Sensationnel cadeau de nouvel an que ce «feuilleton fiscal» qui a le plus accroché l’opinion publique en Mauritanie.
C’est ainsi qu’u- ne bonne partie de la classe politique et certains medias se sont dit scandalisés par une volonté du pouvoir d’as- sécher les avoirs de Mohamed Ould Bouamatou dont on dit qu’il est en froid depuis deux ans au moins avec Mohamed Ould Abdel Aziz, le Président de la République. Retour sur une affaire d’impôts qui défraye la chronique depuis le début de l’année 2013 et qu’entoure beaucoup de passion.
ACTE I : le feuilleton «fiscal»
C’est sans doute le plus «mar- quant» de la série de cet hiver. Une série qui tourne autour du ciblage de l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou à travers les attaques contre son groupe et ceux qui le représentent. Les redressements décrétés par la Direction générale des impôts (DGI) à l’encontre de toutes les sociétés où apparait le nom BSA, ont eu pour consé- quence première la fermeture de BSA-Ciment pour non paiement de la facture fiscale.
Arguant que la caution bancaire ne suffisait pas aux yeux de la loi, la DGI a convaincu le Tribunal de la justesse de sa cause. D’ailleurs, le premier responsable de la DGI est lui- même monté au créneau pour s’adresser directement à l’opinion publique afin d’expliquer que BSA «n’est pas visé» mais qu’il s’agit de «procédures nor- males».
ACTE II : la saison d’Airways
C’est le deuxième acte d’une procédure qui vise à déstabiliser BSA qui a été engagé par la poli- ce chargée du crime écono- mique contre la deuxième per- sonnalité du Groupe BSA, Mohamed Ould Debagh. Cela a commencé par une demande du liquidateur de Mauritania Airways qui avait exigé la mise à disposition de ce qui reste du patrimoine de la société pour procéder éventuellement à sa vente pour payer les arriérés de la société tuniso-mauritanienne. Refus de l’ancien président du conseil d’administration, Ould Debagh. Celui-ci juge qu’il serait aventureux de remettre ce patri- moine à Mohamed Ould Horma qui avait été accusé par l’IGE d’avoir mal «géré» la liquidation d’Air Mauritanie. Première inter- pellation par la police qui était destinée à lui faire faire une déposition à propos de ce patri- moine. Ould Debagh, qui n’a jamais refusé de remettre ce patrimoine à qui de droit, s’est expliqué et s’est dit prêt à le remettre mais à la justice.Ce qui fut fait après l’inventaire.
Puis vint la plainte qui aurait été déposée par d’anciens employés de Mauritania-Airways. Il se trouve, et c’est de notoriété parce que cela avait occasionné une campagne médiatique, que tous les droits avaient été payés au lendemain de la liquidation. Alors pourquoi cette plainte et d’où vient-elle ? Pour l’essentiel de gens aujourd’hui au service de Mauritanie Airlines International laquelle lorgne depuis longtemps du côté du patrimoine de la compagnie tunisienne, notamment de toute l’infrastructure encore opération- nelle dans les hangars. Conséquences de cette plainte : nouvelle interpellation et retrait du passeport de Mohamed Ould Debagh. Curieux, puisque dans cette affaire l’homme n’était pas le gestionnaire concerné par la faillite de l’entreprise.
ACTE III : l’épisode «bancaire»
C’est celui qui a commencé le 17 janvier par le refus de la Banque Centrale de Mauritanie d’exécu- ter un bordereau de virement au profit de la Fondation Bouamatou qui tourne autour de l’hôpital ophtalmologique de Nouakchott. Depuis toujours, Mohamed Ould Bouamatou a dédié le revenu de ses dividendes au niveau de la MATTEL à la Fondation.
Les sommes accumulées sur deux ou trois exercices étaient directement versées dans un compte de la Fondation, l’argent étant placé pour le rachat des bons de trésor. Une manière d’assurer la pérennité de la Fondation caritative. Le 17 janvier dernier un ordre de virement de MATTEL parvient à la GBM : elle doit verser 450 millions correspondant aux divi- dendes de l’un de ses actionnaires principaux dans le compte de la Fondation.
