Aissata Lam, présidente de la JCCM (Jeune Chambre de Commerce Mauritanienne).
Depuis trois semaines, la jeune chambre de commerce mauritanienne a lancé le démarrage de ses activités lors d’un grand diner de gala à l’hôtel Tfeila de Nouakchott. Sa présidente Aïssata Lam, livre dans cet entretien sa vision optimiste de l’avenir socio-économique du pays, dont la JCCM peut être un canal de promotion.
Vous avez présenté la JCCM devant un parterre de personnalités, le 21 décembre dernier. Comment présenteriez-vous cette structure? Quelles missions vous assignez-vous?
La jeune chambre de commerce mauritanienne vise à créer une plateforme pour les jeunes professionnels mauritaniens, que ce soit dans le cadre d’activités de formations, ou de rencontres avec leurs pairs issus de leurs secteurs d’activités, mais aussi d’autres branches de l’activité économique, qu’ils soient entrepreneurs ou jeunes cadres.
Ces échanges peuvent paraître triviaux, mais cela a un réel bénéfice par la synergie des expériences partagées.
Ça peut être aussi une vitrine à l’international : ce n’est pas nouveau de dire que la Mauritanie manque de rayonnement à l’international, et on n’a pas la prétention d’être LE canal par excellence de ce rayonnement, mais on peut y contribuer, et cela permettra aux jeunes mauritaniens d’être visibles sur la scène internationale, de par, notamment, notre partenariat avec la Jeune Chambre Internationale (JCI) basée aux Etats-Unis avec des ramifications un peu partout dans le monde, dont la sous-région.
Mais ils n’avaient pas encore de représentation en Mauritanie, et à travers nous, pour eux, c’est une façon d’étendre leurs activités dans un pays qu’ils ne connaissaient pas bien forcément, mais aussi pour les jeunes professionnels mauritaniens, de bénéficier de ce réseau à travers le monde.
Le concept de Jeune Chambre Internationale est né aux États-Unis, avec deux concepts primordiaux qui le sous-tendaient : le bénévolat de ses membres et la notion de l’intérêt général, dans le but justement d’initier des changements positifs dans la société. Vous attendez-vous à un gros boulot en ce sens en Mauritanie?
(Sourires) Pour être honnête, pas forcément : quand on en était encore au stade de la confection du business plan, de la recherche et de l’analyse du contexte, j’ai été agréablement surprise par le nombre d’organisations non gouvernementales, d’associations, par milliers ! Mais à la plupart il leur manque ce rayonnement qui pourrait leur faire atteindre leurs objectifs.
Encore une fois, selon moi l’union fait la force ; et ce serait l’occasion, et bien d’en coopter le maximum pour être un, et créer une lame de fond socio-économique pour engager des changements de fonds dans le pays.
J’ai rencontré des gens extraordinaires avec un sens du patriotisme hors-norme et qui voient le monde avec des yeux optimistes, tout en étant réalistes par rapport au contexte mauritanien assez particulier. Ils sont aptes à donner de leur temps, parfois de leur argent, sans avoir un retour immédiat sur investissement. Donc le concept de bénévolat n’est pas du tout absent du pays, loin de là.
Combien de membres comptez-vous?
Nous avoisinons la centaine. Mais l’idée est de développer de plus en plus le réseau de connaissances, que ce soit avec les chefs d’entreprises, les cadres, les structures publiques, ou les ONG. Nous avons un objectif de croissance annuelle de 5%.
Jusqu’à quel âge est-on jeune dans la JCCM?
(Rires) Justement, l’âge prédéfini par la JCCI est une fourchette entre 18 et 40 ans ; mais notre intention n’est pas de frustrer les 40 ans et plus. D’ailleurs plusieurs jeunes sont venus nous voir pour nous dire : «on se croyait jeunes, mais depuis que vous êtes là on se sent comme de jeunes-vieux !».
