toutes sortes dans la partie Nord de son pays.» C’est en substance ce que l’on peut retenir de l’ouvrage collectif «L’occupation du Nord Mali» faisant partie de la série de publication intitulée «Regards sur une crise» qui vise à documenter  les événements qui ont conduit à la l’effondrement de l’Etat malien. L’intellectuel mauritanien, Boubacar Diagana, géographe travaillant actuellement comme cadre de l’administration publique française, l’un des co-auteurs du livre paru le 19 décembre 2012 avec l’historien Ciré Ba,  Doumbi Fakoly et Hamidou Magassa, en visite à Dakar revient sur le «double» jeu de la Mauritanie dans cette crise. Il « soupçonne le régime de Nouakchott de vouloir favoriser la création d’un Etat «Azawad» qui serait gouverné par les Touaregs».

Comment vous est-il venu l’idée d’une participation à un ouvrage collectif sur la crise malienne?
 
Notre contribution est parti d’un double questionnement : d’abord pourquoi l’armée mauritanienne s’autorise-t-elle à poursuivre des «islamistes» jusqu’en territoire malien ? Est-ce qu’elle en a l’autorisation du pouvoir central de Bamako ? Et, dans l’hypothèse où elle a cette autorisation quels sont les conséquences de telles interventions répétées sur le régime de Bamako et généralement sur la sous région ? C’était cela notre interrogation de départ.

Est-ce à dire que vous imputez la responsabilité pleine et entière de la crise à l’ancien régime d’Amadou Toumani Touré ?
 
Il y a un peu de tout, mais nous avons préféré pointer du doigt la responsabilité d’Amadou Toumani Touré (ATT) pour deux raisons : d’abord parce qu’il était le président de ce pays souverain et ensuite parce qu’à la fin du conflit libyen alors qu’un pays frontalier à la Libye, le Niger, refusait le retour des touaregs, il a négocié avec lui l’ouverture d’un couloir leur permettant de pouvoir rentrer au Mali et sans condition, alors qu’ils étaient déjà Libyens, enrôlés dans l’armée libyenne.  C’est le premier niveau de responsabilité.
Le deuxième niveau de responsabilité c’est que c’est quand-même étonnant qu’ATT, un général cinq étoile, comme disent les Maliens, à la fin de son second mandat, confronté à une difficulté aussi grave, ne se sente pas en capacité de dire la vérité aux Maliens et surtout à l’Armée.

Quelle vérité ?
 
La vérité, on la découvrira après. Quand il y aura le coup d’Etat, les gens découvriront qu’il n’y avait rien, aucune munition, aucune arme pour les militaires. En réalité la centaine de milliards de francs Cfa qui était votée chaque année pour le budget de l’Armée était tout bonnement et simplement détourné  par l’entourage du président. Et c’est cela qui faisait qu’il ne pouvait pas parler. Cette responsabilité là est fondamentale, il faut la souligner.

Pourtant d’aucuns dénoncent la position de l’Algérie qui semble avoir trouvé dans le déclenchement de ce conflit une bouffée d’oxygène avec le déplacement de «ses islamistes» vers le Mali. Quelle est votre lecture ?
 
Cette autre responsabilité aussi importante, mais que nous ne mettons pas expressément en avant c’est celle de l’Algérie. Pendant des années elle s’est battue toute seule contre les islamistes, en a payé le prix, donc elle s’est dit qu’il n’est pas question aujourd’hui, quand ceux-ci s’expriment sur un autre territoire, qu’elle s’en mêle. C’est une faute parce qu’on a vu que dès le déclenchement de la guerre avec l’intervention française, la première conséquence c’est fait sentir en territoire algérien. Donc il y a la responsabilité de ce pays-là.
Et, accessoirement en tant que Mauritaniens, nous nous sommes interrogés sur ce que faisait le régime de Mauritanie. Nous nous demandions si, en pourchassant les islamistes jusqu’en territoire malien, Nouakchott n’ouvrait pas une brèche vers l’opposition MNLA  qui ne demandait qu’à en découdre avec le pouvoir de Bamako.

Depuis le déclenchement de la guerre avec l’implication des troupes françaises, il n’y a pratiquement pas eu de résistance pour la libération du nord Mali. Les islamistes se sont soit cachés ou dispersés. Quelle conséquence pour la sécurité au Sahel ?
 