La banque s’exécute et envoie un Bordereau de virement qui est bloqué par la direction concernée au niveau de la BCM. Sans explication aucune. Réaction de la GBM : plus de bordereau avant d’avoir la réponse. Rappelons que la BCM n’a pas le droit de procéder de la sorte. Mais ce n’est pas fini. La GBM décide de ne plus aller à la compense. Rien n’est vraiment prévu pour sanctionner ce qui s’apparente dans la loi à une tentative de suicide : l’absence de la compense étant un mal qu’on se fait soi-même, la loi n’a pas prévu de le réprimer, juste 100 UM d’amende pour chaque dix minutes de retard. Sans attendre, la BCM décide d’agir elle-même sur les comptes de GBM. Ce qui, selon les spécialistes, ouvre la voie à l’escroquerie financière dans la mesure où il permet à des clients malintentionnés de se faire payer des montants qui n’existent pas. Par ailleurs, les comptes d’une banque ne peuvent souffrir d’être manipulés par un tiers.
La BCM semble si décidée à faire plier la GBM que la rumeur de la nomination d’un administrateur a circulé. En fait, le Gouverneur de la BCM a le droit d’actionner le dispositif répressif que la loi prévoit. Il peut considérer qu’u- ne banque refuse de répondre à ses injonctions auquel cas il peut soit lui coller une amende allant de 5 à 20 millions, soit lui nommer un administrateur, soit lui retirer son agrément. Pour l’instant la BCM donne l’impression de vouloir faire plier la GBM qui, du reste, appartient aussi à des investisseurs étrangers.
Tous les organismes publics ont retiré leurs avoirs de la banque. Dans le traitement fait de l’information, ce que l’on a occulté, sciemment ou non, c’est que depuis 2006, la BCM avait interdit aux établissements publics (ou assimilés) d’avoir des comptes dans les banques primaires… Les relations tumultueuses que l’administration semble vouloir imposer à BSA posent plus d’un problème, surtout celui de l’ins- trumentalisation des Institutions dans des affaires qui prennent vite l’allure de règlements de comptes personnels. La BCM pouvait et, certainement, devrait s’interdire de jouer à ce jeu qui fait fi de la fragilité d’un système financier basé sur la confiance et le respect de la règlementation.
Une occupation pour les politiques
Des partis de la COD ont dans des déclarations dénoncées «une entreprise de liquidation orchestrée par le pouvoir. Pour le Rassemblement des Forces Démocratiques, parti dirigé par le chef de file de l’opposition mauritanienne Ahmed Ould Daddah, «après s’être approprié les ressources de l’Etat, ses richesses minières et halieutiques ainsi que les marchés publics et l’aide étrangère, Ould Abdel Aziz s’est arrogé le contrôle de tous les secteurs de l’économie nationale et s’est érigé en principal concurrent des hommes d’affaires.»
Le RFD considère que dans cette affaire, les décisions de Justice exhortant à des enquêtes sérieuses n’ont pas été respectées et que le pouvoir les a ignorées délibérément pour fausser la concurrence loyale. Pour sa part l’Union des Forces du Progrès, dirigée par Mohamed Ould Maouloud, oppo- sant le plus constant à Mohamed Ould Abdel Aziz depuis que celui-ci a pris le pouvoir par coup d’Etat en août 2008, titre dans un communiqué publié le 24 janvier 2013, : «Non à l’instrumentalisation du fisc contre les hommes d’affaires».
Selon l’UFP «le rôle des hommes d’affaire nationaux est essentiel dans le développement économique du pays. Ce qui impose à l’Etat le devoir de les encourager et de leur offrir les facilités requises.»
L’UFP a rappelé que depuis le coup d’Etat de 2008, «les nouveaux tenants du pouvoir se sont attelés à créer une nouvelle classe d’hommes d’affaire qui leur est totalement acquise et se sont même transformés en hommes d’affaires avant de soumettre les autres opérateurs à toutes sortes de tracasseries, depuis les arrestations jusqu’à la saisie de leurs biens sous des accusations fallacieuses et de fraude fiscale.»
