DAKAR, 23 janvier 2013 (IRIN) – Les conditions pluviométriques ont été relativement bonnes dans presque toutes les régions de la Mauritanie en 2012.
Les agriculteurs caressent donc l’espoir d’une bonne récolte. Ils ne peuvent cependant produire qu’une quantité maximale équivalante à cinq mois de besoins en céréales, même lors d’une bonne année, et la production de la plupart des petits agriculteurs est beaucoup plus modeste. Par ailleurs, nombre d’entre eux commencent l’année 2013 avec les dettes qu’ils ont accumulées après plusieurs décennies de crises cycliques.
On estime qu’un tiers de la population de la Mauritanie 700 000 personnes – a souffert de la faim en 2012 (certaines études avancent un chiffre encore plus élevé et estiment qu’ils étaient près d’un million). En outre, 12 pour cent des enfants examinés souffraient de malnutrition sévère. Si la situation était bien pire l’an dernier que lors des années précédentes, la crise n’a cependant surpris personne. « Nous sommes confrontés à des crises chaque année en Mauritanie », a dit Sidi Mohamed, directeur adjoint du Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA).
« Même s’ils obtiennent une récolte convenable, les oiseaux et les insectes en mangeront une partie. Et les réserves ne permettront jamais de nourrir tout le monde jusqu’à la prochaine récolte », a dit Sandrine Flament, directrice d’Action Contre la Faim (ACF-Espagne) dans la capitale, Nouakchott. « Dans la plupart des cas, on ne peut même pas parler de réserves, car les habitants n’en ont pas vraiment », a-t-elle ajouté. Les Mauritaniens importent 70 pour cent des céréales qu’ils consomment chaque année.
En 2013, toutes les familles vulnérables ressentiront les effets de la crise de 2012, a-t-elle dit.
Le problème de l’endettement
« Le gros problème ici, c’est l’endettement », a dit Oumar Kane, responsable de programmes pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La FAO aide les agriculteurs à reconstituer leurs réserves en distribuant des semences et des outils aux familles vulnérables.
Ishmut Harabass, un habitant du village de Thirouth, situé à 12 kilomètres de Kaédi, dans la région méridionale du Gorgol, a dit à IRIN que les villageois avaient, l’an dernier, perdu 70 pour cent de leurs ânes, un tiers de leurs moutons et chèvres et un quart de leurs vaches. « On ne pouvait pas acheter de quoi les nourrir. Nous avons vendu certaines bêtes et acheté de quoi nourrir les autres, mais ce n’était pas suffisant », a-t-il dit à IRIN.
« Nous sommes prêts à aller n’importe où pour emprunter de l’argent ou obtenir ce dont nous avons besoin [semences, fourrage, vivres] à crédit », a-t-il dit à IRIN. Les prêts obtenus par les habitants sont assortis de taux d’intérêt allant jusqu’à 200 pour cent.
Lorsque les journalistes d’IRIN ont discuté avec M. Harabass, en décembre, les habitants n’avaient pas encore récolté. Ils attendaient que les eaux de la rivière se retirent afin de pouvoir semer dans les zones inondables. Malgré cela, la situation est meilleure cette année que l’an passé. « L’an dernier, nous n’avons rien semé du tout. »
Les villageois ressentent encore les effets de la crise de l’an dernier. M. Harabass a montré ses mains calleuses à IRIN. « Nous travaillons dur, mais nos estomacs sont toujours vides. »
Ils ont vendu les bêtes qui leur restaient l’an dernier pour pouvoir acheter de quoi manger, et ont survécu grâce à l’aide fournie par les organisations humanitaires.
Lorsque les journalistes d’IRIN lui ont demandé ce dont les villageois avaient le plus besoin selon lui, M. Harabass a égrené une longue liste de priorités : « Nous avons besoin d’une pompe, de vivres, de semences, d’engrais, de vaccins pour les animaux… »
Épuisement des réserves de céréales
Depuis plusieurs années, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies aide les villageois du sud de la Mauritanie à mettre sur pied des banques céréalières en travaillant en collaboration avec 428 comités de gestion locaux. Toutefois, selon Marième Sakho, directrice du bureau de Kaédi, le système connaît souvent des ratés parce que les habitants sont trop endettés et qu’ils n’ont rien à entreposer dans les banques de céréales.
Ishmut Harabass, qui siège au comité de gestion de la banque céréalière de Thirouth, a dit que les réserves du village étaient épuisées.