Pour l’instant, on ne peut que les imaginer, mais à mon avis elles peuvent être de deux ordres. Le premier a commencé à se manifester: Les islamistes ont probablement trouvé de la confiance auprès des populations locales dont certaines s’identifiaient à eux. Et ils ont commencé à s’exprimer par cette espèce de guérilla qui est apparente. Cela va compliquer la tâche de l’armée française qui va s’en aller dans quelques semaines. Et beaucoup plus encore la tâche des forces africaines qui sont en train de s’installer. Elles n’ont pas l’expertise, la force de puissance des Français et n’ont certainement pas, pour beaucoup d’entre elles, la ténacité   de l’armée française.
La deuxième conséquence, c’est au niveau des pays voisins. Si un pays comme le Niger peut et souhaite fermer ses frontières, nous ne sommes pas sûrs que ce soit le cas de la Mauritanie. Dès les premiers coups de feu en effet on a su, on a vu des rebelles du MNLA courir vers la Mauritanie soi-disant pour déposer leurs armes et véhicules. Est-ce que c’est un dépôt de munitions ou une pause, le temps de voir la situation se calmer et de revenir? Des risques sont possibles sur des pays voisins comme le Sénégal, etc. Le Sénégal a l’expérience de pouvoir protéger ses frontières, mais est-ce que devant une telle rébellion, il est en mesure de le faire réellement. Il y a de quoi s’interroger.

Que sont devenus ces combattants du MNLA et les armes déposées en Mauritanie?

Théoriquement, les armes et les véhicules sont sous contrôle de l’armée mauritanienne. Mais quand on connaît la proximité qu’il y a entre les Touaregs du MNLA et les militaires et les populations, les centres d’affaires politiques et  les militaires mauritaniens, il y a à se demander si ce n’est pas une simple mise au placard de ces armes, le temps qu’ils puissent venir les chercher.

Pourtant, après  une chasse aux islamistes  ces dernière années, les troupes mauritaniennes ne participent pas aux combats au Mali. Comment vous appréciez cette position ?
 
Ça, c’est ce qu’il y a de plus incompréhensible. Pendant longtemps, depuis 2010, la Mauritanie s’est positionnée comme un champion de la lutte contre le terrorisme islamiste en territoire malien. Et à plusieurs reprises elle a mené toute seule, parfois même avec l’appui de l’Armée malienne ses opérations. Voilà que la communauté internationale se mobilise contre ces islamistes et la Mauritanie se met en retrait. On ne comprend pas et on se met à poser des questions : la Mauritanie visait-elle réellement à poursuivre des islamistes ? Disputait-elle à ces islamistes le commerce très lucratif du trafic de drogue ? Il se dit que l’homme qui est au pourvoir en Mauritanie a des hommes en sous-main à Bissau et à Nouakchott qui ont pignon sur ce trafic là. C’est la première raison. La deuxième raison, c’est qu’on soupçonne le régime de Nouakchott de vouloir favoriser la création d’un Etat «Azawad» qui serait gouverné par les touaregs.

Existe-t-il une traçabilité sur ce supposé trafic de drogue?
 
Personnellement, nous n’en avons pas, mais la chose est suffisamment grave pour qu’un député français en exercice, journaliste de profession, puisse le dire. Je pense que si les choses n’étaient pas précises dans son esprit, il n’allait pas le dire d’autant plus qu’il peut courir le risque d’être traduit en justice et de compliquer les relations entre la Mauritanie et la France. Je pense qu’on est au-delà des soupçons.

Le Sénégal a envoyé de troupes par au Mali,  comment appréciez-vous ce choix ?

C’est un conflit qui se passe sur ses frontières, je pense qu’il a été d’un courage extraordinaire pour pouvoir intervenir.

On assiste à des arrestations de supposés «jihadistes» au Sénégal. N’y a-t-il rien à craindre ?
 
C’est une des conséquences possibles de l’intervention au Mali, c’est ce qu’on craignait. Si vous vous souvenez, en septembre, l’armée malienne avait déjà arrêté et tué une douzaine de Mauritaniens prédicateurs islamistes présentant à peu près les mêmes formes avec barbes et turbans, etc., et qui n’ont pas voulu obtempérer au contrôle malien. Il y a que depuis la naissance de ce conflit chacun est sur le qui-vive et le regard est porté sur ce type de populations. Cela présente un risque et ce n’est pas un risque sans rien. Ce qu’il faudrait c’est d’abord un sang-froid des militaires et aussi un respect des consignes de la part de ses populations là. Quand on leur demande de s’arrêter, il faut s’arrêter tout simplement pour accepter un contrôle et éviter le pire. Mais aussi les escalades, parce qu’entre la Mauritanie et le Sénégal, depuis 1989 ce n’est pas tout à fait la sérénité.

