Investir dans l’éducation pour déconstruire les préjugés

(Crédit photo : El Watan)

Voilée ou non, la femme musulmane actuelle est au cœur de tous les débats sociaux et politiques. Elle essaye tant bien que mal de sortir des clichés et des préjugés.

El Watan Week-end démêle les polémiques autour d’elle. Entretien avec Nabil Ennasri, Doctorant en islamologie et militant.

– Aujourd’hui, le débat du voile demeure d’actualité.Pourquoi fait-il autant débat ?

Je pense que s’il fait autant débat c’est qu’il interroge sur les présupposés fondamentaux des sociétés occidentales et par ricochet celles du Maghreb. La place et le statut de la femme dans ces pays sont un enjeu primordial, et le voile est une façon de s’interroger sur la place des genres dans des sociétés qui ont connu des bouleversements socioéconomiques de grande ampleur. Dans les pays d’Afrique du Nord, la résurgence du voile est aussi une manière de renouer avec une pratique endogène de religiosité qui a été «parasitée» par la parenthèse coloniale et par la prétention de la civilisation occidentale à universalité qui s’est traduite (jusqu’à aujourd’hui) par une forme d’impérialisme culturel. C’est donc l’ensemble de ces éléments qui se télescopent aujourd’hui. La mondialisation a un effet multiplicateur de ces crispations dans la mesure où l’autre est chez «nous» et qu’il maintient une forme de nuisance dans les représentations du monde et les schémas de pensée.

– Qu’avez-vous pensé de l’argumentaire «Le voile, un symbole de 3000 ans de machisme religieux» de Mohamed Kacimi ?

Je pense qu’il se trompe d’analyse et qu’il adopte une approche réductrice de cette pratique religieuse en l’assimilant un peu abusivement aux excès qui peuvent parfois s’exprimer chez certains musulmans. Son approche historique des textes religieux est pour le moins superficielle. Dans son article, il aurait pu faire un petit détour par la sunna également. Il y aurait vu des épouses du prophète qui travaillaient (Khadija), qui étaient femmes d’affaires et qui disposaient également du statut de professeure (Aïcha). Si on se transpose dans les conditions d’existence de la femme dans l’Arabie du VIIe siècle, ce statut était littéralement révolutionnaire et très avant-gardiste ! Ce que je perçois aussi dans sa réflexion, c’est une forme d’occidentalisation sans la nommer où le progrès humain et l’émancipation féminine ne se feraient que dans un sens. Dommage.

– Finalement, c’est la femme qui le porte, mais c’est l’homme qui en débat le plus. La femme voilée doit-elle s’investir plus dans ce dialogue ? Par quels moyens devra-t-elle le faire ?

Il faudrait aussi commencer par écouter la femme. Si c’est l’homme qui en parle le plus, c’est peut-être aussi parce que c’est vers lui qu’on tend les micros. Je connais de nombreuses femmes musulmanes diplômées qui pratiquent leur religion scrupuleusement tout en ayant une vie équilibrée, mais dont le parcours exemplaire n’est ni valorisé ni médiatisé. Le seul souci c’est qu’en France, et peut-être aussi dans les pays du Maghreb, elles sont confrontées à une forme de racisme à leur égard qui fait de la laïcité, dans sa version la plus dogmatique, un instrument de discrimination. Et c’est aussi cette violence quotidienne qui les empêche de trouver pleinement leur place dans la société.

– Certains intellectuels d’origine maghrébine ou arabe ont une vision radicale du voile.

Effectivement. Ceux qui se drapent sous les couleurs reluisantes des droits de l’homme et de la démocratie sont paradoxalement parfois les plus grands défenseurs de pratiques liberticides. On n’accepte la liberté des autres que quand elle va dans notre sens. C’est regrettable et cela ne va pas dans le sens du pluralisme qui est pourtant l’une des conditions sine qua none d’une authentique démocratie.

– Voilée ou non , la femme demeure une cible pour les extrémismes en tout genre.

C’est un peu réducteur. Toutes les femmes voilées ne sont pas attaquées et toutes les «non-voilées» ne sont pas systématiquement agressées. Il y a, certes, un réel problème de genre dans les sociétés musulmanes et il faudrait investir davantage dans l’éducation pour déconstruire les préjugés et apprendre dès les bancs de l’école les principes de base du respect, du civisme et de la dignité. Il faudrait aussi que les pays musulmans renouent véritablement avec le corps de principes éthiques islamiques qui forment un inestimable trésor et qui est à leur disposition. La femme doit être respectée en ce qu’elle est. Malheureusement, c’est davantage le sous-développement, la violence sous toutes ses formes (étatique, institutionnelle, policière, etc.) et l’ignorance qui sont les causes réelles d’un statut de la femme qui demeure perfectible dans bien des endroits du Monde arabe. Et je souhaiterais finir en disant que même si la femme est confrontée à des difficultés, il faudrait aussi revenir sur le rôle et la place de l’homme dans les sociétés musulmanes, car le problème de la femme n’est en définitive qu’une conséquence du fait que les hommes ne sont pas à la hauteur de leur statut et de leur rôle.

(Nabil Ennasri : Nabil Ennasri, diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis). Son mémoire «Le champ politico-religieux du Qatar : une vision estudiantine» obtenu en vue de la validation du Master II «Politique comparée» à été rédigé sous la direction du professeur François Burgat. Il est également membre du Collectif des Musulmans de France).

Faten Hayed

Source  :  El Watan le 21/12/2012{jcomments on}

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