Yahya Ould Ahmed El Waqf à Biladi

(Crédit photo : anonyme)

Yahya Ould Ahmed EL Waqf ( Y.O.A.W), ancien et dernier Premier ministre sous Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, déposés, tous les deux, par le général Aziz, le 06 août 2008, président de l’ancêtre de l’UPR, ADIL. Formation politique qu’il continue de diriger.

Et qui a rejoint la majorité présidentielle à la fin de l’année 2011. Une alliance qui ne fait pas entendre la voix de cette formation. Dont la voix demeure inaudible ou presque. Floue, tellement, floue qu’on peine à situer une formation dont le président ce réclame toujours de la majorité. Ould Ahmed El Waqf revient sur son parcours d’opposant au régime en place à son intégration à la majorité présidentielle dans l’interview que voici :

Biladi : Où se situe Adil sur l’échiquier politique national? Il n’est plus à l’opposition, pas totalement à la majorité. Où est-il votre parti, Mr le président ?

Yahya O. Waghf : Le parti de ADIL est un parti de la majorité. Il a rejoint la majorité sur la base d’un accord politique qui prévoit un dialogue entre le pouvoir et l’opposition et qui doit conduire à des réformes politiques consensuelles et à l’organisation d’élections libres et transparentes auxquelles participeront tous les partis politiques. Nous avions pensé, au moment où nous étions à la COD, que l’opposition ne faisait pas assez pour favoriser ce dialogue. Cependant, nous nous sommes rendu compte, une fois à la majorité, que le pouvoir, de son côté, ne fournit aucun effort pour mettre en œuvre notre accord politique.

C’est cette situation qui fait que certains ont du mal à comprendre notre discours politique. Pendant que nous étions à la COD, notre discours était nuancé, voire critique, vis-à-vis de l’opposition. Quand nous avons rejoint la majorité, notre discours est devenu critique vis-à-vis du pouvoir. Il n’est pas courant dans notre pays de voir des partis de la majorité qui ont leurs propres positions et qui peuvent prendre des distances vis-à-vis du discours officiel. Mais pour notre part, nous avons choisi d’exprimer librement nos opinions. Seul l’intérêt du pays compte pour nous. Nous partageons certaines idées de la majorité. Nous partageons aussi certaines idées de l’opposition.

Biladi : Depuis quelque temps, on vous voit sur beaucoup de fronts : avec des personnalités, des syndicats, des ONGS, des partis politiques de la majorité ou de l’opposition dialoguiste. Qu’est-ce qui vous agite et où voulez-vous en venir ?

YOW : Pour bien faire comprendre les démarches et contacts que nous avons entrepris depuis le début de l’année 2012, je suis obligé de revenir un peu en arrière pour avoir une vue d’ensemble. Nous avons rejoint la majorité au mois de décembre 2010. Dans un premier temps, nous nous sommes attelés à expliquer à nos nouveaux partenaires notre conception de la situation politique et ce que nous attendons d’eux. Nous pensons que les élections de juillet 2009 n’ont pas réglé le conflit politique. C’est dans cet esprit que l’accord de Dakar avait prévu la continuation du dialogue pour trouver des solutions aux problèmes structurels. Depuis ces élections, le pays a connu un recul au niveau du fonctionnement des institutions et une concentration des pouvoirs sans précédent.

Pour nous, la responsabilité première revient à la majorité. C’est au Président de la République de prendre l’initiative et d’entreprendre toutes les démarches possibles pour que ce dialogue ait lieu. Nous avons continué ce débat au sein de la majorité et nous avons constaté que certains partis partageaient notre démarche pour l’apaisement de la situation politique et l’introduction de véritables réformes, de nature à nous sortir de cette situation. Ils partageaient avec nous le danger que présente le pouvoir personnel pour la démocratie et le risque que constitue pour notre pays, le bras de fer entre les deux camps politiques.