Quelles sont les motivations réelles de la participation de la France dans la guerre au Mali?
 
Je pense qu’il faudrait qu’on accepte une fois pour toute que la France est intervenue à la demande du gouvernement du Mali. Je pense que quand le président Dioncounda Traoré a demandé l’aide d’urgence de la France, il savait le risque éminent qu’il y avait de voir Bamako occupée. Il y a évidemment dans l’intervention française, d’aider le Mali à protéger son territoire et ensuite, je pense que c’est légitime, protéger ses intérêts propres, en l’occurrence les ressortissants français qui se trouvent au Mali et au-delà, peut-être au Sénégal, en Mauritanie, et ailleurs. Je pense que c’est légitime.

Comment appréciez-vous le fait que les forces africaines déployées sur le terrain tardent à être effectives ?
 
Cela a été une grosse interrogation de notre part. On n’a jamais compris les tergiversations de la CEDEAO depuis le début, mais on savait que la CEDEAO qui disait avoir des troupes (en réserve) ne possédait pas les moyens de les envoyer sur le terrain. A titre d’exemple, la France au bout de trois semaines a fait le bilan financier de son intervention qui s’élevait à 70 millions d’euros. Convertis en francs Cfa, cela fait plusieurs milliards. C’est un budget dont ne disposait pas de manière spontanée la CEDEAO, donc elle ne pouvait pas recruter.
Mais on va au-delà de la CEDEAO, vous voyez que c’est le Tchad qui mobilise le plus grand contingent. Et ensuite, je pense que pour certains pays de la CEDEAO, ou certains pays voisins, dont la Mauritanie, les autorités manquent  fondamentalement de confiance dans leur armée. Cela explique en grande partie les hésitations qu’on a constatées.

Pourtant chaque année nos Etats votent des budgets colossaux pour les Forces armées. Comment peut-on faire la part belle à la sécurité dans le budget nationale et ne pas avoir confiance en son Armée ?
 
Dans le cas du Mali, les budgets sont votés, mais il semblerait qu’ils soient détournés. C’est ce que semblent dire deux grands partis au Mali: le SADI et le FORA. Pour le cas de la Mauritanie, l’expérience a montré que la première fois qu’elle s’est engagée en guerre c’était au Sahara Occidental et cela s’est terminé par un coup d’Etat. Et le général actuel, qui n’était pas général à l’époque, a le souvenir de ce coup d’Etat qui avait renversé Moktar Ould Dadda. Il s’est dit donc en envoyant ses troupes au Mali, pour combien de temps, quel résultat ? On ne sait pas. Il y a des risques qu’à la fin de la guerre, qu’elles se retournent contre son pouvoir. Donc cela fait qu’il hésite un tout petit peu.

Pendant que le Nord de leur pays n’est pas totalement récupéré, deux factions de l’Armée malienne se font la guerre à Bamako. Comment analysez-vous cette situation ?
 
C’est une des complexités du problème malien. Beaucoup se sont interrogé pourquoi les bérets verts ont fait le coup d’Etat ? Et l’homme qui a été choisi pour diriger le putsch n’est pas parmi les hauts gradés de l’Armée. Il semble que cette opération a été très mal acceptée par les bérets rouges qui étaient proches du président déchu. Au-delà de ce problème il y a aussi qu’une partie de la classe politique soutiendrait une partie des militaires pendant que le reste soutient l’autre partie. Donc on a toute la classe politique qui est divisée et les militaires également sont divisés. Cela n’est pas pour faciliter le règlement du problème.
Et le risque qu’il y a c’est qu’une fois ce territoire pacifié, que les militaires se mettent à se tirer dessus, retardant davantage la résolution du problème.

Des observateurs disent qu’en réalité c’est le capitaine Amadou Sanogo auteur du coup d’Etat de mars dernier qui est l’homme fort de Bamako. Est-ce votre avis ?
 