L’UFP trouve ainsi que même les hommes d’affaire peuvent commettre certaines infractions par rapports à leurs engagements fiscaux ou en étant complices avec certains pouvoirs, «les sommes extorquées sont exagérées (…) surtout pour Mohamed Ould Bouamatou dont les activités dans le pays ont connu une léthargie évidente au cours des derniers temps.» Et puis, poursuit l’UFP, «l’entêtement du Directeur des impôts à fermer son usine de ciment en dépit d’un engagement du tribunal en faveur de son maintien dénote une volonté manifeste de liquider financièrement cet homme d’affaires.»
Une autre coalition politique est intervenue par rapport à cette affaire. La Mouvance pour le Changement Démocratique qui dit condamner vigoureusement «une campagne d’anéantissement» estime, elle, que «Mohamed O. Bouamatou est un homme d’affaires exceptionnel, un bâtisseur qui a construit à partir de rien un grand groupe qui emploie de nombreux salariés et qui contribue activement et utilement au développement économique du pays», sans compter qu’il «vient en aide à de nombreux nécessiteux de tous horizons par l’intermédiaire entre autres de sa fondation ophtalmologique. »
La presse s’en mêle
En plus des formations politiques, ce sont les medias qui se sont saisi de l’affaire. Sur le site atlanticmedia, on peut lire : «ces mesures mettent à nu l’ingratitude témoignée à l’homme (Ould Bouamadtou, ndlr) qui a financé son argent et consenti son temps politique au service de la stabilité et de la sécurité de la Mauritanie. Tout le monde se souvient de ses positions patriotiques après le coup d’Etat de 2008 et son soutien de la campagne présidentielle d’Ould Abdel Aziz du double des mon- tants requis aujourd’hui par les autorités fiscales sur ses sociétés.»
Quant au journal Le Calame, son directeur de publication, Ahmed Ould Cheikh titre dans un éditorial qu’«il vaut mieux s’exposer à l’ingratitude que de manquer aux misérables». Ahmed Ould Cheikh ironise en ces termes : «En soutenant le futur président des pauvres, Mohamed Ould Bouamatou (MOB) ne pensait certainement pas avoir affaire au moins reconnaissant d’entre eux.» Il note que Mohamed Ould Abdel Aziz (MOAA) atteint des sommets d’amnésie envers les bienfaits de son cousin qui n’aura eu de cesse de faire accepter le poupinet putschiste auprès des Guéant, Bourgi, Wade et consorts, avant d’aligner quelques deux milliards pour sa rectification électorale, assistant à ses meetings et appelant à voter pour lui…»
De son côté, le site mauriweb.info de notre confrère Jedna Ould Deida s’en prend au Directeur Général des Impôts en titrant dans un article : Le zèle du «Blé Goudé national» dépasse les frontières nationales. D’après Mauritanie Web le directeur des impôts est surnommé dans le milieu des affaires, «Blé goudé national», par allusion au rôle joué dans ses dépassements arbitraires par Charles Blé Goudé, aujourd’hui derrière les verrous, en Côte d’Ivoire. «Le Dg des impôts, déjà tristement célèbre pour ses pratiques de l’imposition sur mesure des sociétés à Nouakchott se serait montré arrogant vis-à-vis des investisseurs étrangers qu’il tentait d’acculer par l’usage d’un trafic d’influence inouï.» Assène le site d’Ould Deida, co-directeur du Quotidien De Nouakchott.
La passion de la presse nationa- le pour cette affaire est également lisible dans plusieurs autres colonnes de journaux. Dans un article de l’Authentique, on pense qu’il y a derrière cette affaire une volonté de sanctionner un homme d’affaires qui a pris ses distances vis-à-vis d’un pouvoir, «faire payer cette prise de distance vis-à-vis d’un régime qu’il a aidé à accéder au pouvoir» par un «stratagème machiavélique» devenu «une vieille pratique despotique de ceux qui pensent faire plus mal en frappant dans le portefeuille».Une affaire qui divise donc. Qui
se poursuit aussi.
KD
Source : La Tribune via Noor Info le 05/02/2013{jcomments on}
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com