Nous avons accueilli avec enthousiasme l’appel au dialogue lancé par le Président et les premiers contacts pour la définition du format de ce dialogue. Nous pensions que deux des conditions préalables posées par la COD étaient recevables. Il s’agissait de l’ouverture des médias publics et l’autorisation des manifestations pacifiques. Le Gouvernement devait nécessairement accéder à ces deux doléances qui constituent par ailleurs des droits garantis par la Constitution. Pour le reste des conditions, on n’est pas loin des soupçons de mauvaise volonté. Aucun des protagonistes n’était, de notre point de vue, irréprochable. Rien n’empêchait l’opposition d’aller vers ce dialogue et d’inscrire ces questions en priorité au niveau de son ordre du jour. Son attitude peut être perçue comme une intransigeance peu constructive et de nature à crédibiliser les thèses de ceux qui la qualifient d’extrémiste. Le printemps arabe est certainement passé par là. Le pouvoir qui est le premier concerné par l’apaisement, était resté peu conciliant et bien plus intéressé par la division de l’opposition que par le dialogue. Il n’échappait à personne, surtout au pouvoir, que l’opposition était divisée sur les conditions minimales de participation au dialogue. Les concessions du pouvoir ont juste ciblé la ligne de partage des deux composantes de l’opposition. L’ouverture était beaucoup plus tactique que stratégique. Le printemps arabe est certainement passé par là.

Biladi : Pourquoi avez-vous participé à ce dialogue qui n’est pas consensuel ?

YOW : Malgré le refus de la COD de participer au dialogue, nous avons pensé qu’il pourra contribuer à apaiser la situation. Nous espérions qu’il pouvait parvenir à des réformes de nature à mettre tout le monde en confiance, même ceux qui l’ont boycotté. Nous avons accompagné ce dialogue et considérons que ses résultats constituent une avancée notable au niveau du système électoral. Il était néanmoins regrettable que certaines questions primordiales, comme les équilibres entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et au sein même du pouvoir exécutif, n’ont pas connu d’avancées significatives.

Au lieu de contribuer à l’apaisement recherché, le dialogue a creusé le fossé entre les différents protagonistes, particulièrement entre les deux groupes de l’opposition. Les parties au dialogue considèrent que la voie est désormais ouverte pour organiser les élections avec ou sans la COD. Cette dernière franchit un nouveau pas vers davantage de radicalisation en appelant au départ du Président de la République. Elle s’est mobilisée pour organiser des manifestations qui présentaient un véritable risque de déstabilisation du pays. C’est désormais la confrontation entre deux camps qui ne donnent aucun signe d’apaisement.

Ce bras de fer se déroulait dans un contexte difficile aussi bien au niveau national qu’au niveau régional. Le pays faisait face à une des plus graves sécheresses qu’il a connu ces dernières années et à une crise économique et sociale caractérisée par des niveaux de chômage insupportables et une flambée des prix sans précédent. Le calendrier électoral ne pouvait pas être respecté, en raison du retard de l’enrôlement au niveau de l’état civil. Le mandat du parlement avait été prorogé dans des conditions à la limite de la légalité et non consensuelles. La crise du Mali venait d’éclater, avec tous les risques de déstabilisation qu’elle présente pour notre pays. Le Sénégal faisait lui aussi face à une crise politique qui menaçait sa stabilité et donc celle de toute la sous région. Au Maghreb, le printemps arabe a déjà donné lieu à la révolution tunisienne et les autres pays connaissaient des mouvements populaires, parfois violents.

Le contexte que je viens de vous décrire nous inquiétait. Nous sommes conscients de la fragilité de notre pays et de la faiblesse de l’Etat. Un mouvement populaire violent constitue une véritable menace pour le pays. C’est pourquoi au niveau de ADIL, nous avons pris l’initiative, en janvier 2012, d’inviter tous les acteurs politiques à débattre de l’avenir du pays et des défis auxquels il faisait face. Nous avions réussi à rassembler toutes les parties qui ont discuté dans une atmosphère cordiale. Nous avions conclu ce débat par un appel à toutes les parties pour le respect du mandat constitutionnel du Président de la République et pour l’organisation d’un nouveau dialogue incluant la COD. Parallèlement, nous avons entamé des discussions avec certains partis de la majorité pour une position commune par rapport à ce contexte politique. Avec deux partis de cette majorité, le Renouveau Démocratique (RD) et le Mouvement Pour la Refondation (MPR), nous avons constitué une alliance politique au sein de la majorité, la Convergence Patriotique, lancé un appel pour un dialogue renforcé et confirmé notre attachement au respect de la constitution.

Bialdi : Et vos contacts avec la société civile ?

YOW : Dans un contexte de crise politique grave, la société civile peut jouer un rôle important, étant donné sa neutralité par rapport aux acteurs politiques. C’est dans ce cadre que je me suis concerté avec d’éminentes personnalités nationales, dont certains dirigeants de ADIL, pour constituer une initiative visant le règlement de la crise politique. Cette initiative a été coordonnée par son Excellence, Monsieur Cheikh Sidahmed Ould Baba Mine, connu pour son indépendance et sa modération. Il a dirigé, à la satisfaction de tous, d’importantes institutions nationales, civiles et militaires, dont la CENI, en 2006-2007. L’Initiative, « Appel pour la Patrie », a pris contact avec l’ensemble des protagonistes et a proposé une sortie de crise basée sur un dialogue inclusif et la mise en place d’un gouvernement consensuel pour superviser des élections législatives et municipales avec la participation de toutes les parties.