Selon M. Kane, de la FAO, l’agence nationale de crédit a tenté, il y a plusieurs années, de mettre un terme à ce qu’elle considérait comme une culture de l’endettement. Elle a mis sur pied l’Union nationale des coopératives agricoles de crédit et d’épargne de Mauritanie (UNCACEM) pour essayer de contrôler la situation.
Par la suite, de nombreuses coopératives d’agriculteurs n’ont pas pu obtenir de prêt parce que leur dossier de crédit était peu reluisant. Elles ont dû réduire la taille de leurs champs et vendre leurs animaux, a dit à IRIN M. Kane, qui travaillait à l’époque pour la Société nationale pour le développement rural (SONADER).
Au lieu de contrôler la dette, cette mesure n’a fait que la privatiser, a dit un critique. Les agriculteurs se sont en effet endettés auprès de négociants privés et en payant à crédit les commerçants locaux.
Par ailleurs, les délais d’amortissement imposés par l’UNCACEM sont courts. Les agriculteurs qui empruntent auprès de l’institution publique doivent donc rembourser leur dette au moment de la récolte, alors que les prix sont encore bas.
« Nous [la FAO] leur conseillons de ne pas emprunter – et de vendre une chèvre à la place. Mais personne ne veut vendre ses bêtes – [les habitants] préfèrent s’endetter. Les animaux sont leur police d’assurance », a-t-il dit.
L’UNCACEM applique un taux d’intérêt de 10 à 12 pour cent sur les prêts et 67 pour cent de ses clients parviennent à les rembourser, a dit Bocan Mbody, qui dirige le bureau de l’UNCACEM à Rosso, près de la frontière sénégalaise. Par le passé, moins de la moitié des emprunteurs réussissaient à rembourser leur prêt.
Le gouvernement mauritanien examine actuellement la possibilité d’instituer un fonds d’assurance pour les petits agriculteurs. Toutefois, même s’il décide d’aller de l’avant, le fonds ne sera pas créé avant plusieurs années.
Dans ce contexte, les agriculteurs n’ont que très peu d’options. « Tout ce qu’on peut faire pour faire face à cette situation difficile, c’est produire plus », a dit M. Mbody. Selon lui, les CRD devraient investir de manière plus stratégique dans le développement du secteur agricole.
Où va l’argent ?
M. Harabass est l’un des rares hommes qui vivent encore à Thirouth. La plupart des hommes du village sont en effet partis chercher du travail en ville. « Certains ne donnent plus jamais de nouvelles, tandis que d’autres envoient 5 000 ouguiyas (16 dollars) tous les deux mois environ », a dit Khadia Maissia, une mère de cinq enfants qui est également membre de la coopérative maraîchère du village.
ACF-Espagne a donné aux familles vulnérables du village 48 dollars par mois pendant cinq mois, puis 30 dollars par mois pendant les trois mois suivants. « Tout l’argent a été utilisé pour acheter de la nourriture », a dit Mme Maissia à IRIN.
Tout près, à Seyeen Gababé, un village situé à 18 kilomètres de Kaédi, Demba Malal Bah, l’un des anciens du village, a dit à IRIN que les habitants n’avaient aucune réserve de nourriture. « Nous n’avons rien du tout. Nous vivons au jour le jour. » Les habitants ont survécu à la crise en se rendant au Mali ou au Sénégal pour y trouver du travail et en empruntant de l’argent.
Les boutiques de la région font crédit aux habitants pendant plusieurs mois et leur permettent ensuite de rembourser leur dette en plusieurs versements. « Certaines personnes sont si endettées qu’elles ne peuvent plus acheter nulle part », a dit M. Bah. Nombreux sont ceux qui meurent endettés, a ajouté son fils. Dans la plupart des cas, leurs descendants héritent de leurs dettes, mais certains commerçants locaux se montrent plus indulgents. « Il y a une culture de solidarité ici en Mauritanie – c’est ce qui nous garde en vie », a dit M. Bah.
Plusieurs familles ont perdu leurs animaux en 2012, et la plupart n’ont rien cultivé. En décembre, les villageois de Seyeen Gababé attendaient eux aussi que les eaux de la rivière se retirent pour semer.