On peut le penser quand on sait que de toutes les autorités institutionnelles, jusqu’à présent, le capitaine Sanogo a été le seul à être épargné. On a vu comment  Dioncounda a été attaqué dans le palais présidentiel. On a vu comment le Premier ministre a été obligé de démissionner. Mais qui est derrière tous ces mouvements, sinon le capitaine Sanogo?
La question que je me pose et que devrait se poser l’ensemble des Africains c’est, quel sort lui réserver ? Parce qu’il ne peut pas continuer à sévir en toute impunité comme ça. Il y a eu certes le coup d’Etat, qui a été largement condamné. La junte s’est excusée, elle a demandé l’intervention de la CEDEAO, mais qu’elle continue derrière à agir de la sorte, je ne pense pas que la communauté malienne et internationale puissent accepter ces agissements et les laisser impunis.

Ne croyez-vous pas que le médiateur, pour avoir conféré au capitaine le statut d’ancien chef de l’Etat a contribué à lui donner de la force ?
 
C’est une des difficultés de la médiation, je pense que c’est une des fautes de la médiation d’avoir donné un calendrier très court au début. Soit elle ne mesurait pas l’ampleur du problème, soit elle s’est fait intimider par l’entourage de Sanogo. Je pense plutôt à cette deuxième hypothèse. Quand le calendrier a été modifié, Sanogo a demandé et obtenu le statut d’ancien président alors qu’il ne l’a jamais été. Je pense qu’une des difficultés de la résolution du problème se situe à ce niveau.
 
Et, aujourd’hui, le président par intérim Dioncounda Traoré l’a officiellement installé dans ces fonctions de président du Comité militaire de suivi et de réforme des forces de défenses et de sécurités nationales !
Je pense que ce sont les institutions qui l’ont positionné ainsi. Plus solide il sera, plus entouré il sera, mieux il pourra porter sa mission. Sa position est extrêmement difficile, il a besoin et du soutien des Maliens et du soutien de la communauté internationale. Je crois qu’il comprend lui-même qu’il ne peut pas et ne doit pas aller au-delà de ce que sa mission lui autorise.

Source: Sudonline

www.kassataya.com

«La responsabilité du président Amadou Toumani Touré (ATT) est pleine et entière car tout laisse à penser qu’il aurait voulu terminer son deuxième mandat sans vague et laisser la patate chaude au futur président élu… Mieux, le président ATT aurait fermé les yeux sur les activités criminelles de toutes sortes dans la partie Nord de son pays.» C’est en substance ce que l’on peut retenir de l’ouvrage collectif «L’occupation du Nord Mali» faisant partie de la série de publication intitulée «Regards sur une crise» qui vise à documenter  les événements qui ont conduit à la l’effondrement de l’Etat malien. L’intellectuel mauritanien, Boubacar Diagana, géographe travaillant actuellement comme cadre de l’administration publique française, l’un des co-auteurs du livre paru le 19 décembre 2012 avec l’historien Ciré Ba,  Doumbi Fakoly et Hamidou Magassa, en visite à Dakar revient sur le «double» jeu de la Mauritanie dans cette crise. Il « soupçonne le régime de Nouakchott de vouloir favoriser la création d’un Etat «Azawad» qui serait gouverné par les Touaregs».
Comment vous est-il venu l’idée d’une participation à un ouvrage collectif sur la crise malienne?
 
Notre contribution est parti d’un double questionnement : d’abord pourquoi l’armée mauritanienne s’autorise-t-elle à poursuivre des «islamistes» jusqu’en territoire malien ? Est-ce qu’elle en a l’autorisation du pouvoir central de Bamako ? Et, dans l’hypothèse où elle a cette autorisation quels sont les conséquences de telles interventions répétées sur le régime de Bamako et généralement sur la sous région ? C’était cela notre interrogation de départ.
 
Est-ce à dire que vous imputez la responsabilité pleine et entière de la crise à l’ancien régime d’Amadou Toumani Touré ?
 
Il y a un peu de tout, mais nous avons préféré pointer du doigt la responsabilité d’Amadou Toumani Touré (ATT) pour deux raisons : d’abord parce qu’il était le président de ce pays souverain et ensuite parce qu’à la fin du conflit libyen alors qu’un pays frontalier à la Libye, le Niger, refusait le retour des touaregs, il a négocié avec lui l’ouverture d’un couloir leur permettant de pouvoir rentrer au Mali et sans condition, alors qu’ils étaient déjà Libyens, enrôlés dans l’armée libyenne.  C’est le premier niveau de responsabilité.
Le deuxième niveau de responsabilité c’est que c’est quand-même étonnant qu’ATT, un général cinq étoile, comme disent les Maliens, à la fin de son second mandat, confronté à une difficulté aussi grave, ne se sente pas en capacité de dire la vérité aux Maliens et surtout à l’Armée.
 