Au même moment, le Président de l’Assemblée Nationale, Messaoud Ould Boulkheir, annonçait une nouvelle initiative qui va dans le même sens. ADIL, la Convergence Patriotique et l’Initiative « Appel pour la Patrie » ont salué le courage du Président Messaoud et ont décidé d’apporter leur appui à son initiative. C’est pour élargir la base de soutien à cette initiative que nous avons pris contact avec un large pan de la société civile (le collectif des ONGs, l’Association des Maires de Mauritanie, le collectif des syndicats, les partis politiques, etc.) qui a confirmé son appui à l’initiative du Président Messaoud. Cette initiative bénéficie aujourd’hui d’un large soutien au niveau du pays.

Notre démarche se caractérise par sa cohérence et sa persévérance. Nous avons opté pour le dialogue et la recherche du consensus. Nous pensons que toute démarche exclusive risque de constituer une menace de déstabilisation et ne peut en aucun cas régler le problème politique. Tout ce que nous avons fait depuis 2009 va dans ce sens. Nous avions quitté l’opposition sur la base d’un accord qui engage le pouvoir à initier certaines réformes politiques consensuelles à partir d’un dialogue inclusif. Nous continuons, dans le cadre de la majorité, d’œuvrer pour ce consensus et pour le règlement de la crise politique. Nous avons suscité ou appuyé toutes les initiatives qui vont dans le sens de l’apaisement et qui contribuent à rapprocher les protagonistes, au risque chaque fois de contrarier notre camp.

Nous continuons à penser que la démarche de la COD et celle du pouvoir nous conduisent tout droit vers l’inconnu. Seule aujourd’hui, l’initiative de Messaoud peut nous délivrer de ce cercle infernal et éviter des tempêtes pouvant constituer des risques graves pour le pays. Le principal objectif de cette initiative est la cogestion du processus électoral et la garantie de neutralité de l’administration. Nous ne devons pas oublier les conditions dans lesquelles les élections présidentielles de 2009 ont été organisées. Nous avons tous observé l’accueil présidentiel du 24 novembre 2012 et pouvons noter qu’une telle administration ne peut pas organiser des élections libres et transparentes.

Bialdi: Qu’en est-il de l’état de vos relations avec la majorité, surtout son chef, le président Aziz ?

YOW : Nous entretenons de bonnes relations avec la plupart des partis de la majorité, en particulier, le parti majoritaire, l’UPR. Les rapports du Président de la République avec les partis de sa majorité ne sont pas des rapports de collaboration et de partenariat. Les contacts sont très espacés et formels. Je n’exclue pas que les démarches que j’ai exposées plus haut lui soient présentées, un peu à l’envers.

Bialdi: Comment jugez-vous l’état du pays, aujourd’hui ?

YOW : Je pense qu’il y a des résultats appréciables qui ont été réalisés ou en cours de réalisation au niveau de l’armée et des forces de sécurité, des infrastructures (énergie, eau et routes) et de la gestion macroéconomique (équilibres internes et externes). Tous les autres secteurs ont connu malheureusement un fort déclin. L’administration a été déstructurée, l’Etat de droit a fortement reculé, les procédures sont inexistantes et celles qui existent sont bafouées, le clientélisme a atteint son paroxysme, le pouvoir personnel s’est renforcé, le contrôle parlementaire est inexistant (aucune commission d’enquête ni de proposition de loi depuis 2009), les budgets approuvés par le Parlement ne sont pas respectés (depuis 2008, les budgets rectificatifs sont la règle et n’ont rien à voir avec les budgets initiaux), les adversaires politiques sont muselés, etc.

Biladi : Qu’est ce que vous pensez de l’unité nationale ?

