Camp de réfugiés de M’Berra : La vie après les djihadistes

(Des enfants du camp attendent devant une zone de distribution de seaux. Crédit photo : MLK / Noor Info)

A chaque rébellion touarègue, le camp de M’Berra, à une quinzaine de kilomètres de Bassiknou, à l’est de la Mauritanie, se remplit de dizaines de milliers de réfugiés.

Comme en 1992, et ainsi qu’en 1998, M’Berra est repeuplé depuis quelques mois, après la scission du Mali suite à la rébellion du MNLA, et l’avènement des islamistes dans le Nord-malien. Reportage.

Quinze kilomètres de piste sépare Bassiknou du camp de M’Berra. Et c’est après ces quinze kilomètres de cahotements, et à la suite d’une dune surélevée, qu’apparaît comme par enchantement, brusquement, le camp de M’Berra.

Près de 68.000 réfugiés vivent dans cette désormais quasi-agglomération de 300 hectares (il en reste 150 autres encore non utilisés), divisée en quatre zones, elles-mêmes réparties en moyenne en huit blocs. M’Berra représente en terme de population la quatrième ville mauritanienne.

Mille humanitaires, de la dizaine d’ONG et du système des nations-unies, se répartissent les tâches organisationnelles de cette structure.

HCR versus réfugiés

«Le premier recensement faisait état de 109.000 individus, mais l’affinement en cours, avec ce recensement de niveau 2 nous rapprochera des 68.000 personnes» explique Hassan Ndiouk, assistant technique de l’ALPD, à l’antenne de Bassiknou.

«Cela permettra à terme d’attribuer définitivement le statut de réfugiés à ces personnes, qui aujourd’hui bénéficient d’un statut hybride dans le camp qui ne leur permet pas l’accès au travail par exemple, comme le prévoient les conventions nationales et internationales» continue le technicien.

C’est l’ALPD qui est chargé de superviser l’enregistrement des arrivées, des décès, naissances, mariages, divorces, des fonctionnaires maliens en fuite, les cas d’enfants-soldats.

Dans cette ambiance relativement délétère, du fait de la réorganisation du camp, qui ne manque pas, suite à ce rencensement en cours, la colère des réfugiés est palpable :

«Nous ne pouvons pas tolérer des rangs de mille personnes, qui perçoivent cette mauvais organisation comme une humiliation. On ne peut pas gérer l’urgence de touarègues, ou d’ouest-africains, comme on gèrerait celle de cambodgiens. L’aspect culturel, et le respect de la dignité doivent être pris en compte» souligne pour sa part Bah Dih Ould Amar, président de la commission des sages de M’Berra, branche de la coordination du camp.

Et des solutions ont été proposées, passant notamment par une chaîne traditionnelle et organisée, où les chefs coutumiers et les sages prendraient le rôle de courroies de transmission et de distribution des rations ou dans l’organisation du recensement.

«C’est une méthode déjà éprouvée avec succès, lors des précédents afflux de 1992 et 1997. Donc pourquoi changer et créer une défiance inutile et ce climat tendu au camp ?» s’interroge Mohamed Ag Malha, président de la commission technique et ancien instituteur à Kidal.

«Un humanitaire a osé dire devant moi, en riant, qu’en Guinée il n’y avait pas eu toute cette pagaille. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’un touareg n’est ni un guinéen, ni un haïtien. Nous ne sommes pas des animaux qui obéissent à des règles de traitement, universelles et formatées !» tonne Ag Malha.

De cette révolte est partie la «semaine camp mort» où la coordination après avoir sensibilisé tout le camp de M’Berra, a décidé de n’accepter aucun service du HCR ou du PAM, en dehors des services de santé, liés à Médecins sans frontières (MSF).

 

Les AGR au centre de la survie du camp

«Nous sommes littéralement sans ration depuis deux mois ; certains d’entre nous sont partis offrir leurs talents de bergers, éparpillés dans la Mauritanie pour trouver à manger» affirme Amsaleh Ould Mohamed, président de la coordination de gestion du camp.