Quelle vérité ?
 
La vérité, on la découvrira après. Quand il y aura le coup d’Etat, les gens découvriront qu’il n’y avait rien, aucune munition, aucune arme pour les militaires. En réalité la centaine de milliards de francs Cfa qui était votée chaque année pour le budget de l’Armée était tout bonnement et simplement détourné  par l’entourage du président. Et c’est cela qui faisait qu’il ne pouvait pas parler. Cette responsabilité là est fondamentale, il faut la souligner.
 
Pourtant d’aucuns dénoncent la position de l’Algérie qui semble avoir trouvé dans le déclenchement de ce conflit une bouffée d’oxygène avec le déplacement de «ses islamistes» vers le Mali. Quelle est votre lecture ?
 
Cette autre responsabilité aussi importante, mais que nous ne mettons pas expressément en avant c’est celle de l’Algérie. Pendant des années elle s’est battue toute seule contre les islamistes, en a payé le prix, donc elle s’est dit qu’il n’est pas question aujourd’hui, quand ceux-ci s’expriment sur un autre territoire, qu’elle s’en mêle. C’est une faute parce qu’on a vu que dès le déclenchement de la guerre avec l’intervention française, la première conséquence c’est fait sentir en territoire algérien. Donc il y a la responsabilité de ce pays-là.
Et, accessoirement en tant que Mauritaniens, nous nous sommes interrogés sur ce que faisait le régime de Mauritanie. Nous nous demandions si, en pourchassant les islamistes jusqu’en territoire malien, Nouakchott n’ouvrait pas une brèche vers l’opposition MNLA  qui ne demandait qu’à en découdre avec le pouvoir de Bamako.
 
Depuis le déclenchement de la guerre avec l’implication des troupes françaises, il n’y a pratiquement pas eu de résistance pour la libération du nord Mali. Les islamistes se sont soit cachés ou dispersés. Quelle conséquence pour la sécurité au Sahel ?
 
Pour l’instant, on ne peut que les imaginer, mais à mon avis elles peuvent être de deux ordres. Le premier a commencé à se manifester: Les islamistes ont probablement trouvé de la confiance auprès des populations locales dont certaines s’identifiaient à eux. Et ils ont commencé à s’exprimer par cette espèce de guérilla qui est apparente. Cela va compliquer la tâche de l’armée française qui va s’en aller dans quelques semaines. Et beaucoup plus encore la tâche des forces africaines qui sont en train de s’installer. Elles n’ont pas l’expertise, la force de puissance des Français et n’ont certainement pas, pour beaucoup d’entre elles, la ténacité   de l’armée française.
La deuxième conséquence, c’est au niveau des pays voisins. Si un pays comme le Niger peut et souhaite fermer ses frontières, nous ne sommes pas sûrs que ce soit le cas de la Mauritanie. Dès les premiers coups de feu en effet on a su, on a vu des rebelles du MNLA courir vers la Mauritanie soi-disant pour déposer leurs armes et véhicules. Est-ce que c’est un dépôt de munitions ou une pause, le temps de voir la situation se calmer et de revenir? Des risques sont possibles sur des pays voisins comme le Sénégal, etc. Le Sénégal a l’expérience de pouvoir protéger ses frontières, mais est-ce que devant une telle rébellion, il est en mesure de le faire réellement. Il y a de quoi s’interroger.
 
Que sont devenus ces combattants du MNLA et les armes déposées en Mauritanie?

Théoriquement, les armes et les véhicules sont sous contrôle de l’armée mauritanienne. Mais quand on connaît la proximité qu’il y a entre les Touaregs du MNLA et les militaires et les populations, les centres d’affaires politiques et  les militaires mauritaniens, il y a à se demander si ce n’est pas une simple mise au placard de ces armes, le temps qu’ils puissent venir les chercher.
 
Pourtant, après  une chasse aux islamistes  ces dernière années, les troupes mauritaniennes ne participent pas aux combats au Mali. Comment vous appréciez cette position ?
 