Mais bon, vous me direz qu’on peut avoir 50 ans et se sentir tout aussi jeune ! On peut être ouvert aux seniors pour leurs conseils et le partage de leurs expériences.
Les difficultés d’accès au crédit sont souvent évoquées par les jeunes désireux de lancer leur propre business. En quoi une structure comme la JCCM peut faciliter l’accès à ce crédit?
Quand on a créé cette initiative, l’idée première était de mobiliser le secteur privé. On a fait le tour de toutes les banques, et rencontré leurs directeurs généraux respectifs. Ils n’étaient pas forcément réticents, mais ils tenaient surtout à percevoir les perspectives concrètes du projet.
Du coup on s’est vite rendu compte que les jeunes avaient effectivement du mal à accéder au crédit, à avoir en fait la crédibilité nécessaire pour y arriver. Et après l’inauguration du 21 décembre, ils ont clairement vu la plate-forme que c’était, et comment même eux pouvaient en bénéficier.
Quand j’ai rencontré le DG d’Attijari Bank, Hassan Ouastani, je lui ai vite expliqué que le pays recelait de jeunes talents qui ne demandent qu’à être écoutés et qu’on leur fasse confiance. Pour démarrer leurs activités.
En ce sens, à travers des concours de business plan, des activités liées aux «jeux du commerce», qu’on va lancer dans le courant de cette année, pour les jeunes étudiants qui viennent de graduer ou qui ont peut-être une idée d’ouvrir une entreprise, mais qui n’ont pas les fonds propres pour cela.
Une compétition peut permettre à ces structures bancaires de voir le bassin de jeunes porteurs de projets intéressants et viables. Les banques se positionneraient donc comme des stimulants de talents et au bout, choisir deux ou trois jeunes qui auraient accès aux crédits.
Au fur et à mesure, les premiers sélectionnés pourront être des mentors pour les jeunes grappes suivantes de talents. C’est un cercle vertueux qu’on veut initier pour l’accès des jeunes au crédit, en Mauritanie.
L’énergie déployée par l’équipe, et la volonté affichée dans nos rencontres, ont fait que ces structures sont revenues vers nous en faisant des déclarations lors de l’inauguration. Mohamed Ben Othman, DG de la Banque Islamique de Mauritanie, a déclaré qu’il était prêt à recruter un certain nombre de jeunes annuellement, que la JCCM lui présenterait. Ce qui est déjà une belle première promesse.
Quel regard avez-vous justement sur le tissu économique formé par les jeunes cadres ou entrepreneurs mauritaniens que vous avez rencontrée ?
Si je mets la casquette du globe-trotter que je suis, par rapport à des normes qu’on dirait internationales dans le cadre de projets de jeunes, c’est sûr qu’on ne peut pas comparer des pommes et des bananes.
Mais prenant en considération le contexte mauritanien, c’est un des pays les plus entreprenant que j’ai pu voir : les jeunes mauritaniens en veulent, et ça se voit. Mais ils n’ont pas forcément les moyens à disposition. Si tu es jeune en Mauritanie, et que tu n’as pas la chance d’être issu d’une famille riche ou aisée depuis des générations, tu ne peux pas t’asseoir sur tes lauriers. Il y a certes un manque de créativité de la part de ces jeunes qui se cherchent : les gens n’osent pas. D’ailleurs c’est notre slogan : «Osez vous propulser !»
On veut démontrer que ce n’est pas mauvais de faire différent. Surtout dans l’entreprenariat : c’est le BA.BA : quand tu veux créer, tu dois proposer autre chose ou apporter du neuf par rapport à ce que fait le concurrent ! Ici on est trop encore figé dans un mimétisme entrepreneurial : on fait ce qui marche déjà selon la taille du marché et les fonds disponibles. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais les jeunes ont aussi éventuellement peur de la manière dont le marché va réagir, étant entendu qu’on est tout de même dans une société très conservatrice.