Du coup constate Amaa Walett Aboubacrine, présidente de la commission des femmes, «les 2/3 de ce que consomment les réfugiés du camp, ils le doivent à leurs seules forces productives et pas aux Nations-Unies».

D’autant, selon la coordination du camp, que les habitudes alimentaires de la majorité des réfugiés, nomades essentiellement, ne correspondent pas aux produits distribués par le PAM. «Ils revendent le blé pour acheter d’autres produits» constate lapidairement l’un des membres de la coordination.

Et alors qu’une ONG internationale leur demande l’aide nécessaire aux femmes notamment, pour leur permettre d’être relativement indépendants, la présidente de la commission des femmes répond : «Pas de l’argent nécessairement, mais surtout des infrastructures adéquates pour pouvoir nous réunir, discuter de nos projets, et les mettre en place. Cela déjà serait beaucoup. Nous n’attendons pas forcément d’autrui qu’il nourrisse nos enfants, même si son aide est la bienvenue» lâche-t-elle lors d’une réunion de la coordination, avec l’ONG en question.

Les activités génératrices de revenus (AGR) occupent une place importante dans la survie d’une part importante de familles. Certains aidés par les ONG, comme le jeune Souley, 25 ans à peine, et anciennement «mécano-tailleur à Gao» (comprenez réparateur de machines à coudre-ndlr). Il a bénéficié d’une des vingt machines à coudre distribuées par le fond luthérien mondial (FLM), pour la réparation des tentes au départ, et qui servent à bien d’autres choses aujourd’hui.

D’autres subviennent à leurs besoins par eux-mêmes. Comme Moulay, le boucher songhaï du bloc 2 de la zone 3, et qui fait partie de la dizaine de bouchers qui approvisionnent le camp.

«Il m’arrive le plus souvent de prendre des vaches et des chameaux à crédit, que je rembourse après leur revente au détail» lance-t-il en servant une cliente. Parfois, il paie de sa poche la différence du crédit, qu’une période de mauvaise revente n’a pu combler.

A dix mètres à peine de son étal de viandes, Nana Mint Bilhar, tient elle sa table de légumes et de condiments. A 22 ans, cette mauritanienne a trouvé un refuge dans le camp pour survivre et aider sa famille qui vit près de Bassiknou, et durement touchée par les successives crises alimentaires et la sécheresse, de ces dernières années.

«J’ai 3000 ouguiyas de recettes en moyenne, et je dépense les 2/3 à renouveler mes denrées» informe-t-elle souriante.

 

Le péril jeune

«Ce sont les forces de la jeunesse qui oeuvrent à 80% des tâches liées à l’aménagement du camp» assure Abdel Aziz, président de la commission des jeunes.

Sid’Ahmed du bloc 1 du camp est originaire de Tombouctou. Marié, ce jeune homme de 24 ans, a quitté la ville millénaire, une semaine après l’entrée des islamistes d’Ansar Eddine. Pour lui un des gros problèmes auxquels le camp est confronté, tient au désoeuvrement d’une jeunesse de plus en plus frustrée. « Ca fait sept mois que les jeunes ne font rien ; pourtant ils ne demandent qu’à être surchargé de boulot. Je suis artisan cuivrier à la ville. Et d’autres qui ont leurs compétences ne savent pas quoi en faire » dit-il.

A côté de lui, revenant des alentours du camp, un groupe d’enfants d’une dizaine d’années, surchargés de bois morts, qu’ils espèrent revendre pour les cuisines.
Etonnamment motivés et débrouillards, ils voudraient bien aller à l’école, mais…
«Aller à l’école !? Montrez-moi une école correcte ici !» rétorque Boubacar Moctar, onze ans à peine, et originaire de Mopti.

Effectivement, si de grandes tentes blanches disséminées dans le camp, à l’effigie de l’UNICEF qui s’occupe du volet éducation, sont là, les instituteurs sont en clash ouvert avec l’institution onusienne. Ces premiers demandent une revalorisation salariale, pour les faire passer des 25.000 UM actuels, aux 70.000 qu’ils réclament.