Ça, c’est ce qu’il y a de plus incompréhensible. Pendant longtemps, depuis 2010, la Mauritanie s’est positionnée comme un champion de la lutte contre le terrorisme islamiste en territoire malien. Et à plusieurs reprises elle a mené toute seule, parfois même avec l’appui de l’Armée malienne ses opérations. Voilà que la communauté internationale se mobilise contre ces islamistes et la Mauritanie se met en retrait. On ne comprend pas et on se met à poser des questions : la Mauritanie visait-elle réellement à poursuivre des islamistes ? Disputait-elle à ces islamistes le commerce très lucratif du trafic de drogue ? Il se dit que l’homme qui est au pourvoir en Mauritanie a des hommes en sous-main à Bissau et à Nouakchott qui ont pignon sur ce trafic là. C’est la première raison. La deuxième raison, c’est qu’on soupçonne le régime de Nouakchott de vouloir favoriser la création d’un Etat «Azawad» qui serait gouverné par les touaregs.
 
Existe-t-il une traçabilité sur ce supposé trafic de drogue?
 
Personnellement, nous n’en avons pas, mais la chose est suffisamment grave pour qu’un député français en exercice, journaliste de profession, puisse le dire. Je pense que si les choses n’étaient pas précises dans son esprit, il n’allait pas le dire d’autant plus qu’il peut courir le risque d’être traduit en justice et de compliquer les relations entre la Mauritanie et la France. Je pense qu’on est au-delà des soupçons.
 
Le Sénégal a envoyé de troupes par au Mali,  comment appréciez-vous ce choix ?

C’est un conflit qui se passe sur ses frontières, je pense qu’il a été d’un courage extraordinaire pour pouvoir intervenir.
 
On assiste à des arrestations de supposés «jihadistes» au Sénégal. N’y a-t-il rien à craindre ?
 
C’est une des conséquences possibles de l’intervention au Mali, c’est ce qu’on craignait. Si vous vous souvenez, en septembre, l’armée malienne avait déjà arrêté et tué une douzaine de Mauritaniens prédicateurs islamistes présentant à peu près les mêmes formes avec barbes et turbans, etc., et qui n’ont pas voulu obtempérer au contrôle malien. Il y a que depuis la naissance de ce conflit chacun est sur le qui-vive et le regard est porté sur ce type de populations. Cela présente un risque et ce n’est pas un risque sans rien. Ce qu’il faudrait c’est d’abord un sang-froid des militaires et aussi un respect des consignes de la part de ses populations là. Quand on leur demande de s’arrêter, il faut s’arrêter tout simplement pour accepter un contrôle et éviter le pire. Mais aussi les escalades, parce qu’entre la Mauritanie et le Sénégal, depuis 1989 ce n’est pas tout à fait la sérénité.
 
Quelles sont les motivations réelles de la participation de la France dans la guerre au Mali?
 
Je pense qu’il faudrait qu’on accepte une fois pour toute que la France est intervenue à la demande du gouvernement du Mali. Je pense que quand le président Dioncounda Traoré a demandé l’aide d’urgence de la France, il savait le risque éminent qu’il y avait de voir Bamako occupée. Il y a évidemment dans l’intervention française, d’aider le Mali à protéger son territoire et ensuite, je pense que c’est légitime, protéger ses intérêts propres, en l’occurrence les ressortissants français qui se trouvent au Mali et au-delà, peut-être au Sénégal, en Mauritanie, et ailleurs. Je pense que c’est légitime.
 
Comment appréciez-vous le fait que les forces africaines déployées sur le terrain tardent à être effectives ?
 
Cela a été une grosse interrogation de notre part. On n’a jamais compris les tergiversations de la CEDEAO depuis le début, mais on savait que la CEDEAO qui disait avoir des troupes (en réserve) ne possédait pas les moyens de les envoyer sur le terrain. A titre d’exemple, la France au bout de trois semaines a fait le bilan financier de son intervention qui s’élevait à 70 millions d’euros. Convertis en francs Cfa, cela fait plusieurs milliards. C’est un budget dont ne disposait pas de manière spontanée la CEDEAO, donc elle ne pouvait pas recruter.
Mais on va au-delà de la CEDEAO, vous voyez que c’est le Tchad qui mobilise le plus grand contingent. Et ensuite, je pense que pour certains pays de la CEDEAO, ou certains pays voisins, dont la Mauritanie, les autorités manquent  fondamentalement de confiance dans leur armée. Cela explique en grande partie les hésitations qu’on a constatées.
 
