Aussitôt annoncée lors du dernier conseil des ministres, celui du jeudi 13 septembre dernier, l’augmentation programmée des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat a déjà entraîné une hausse inexpliquée des prix de denrées de première nécessité.
Pourtant, les experts avaient recommandé à l’Etat de s’abstenir d’une telle augmentation de salaire dans le secteur public pour réduire la pauvreté, estimant que l’indexation automatique des salaires est une mesure antisociale, même s’il s’agit pour le pouvoir d’un argument électoral de poids et un bon pied de nez aux pressions syndicales.« Avant de vous livrer le contenu du conseil des ministres, une bonne nouvelle pour les travailleurs du secteur public. Le président de la République vient d’instruire son gouvernement pour une augmentation de salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat ». C’est par cette nouvelle que les présentateurs des J.T arabe et français avaient ouvert les commentaires sur les travaux du conseil des ministres du jeudi dernier. Comme en de pareilles occasions, les commerçants ont anticipé. Avant même que la date et le taux de cette augmentation ne soient connus, les prix des denrées de première nécessité ont connu leur première hausse. C’est ainsi que le sac de riz qui se négociait à 12.000 UM a connu un léger coup de pouce, de 500 UM. Le bidon de 10 litres d’huile a aussi enregistré un renchérissement de 300 UM, passant de 4.000 UM à 4.300 Um, les pommes de terre sont passées de 120 UM le kilo à 170 UM, les oignons de 150 UM le kilo à 180 UM, et même le poulet y est allé de son petit embonpoint, allant allègrement de 7.000 UM la caisse à 7.500 UM.
Lorsque l’augmentation sera effective, les commerçants pourront alors passer à la deuxième étape pour creuser davantage leur prix. Ce qui amène déjà à s’interroger sur l’incidence effective des augmentations de salaire sur le pouvoir d’achat des fonctionnaires si l’écart entre leurs revenus et les prix du marché évoluent parallèlement. Ce qui pousse certains analystes à privilégier une augmentation des salaires alignés sur le pouvoir d’achat au lieu des indexations automatiques antisociales et antiéconomiques.
Certes les fonctionnaires qui ne voient la coupe que d’un seul côté, jubilent à l’annonce de toute augmentation des salaires sans soupeser son incidence sur leur pouvoir d’achat face à un marché
instable. Certes, le gouvernement mauritanien est conscient de l’inégalité sociale en Mauritanie et du taux élevé de pauvreté dans le milieu des fonctionnaires et agents de l’Etat (environ 22%), mais semble n’avoir pas pris en considération les dernières recommandations de ses partenaires financiers. Ces derniers lui avaient en effet conseillé de s’abstenir d’augmenter les salaires du secteur public dans l’intention de réduire la pauvreté, car cela creuserait selon eux, l’écart entre les ménages et les régions pauvres et riches. Des mesures ciblées en faveur des fonctionnaires faiblement rémunérés seraient à leurs yeux moins coûteuses et plus efficaces.
En principe, l’Etat cherche à travers l’augmentation des salaires programmés à préserver le pouvoir d’achat des fonctionnaires et à soutenir l’économie en encourageant la demande. Or, les prix ne cessent d’augmenter illogiquement, en l’absence de tout déséquilibre entre l’offre et la demande. En effet, rien n’explique en principe les augmentations de prix de denrées de première nécessité en un laps de temps. En définitive, la première conséquence de l’indexation des salaires est que la pression d’augmentation de prix des produits ne diminuera pas. En effet, même si les salaires augmentent, la demande sur les mêmes produits restera constante et les prix continueront à augmenter. Cette augmentation de salaires ne profitera en dernier ressort qu’aux salaires élevés qui pourront acheter davantage de produits de luxe, tandis que les petits salaires continueront à peiner pour maintenir leur panier, sans rêver aux accessoires.
L’augmentation programmée doit ainsi cibler les bas salariés de la Fonction Publique, ceux qui ont le plus besoin d’être protégés contre les hausses des prix insupportables. D’où la question de savoir si l’Etat ne pourrait pas simplement augmenter significativement le premier palier de taxation, par exemple en utilisant un indice des prix des ménages à bas revenu. Est-ce que quelqu’un qui perçoit 1 Million d’UM par an a besoin que son salaire augmente pour « maintenir son pouvoir d’achat » ?
Une augmentation de salaire généralisée, surtout si elle n’est que de 10 ou 15%, est ainsi antisociale dans la mesure où elle ne permet pas aux petits salariés d’améliorer leur pouvoir d’achat, les prix des produits de base enregistrant à leur tour dans la même période des hausses similaires ou plus importants, tandis qu’elle avantage les hauts salaires.
En conclusion, les seuls arguments pouvant sous-tendre cette mesure annoncé sont que, d’une part, ils constituent un bon prétexte électoraliste et que d’autre part, ils font éviter aux pouvoirs publics des négociations sociales souvent périlleuses.
Cheikh Aïdara
Source : L’authentique le 19/09/2012
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