Ce à quoi l’UNICEF rétorque «impossible. Car ils n’ont pas encore le statut définitivement et administrativement reconnu de réfugiés, lequel, seul, pourra leur permettre de travailler sur le sol mauritanien, et bénéficier des mêmes droits que les autochtones» assure un cadre de la structure onusienne.

Il y a un vrai problème d’occupation et de stimulation des jeunes, martèle un vieux de la commission des sages. «Il faut les responsabiliser et les occuper, sinon ça donne les comportements de voyous qu’on voit ces semaines passées, où on les voit voler. Ils risquent de développer sur la durée un mauvais état d’esprit, et migrer vers les villes ; et nous perdrons ces forces vives» assure-t-il.

Le HCR a bien perçu ce danger et s’applique, à travers des ateliers de gestion de conflits, de former des jeunes pour leur apprendre à prendre une part de responsabilité dans la gestion du camp.

S’il reconnaît les efforts de l’institut onusien, Brahim Ould Mohamed estime que les jeunes sont les grands oubliés des ONG qui viennent à M’Berra. «On traîne, on n’est pas sollicité, et nous sommes les plus nombreux dans le camp» se plaint-il.

« Et l’oisiveté est mère de tous les vices» opine gravement à côté, Daouda Tourad, un ami, tous les deux membres de la commission des jeunes du camp.

 

La malnutrition infantile importante

Il y a quatre postes de santé à M’Berra. Trois lancés et dirigés par MSF, et un poste central de l’administration publique.

«Globalement les messages liés à l’hygiène ont été bien intégrés par les populations. Ça diminue grandement les risques de dysenterie» affirme le docteur Alain, responsable de terrain pour MSF, et basé à Bassiknou.

Mais les soucis des acteurs sanitaires sont plus proches des enfants. «Il y avait 1100 cas d’enfants malnutris de moins de cinq ans à la fin du mois de septembre». Un chiffre tout de même très important au vu de la population infantile du camp» informe le docteur Toto, responsable d’un des centres de santé à M’Berra.

 

La perspective de l’intervention militaire au Nord-Mali

«Il n’y a pas de problème sécuritaire dans le camp depuis qu’il a été monté. Nous nous apprêtons à faire face à un afflux qui risque d’être massif, dès que la première cartouche sera tirée au nord du Mali, par rapport à une intervention militaire internationale» explique Sidi Ould Mohamed, capitaine de la gendarmerie à M’Berra.

Les éventualités d’une infiltration d’éléments djihadistes sont balayées d’un revers de la main par son lieutenant Elias Sidi : «Des femmes de djihadistes habitent dans le camp, mais elles ne sont pas inquiétées, car elles ne sont pas inquiétantes. Ce ne sont pas des terroristes n’est-ce pas ?»

Et puis, continuent les gendarmes, depuis la réalité de l’insécurité dans le Sahel, un bataillon entier de l’armée est basé à Bassiknou. «Le site, et la Moughataa sont totalement sécurisés» assurent de concert les deux gradés.

Les tremblements sous-régionaux qui pourraient survenir d’une intervention militaire qui se précise de plus en plus, inquiète quand même les réfugiés eux-mêmes.

«Je rentre de Léré, dans le Nord-Mali, et je suis passé à Fassala. Partout où je suis passé, le seul sujet de conversation qui domine est l’intervention prochaine des forces internationales. Cette persistance et les craintes qu’elle engendre, augure certainement de nouveaux mouvement de réfugiés, plus en masse, cette fois», suppute le président de la commission technique Mohamed Ag Malha.

Et les populations se préparent : tout le bétail de Léré et des environs migre vers le nord-ouest, à la lisière de la frontière avec la Mauritanie, pour entrer éventuellement dans le Hodh, en cas de début de frappes.

Parallèlement, « d’autres ont commencé à déstocker leurs bêtes pour acheter du matériel et des voitures et se préparent à bouger en cas de nécessité ».

150 hectares sont toujours à la disposition du HCR et des ONG pour faire face à un éventuel et brusque afflux de réfugiés.

MLK , M’Berra

Source  :  Noor Info le 21/12/2012{jcomments on}
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