Pourtant chaque année nos Etats votent des budgets colossaux pour les Forces armées. Comment peut-on faire la part belle à la sécurité dans le budget nationale et ne pas avoir confiance en son Armée ?
 
Dans le cas du Mali, les budgets sont votés, mais il semblerait qu’ils soient détournés. C’est ce que semblent dire deux grands partis au Mali: le SADI et le FORA. Pour le cas de la Mauritanie, l’expérience a montré que la première fois qu’elle s’est engagée en guerre c’était au Sahara Occidental et cela s’est terminé par un coup d’Etat. Et le général actuel, qui n’était pas général à l’époque, a le souvenir de ce coup d’Etat qui avait renversé Moktar Ould Dadda. Il s’est dit donc en envoyant ses troupes au Mali, pour combien de temps, quel résultat ? On ne sait pas. Il y a des risques qu’à la fin de la guerre, qu’elles se retournent contre son pouvoir. Donc cela fait qu’il hésite un tout petit peu.
 
Pendant que le Nord de leur pays n’est pas totalement récupéré, deux factions de l’Armée malienne se font la guerre à Bamako. Comment analysez-vous cette situation ?
 
C’est une des complexités du problème malien. Beaucoup se sont interrogé pourquoi les bérets verts ont fait le coup d’Etat ? Et l’homme qui a été choisi pour diriger le putsch n’est pas parmi les hauts gradés de l’Armée. Il semble que cette opération a été très mal acceptée par les bérets rouges qui étaient proches du président déchu. Au-delà de ce problème il y a aussi qu’une partie de la classe politique soutiendrait une partie des militaires pendant que le reste soutient l’autre partie. Donc on a toute la classe politique qui est divisée et les militaires également sont divisés. Cela n’est pas pour faciliter le règlement du problème.
Et le risque qu’il y a c’est qu’une fois ce territoire pacifié, que les militaires se mettent à se tirer dessus, retardant davantage la résolution du problème.
 
Des observateurs disent qu’en réalité c’est le capitaine Amadou Sanogo auteur du coup d’Etat de mars dernier qui est l’homme fort de Bamako. Est-ce votre avis ?
 
On peut le penser quand on sait que de toutes les autorités institutionnelles, jusqu’à présent, le capitaine Sanogo a été le seul à être épargné. On a vu comment  Dioncounda a été attaqué dans le palais présidentiel. On a vu comment le Premier ministre a été obligé de démissionner. Mais qui est derrière tous ces mouvements, sinon le capitaine Sanogo?
La question que je me pose et que devrait se poser l’ensemble des Africains c’est, quel sort lui réserver ? Parce qu’il ne peut pas continuer à sévir en toute impunité comme ça. Il y a eu certes le coup d’Etat, qui a été largement condamné. La junte s’est excusée, elle a demandé l’intervention de la CEDEAO, mais qu’elle continue derrière à agir de la sorte, je ne pense pas que la communauté malienne et internationale puissent accepter ces agissements et les laisser impunis.
 
Ne croyez-vous pas que le médiateur, pour avoir conféré au capitaine le statut d’ancien chef de l’Etat a contribué à lui donner de la force ?
 
C’est une des difficultés de la médiation, je pense que c’est une des fautes de la médiation d’avoir donné un calendrier très court au début. Soit elle ne mesurait pas l’ampleur du problème, soit elle s’est fait intimider par l’entourage de Sanogo. Je pense plutôt à cette deuxième hypothèse. Quand le calendrier a été modifié, Sanogo a demandé et obtenu le statut d’ancien président alors qu’il ne l’a jamais été. Je pense qu’une des difficultés de la résolution du problème se situe à ce niveau.
 
Et, aujourd’hui, le président par intérim Dioncounda Traoré l’a officiellement installé dans ces fonctions de président du Comité militaire de suivi et de réforme des forces de défenses et de sécurités nationales !
Je pense que ce sont les institutions qui l’ont positionné ainsi. Plus solide il sera, plus entouré il sera, mieux il pourra porter sa mission. Sa position est extrêmement difficile, il a besoin et du soutien des Maliens et du soutien de la communauté internationale. Je crois qu’il comprend lui-même qu’il ne peut pas et ne doit pas aller au-delà de ce que sa mission lui autorise.

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