YOW: En Mauritanie, nous connaissons des problèmes sérieux qui nous interpellent et pour lesquels des solutions justes doivent être trouvées. Je considère que le premier problème est celui de l’esclavage. Nous pouvons être fiers d’avoir criminalisé les pratiques esclavagistes et de les avoir qualifiées de crimes contre l’humanité, même si cela a été tardif et que certains soupçons sérieux de persistance de pratiques esclavagistes demeurent. Nous devons dépasser le débat sur l’existence de pratiques esclavagistes ou de séquelles de l’esclavage. La loi est là et l’administration et la justice doivent sévir avec détermination et intransigeance. La société civile doit suivre, contrôler et accompagner les autorités sans parti pris et sans compromission. Des mesures énergiques doivent être prises, dans le cadre d’un schéma institutionnel approprié, pour une discrimination positive, en faveur des populations qui ont souffert de ce fléau, en matière d’éducation, d’infrastructures, d’emploi, de crédit, de logement, etc.

Les populations négro-africaines de la vallée ont souffert lors des événements de 89 et 91. Elles doivent être rétablies dans leurs droits. Les réfugiés de retour doivent être réinsérés dans des conditions satisfaisantes, récupérer leurs biens, retrouver leurs emplois, recouvrer leurs droits, etc. Le passif humanitaire doit trouver une solution juste et consensuelle, garantissant aux victimes leur droit à la vérité et à une juste indemnisation et au pays son unité et sa stabilité. Nous avons un devoir de mémoire à leur égard. Pour garantir l’unité et la cohésion du pays, des mesures fortes doivent être entreprises pour que jamais des événements semblables ne puissent se produire. Un dialogue ouvert et sincère doit être engagé pour mettre sur la table toutes les questions qui sont de nature à rassurer toutes les composantes du pays.

La lutte des femmes pour gagner leur autonomie politique, économique, sociale et culturelle constitue un enjeu majeur de l’unité nationale et du développement du pays. Une discrimination positive est nécessaire pour permettre à la femme de rattraper son retard et de contribuer pleinement au développement de son pays. Un développement régional équitable est un facteur déterminant pour favoriser l’unité nationale et la stabilité du pays. Un plan de développement régional qui corrige les déséquilibres actuels est impératif.

En définitive, une solution juste et durable de nos problèmes, à la satisfaction de tous, ne peut être obtenue qu’à travers la mise en place de véritables institutions démocratiques garantissant un équilibre entre les différents pouvoirs et prenant en compte la nécessité d’une justice sociale.

Biladi : Comment voyez-vous la crise au Mali et ses répercussions sur la Mauritanie ?

YOW : Le Mali nous a donné l’impression ces dernières années d’être un pays démocratique et stable. Il était perçu comme un modèle et un succès au niveau de la sous région. Les observateurs avertis ont toujours attiré l’attention sur deux problèmes latents dont l’un date de la création de l’Etat malien et l’autre depuis seulement moins de dix ans. Il s’agit du problème du Nord avec des rébellions successives et des accords restés lettre morte et celui des groupes terroristes qui se sont installés au nord du pays. Le report du règlement de ces problèmes a conduit à la crise actuelle (nous devons profiter de cette expérience pour ne pas reporter la solution de nos problèmes). Je pense que je suis assez d’accord avec le Président de la République sur la position qui doit être celle de la Mauritanie. Notre premier devoir est de sécuriser nos frontières en s’abstenant d’envoyer des troupes su le territoire malien. Le renforcement de l’unité de notre front intérieur constitue une condition primordiale pour une bonne gestion des répercussions de ce conflit sur notre pays. Nous devons collaborer pleinement avec la CEDEAO, l’UA, les NU et les autres partenaires pour un règlement pacifique de la crise qui garantit les objectifs suivants :
– Préserver l’intégrité du territoire malien et favoriser son unité dans le respect des droits et des aspirations légitimes des populations du nord;
– Chasser de façon définitive les groupes armés terroristes.
Le dialogue doit être privilégié, mais l’usage de la force ne peut être écarté.

Bialdi : Certains parlent d’un accord entre la France et Aziz pour l’intervention de la Mauritanie au nord du Mali, qu’en pensez-vous.

YOW :Je ne pense pas qu’un tel accord existe. La France, de mon point de vue, ne demande pas à la Mauritanie d’intervenir au nord du Mali. Nos partenaires, la France en premier lieu, ne peuvent pas nous demander plus que ce que nous pouvons faire. Nos intérêts dans cette affaire sont convergents. Le meilleur schéma, pour une solution durable, exige de la Mauritanie de se préserver du conflit interne malien, de collaborer avec la communauté internationale pour chasser les groupes terroristes et rétablir l’intégrité territoriale et l’unité nationale du Mali. La position mauritanienne par rapport à cette question est la même quelque soit son Président.

Propos recueillis par Biladi

Source  :  Biladi le 06/12/2012{jcomments on}

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