Lacunes de l’aide
Les habitants du village de Seyeen Gababé n’ont pas reçu l’aide (clôtures pour protéger les jardins, transferts en espèces, semences et outils) que les résidents de nombreux autres villages ont obtenue. Les légumes qu’ils ont plantés sont donc mangés par les animaux et les insectes. « Nous avons essayé de couper des arbres pour bâtir des clôtures, mais les gardes forestiers nous en ont empêchés. »
M. Bah désigne un troupeau de bovins composé d’une douzaine de bêtes, les seuls animaux qui restent dans le village. « Les pâturages sont maintenant abondants, mais les animaux sont malades, ils se meurent », a-t-il dit. « Même si la récolte est satisfaisante cette année, nous ne nous en sortirons pas sans aide. »
Les résidents doivent surveiller leur potager 24 heures sur 24 pour s’assurer que les animaux ne mangent pas les quelques légumes qu’ils ont réussi à faire pousser.
D’après M. Kane, de la FAO, ce sont les comités régionaux de développement (CRD) qui décident quels villages bénéficieront de l’aide de la FAO et l’organisation ne peut rien faire pour s’assurer que certains villages sont inclus dans la liste. La FAO gère des projets dans les régions du Tagant, d’Assaba, du Hodh El Gharbi et du Guidimakha pour aider les populations locales à reconstituer leurs réserves, a dit M. Kane.
M. Bah s’est rendu à Kaédi pour demander au CRD d’inclure son village dans la liste des bénéficiaires de l’aide, mais il ne s’est rien passé pour l’instant, a-t-il dit. Le délégué du CRD à Kaédi n’a pas voulu répondre aux questions d’IRIN.
D’après Diagana Dieydi, un consultant en élevage qui a évalué les mesures adoptées par le gouvernement pour aider les éleveurs de bétail à faire face à la crise en 2012, la réponse était 10 fois plus importante que celle des années passées, mais elle est restée plutôt centralisée. Il était dès lors difficile pour les éleveurs de certaines régions rurales d’obtenir leur inscription sur la liste. « Les listes ne sont pas toujours bien faites », a-t-il dit à IRIN.
Selon les auteurs de plusieurs analyses, et notamment l’auteur du rapport intitulé Échapper au cycle de la faim. Les chemins de la résilience au Sahel, il est possible d’accroître la résilience des habitants de ces villages en améliorant l’accès aux soins de santé ; en développant de meilleurs systèmes de surveillance, d’alerte précoce et de réponse ; en élaborant de véritables plans de contingence en cas de crise ; en augmentant les transferts en espèces ; en développant les services d’approvisionnement en eau et les soins de santé afin d’améliorer l’état nutritionnel des enfants ; en encourageant les familles à faire des réserves de vivres ; et en mettant sur pied des programmes de soins vétérinaires.
Les travailleurs humanitaires estiment toutefois que ces mesures ne sont pertinentes qu’à long terme et qu’elles exigent l’implication des acteurs du développement. Les bailleurs de fonds d’urgence ont en effet des cycles de financement allant de six mois à un an.
Peut-on parler de résilience ?
ACF-Espagne a mis sur pied un programme quinquennal pour accroître la résilience de plusieurs villages des régions du Gorgol et du Guidimakha. Or selon Mme Flament, d’ACF, il est utopique de penser que l’on peut développer la résilience dans une région aussi affectée par les chocs à court terme. « Tout ce que je peux dire, c’est que nous avons contribué à éviter l’exode des hommes qui se produit chaque année dans ces villages. »
Le projet d’ACF a eu un autre impact positif : en 2012, les niveaux de malnutrition étaient semblables à ceux des années précédentes alors qu’ils auraient dû être beaucoup plus élevés vu l’envergure de la crise. Comme l’indique Peter Gubbels, auteur du rapport Échapper au cycle de la faim : « On peut parler de résilience lorsque le taux de malnutrition demeure inchangé même lorsque survient une sécheresse. »
Des villageois des régions du Gorgol et du Guidimakha ont dit à IRIN que les réseaux sociaux de nombreux villages avaient été brisés par le départ des hommes. Le village de Wompou, dans le Guidimakha, se vide généralement de ses hommes, mais les choses sont différentes cette année, a dit Yacine Mint Dew, soixante ans. Les habitants ont reçu 140 dollars tous les trimestres et obtenu de l’aide en matière d’alimentation, d’agriculture et de culture maraîchère.
Les programmes menés dans la région « ont permis de renforcer la résilience aux chocs externes de certains ménages, mais ces derniers demeurent malgré tout fragiles », a dit Aart van Den Heide, un consultant de l’Union européenne (UE) en Mauritanie. « Il suffit qu’il y ait une année de sécheresse pour que les hommes abandonnent encore une fois leur village pour survivre », a-t-il dit.
(Note d’IRIN : Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies)
Source : IRIN le 23/01/2013{jcomments on}
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