Traditionnellement, une chambre de commerce peut être amenée à négocier avec les pouvoirs publics sur des sujets divers et variés (formation, emploi, innovation, infrastructure…). Comptez-vous vous immiscer dans ces domaines par rapport aux perspectives de l’entreprenariat des jeunes?
Tout à fait, même si notre approche à la base n’était pas d’impliquer tout de suite les pouvoirs publics, mais privés avant tout. On leur a tout de même fait part de nos intentions, que ce soit au ministère du commerce, celui des affaires économiques et du développement, de l’emploi et de la formation professionnelle, ou encore des affaires étrangères, et d’autres.
On ne veut pas les intégrer à part entière dans nos activités, mais nous avons la volonté d’être un des réseaux par excellence à l’étranger représentant la Mauritanie. Donc ce serait logique qu’eux-mêmes cherchent à s’impliquer pour montrer leur intérêt dans la jeunesse mauritanienne par rapport à la formation, l’emploi, deux des gros points faibles de la Mauritanie.
Etes-vous exclusivement concentrés sur les activités des jeunes entrepreneurs ?
Justement non. Loin de là. Je le répète sans cesse : il y a une structure existante déjà, le centre des jeunes dirigeants (CJD) exclusivement orientée vers les jeunes dirigeants. On peut éventuellement être complémentaires.
On a tendance à oublier les jeunes professionnels et nos activités les toucheront beaucoup. Globalement nous avons trois cibles : les jeunes professionnels, les étudiants, ce sont eux les futurs cadres de demain, et enfin les jeunes entrepreneurs, sans nécessairement faire la compétition au CJD.
Comment intégrez-vous l’explosion du secteur minier mauritanien dans votre réflexion ?
On ne peut nier cette explosion : c’est par exemple grâce à elle que la Mauritanie aujourd’hui est connue par les canadiens, qui est un pays opérant beaucoup dans ce secteur.
Il y a eu certaines retombées et de fortes créations d’emplois, ce qu’il faut noter. Mais on ne peut pas s’en satisfaire : les compagnies les plus impliquées dans ce secteur, sont étrangères. Et elles ne vont pas rester là de façon éternelle.
C’est pour cela entre autres que lors du gala d’inauguration, qu’on a proposé à ces compagnies de les aider à «mauritaniser» les postes, pour qu’en bout de ligne il y ait un transfert de connaissances, de savoir-faire et de technologie. Il ne faut pas qu’on parle de boom minier pendant cinq ou dix ans, et qu’en 2017 on réalise que «Ah oui ! c’est vrai, en Mauritanie en 2012 Ndeyssane, ils ont connu un boom minier, mais bon tout a été pris et il n’y a plus personne !».
Il faut qu’il y ait un système de développement durable de ce secteur qui doit être pérenne. Mais bon, cela dit, les mines n’ont pas une part particulière dans notre réflexion, tout en reconnaissant que les investisseurs étrangers sont essentiellement intéressés par les mines mauritaniennes. D’autant que les autorités lui assurent une visibilité particulière, avec entre autres des rencontres comme le salon des mines récent.
Effort de communication qui d’ailleurs en passant, devrait être fait dans les autres secteurs, comme l’élevage ou l’agriculture.
Un dernier mot ?
J’aimerais répéter ici cette citation de Mokhtar Ould Daddah que j’aime beaucoup : «La Mauritanie de demain est ce qu’en fera la jeunesse d’aujourd’hui». C’est très vrai. Le développement de ce pays ne passera que par l’union de sa jeunesse, toutes communautés confondues.
Toute action ayant un impact, aussi minime soit-il, nous les jeunes devons oser des actions constructives pour une évolution de la société, de l’économie mauritaniennes. Quand on a lancé ce projet, on ne s’attendait pas à autant d’espoirs, d’attentes, très élevés. On n’a pas de choix que de combler ces attentes. Ce n’est pas une contrainte pour notre équipe, au contraire : cela nous encourage à faire plus. C’est stressant, mais vital.
Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane
Source : Noor Info le 15/01/2013{jcomments on}
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